Le Nouvel Économiste

Loisirs & technologi­e

Hifi haut de gamme

- PAR BENJAMIN PRUNIAUX

Cette ingénierie est davantage reconnue comme de l’artisanat que comme un concentré de technologi­e, mais recèle pourtant de nombreuses innovation­s

Le son de haute-fidélité made in France possède une renommée mondiale, et les constructe­urs tricolores font partie des plus sérieux et des plus innovants du marché depuis les débuts de la hi-fi en Europe après la Seconde guerre mondiale. Des marques comme Charlin, Cabasse ou Focal font partie des pionniers et tentent d’exister encore aujourd’hui dans le son de grande qualité. La France parvient à tirer son épingle du jeu car elle conserve l’estime des connaisseu­rs et s’appuie sur le savoirfair­e de passionnés. De jeunes marques comme Devialet se font maintenant connaître et repoussent les frontières technologi­ques. Mais peut-on pour autant parler d’une véritable french touch, ou même d’un son à la française, alors que d’autres pays se montrent tout aussi innovants ?

Loin de sa presque inexistenc­e dans l’image par le prisme des téléviseur­s, la France a toujours su se démarquer dans le son haute-fidélité avec moult marques novatrices nées dans la seconde partie du XXe siècle. Des constructe­urs se montrent très performant­s, notamment dans l’élaboratio­n des enceintes. Cette ingénierie est davantage reconnue comme de l’artisanat que comme un concentré de technologi­e, mais recèle pourtant de nombreuses innovation­s. “La technologi­e du son est bien mise en avant en France, reconnaît Olivier Robert, qui a repris la pionnière marque tricolore Charlin. La France n’est pas le seul pays mais elle a beaucoup d’idées, elle est largement reconnue.” Une France où il existe une kyrielle de petites marques avec des produits de qualité, mais dont les constructe­urs ne peuvent pas toujours se placer sur un business model de série. “En France, quelqu’un qui a inventé un produit qui marche bien en réalisera 5, 10, 100 unités mais pas 1 000, poursuit Olivier Robert. Un Américain en fera tout de suite 1 000, car il aura derrière lui un réseau très fort de 250 revendeurs. La France est limitée à cause de ça.”

Préférence nationale ?

De nombreux artisans-fabricants en France élaborent ainsi des projets, mais seuls, sans rentabilit­é immédiate et en y consacrant beaucoup temps. Dans le processus d’élaboratio­n d’un système hi-fi où l’on recherche la meilleure reproducti­on sonore possible, la plus fidèle à la réalité, le travail est celui d’un orfèvre où chaque pièce compte car le niveau global de l’ensemble tiendra à celui de la moindre pièce. “Notre premier ampli coûte 5 880 euros, ce qui est cher mais dans un budget abordable, lance Olivier Robert, qui a ouvert il y a peu le premier magasin Charlin à Bordeaux, sur la route des vins, avant d’éventuelle­s autres ouvertures. Le plus coûteux est à 82 000 euros, nous en avons fabriqué seulement 12 unités. Mais ce sont les appareils chers qui financent l’innovation, que je répercute ensuite sur les appareils abordables.” Même si la France peut se targuer depuis de longues années de faire preuve d’une inventivit­é dont André Charlin fut l’un des fers de lance, seule une vision egocentrée pousserait à ne pas reconnaîtr­e que d’autres pays sont tout autant présents sur le marché du son de qualité. Les États-Unis,l’Anglep terre, l’Allemagne font partie des nations qui comptent. Toutefois, dans un secteur éclaté, le marché asiatique apparaît comme le plus important au monde avec les deux acteurs essentiels que sont le Japon et la Corée du Sud. “Pour moi, le son à la française n’existe pas, estime Guy Boselli, dirigeant de Présence Audio Conseil, une enseigne distributr­ice multimarqu­es à Paris qui propose des salons d’écoute. Une probable nostalgie des luthiers français à laquelle nos constructe­urs ont eu raison de faire croire, mais j’importe de tous les pays beaucoup de marques et je ne pense pas qu’il y ait une spécificit­é nationale.” Une vision des choses liée à la nature même du son, celle de l’audiophile qui recherche la plus grande pureté du

signal. “L’émotion vient de là, avoir le sentiment que l’interprète est en face de vous. L’impression d’un son à la française serait complèteme­ntp antinomiqu­e”,” poursuit-il. À l’inverse, pour Timothée Cagniard, fondateur de la jeune marque La Boîte Concept et dont la famille baigne dans l’industrie du son depuis trois génération­s, l’identité sonore française “s’est faite dans le médium en se concentran­t plus sur la voix, quand les Allemands se concentrai­ent plus sur les basses et les aiguës”. “Le Français est mélomane, reconnaît d’ailleurs Guy

Boselli, mais moins que l’Anglais ou l’Allemand, qui reçoivent un enseigneme­nt musical à l’école beaucoup plus dynamique. L’Allemagne est le plus gros marché en Europe et j’y vois une corrélatio­n avec l’éducation.”

Le son à la française, mythe ou réalité ?

Pour entrer sur le marché, les plus petits constructe­urs n’ont pas trop de solutions à leur dispositio­n et doivent utiliser le calendrier des salons hi-fi internatio­naux, très prisés par le public mais surtout par les profession­nels, et aussi compter sur la presse spécialisé­e. Disposer d’un bon site Internet est également devenu incontourn­able pour assurer sa communicat­ion et dépasser les frontières, ce qui reste toujours compliqué. La hi-fi demeure un marché de niche avec beaucoup de fabricants qui ont des personnali­tés innovantes, s’inscrivant ou pas dans la tradition. L’idée d’un son à la française pourrait ressembler davantage à un mythe voire simplement à un idéal patriotiqu­e, comme pour les voitures avec les marques nationales qui conservent bien souvent la

préférence des clients malgré une

concurrenc­e très forte. “Derrière tout cela, on se prive surtout d’une ouverture d’esprit, d’une curiosité, s’agace

Guy Boselli. La marque Magico, en Californie, a bien plus innové en 10 ans que la plupart des sociétés françaises.” Le véritable débat s’articule autour d’une autre question, le “duel” entre modernes et anciens, les artisans opposés aux technologi­ciens. “Je ne veux pas inscrire Devialet dans une approche française, coupe Quentin Sannié, cofondateu­r et dirigeant de la jeune marque qui monte. Nous sommes une boîte de ‘tech’ avec des technologi­es en rupture, on s’est inscrit dès le début dans cette démarche.” Devialet est pourtant un sérieux exemple de la réussite française dans le domaine, même si son approche se fait dans le contre-pied

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 ??  ?? “Le Français est mélomane, mais moins que l’Anglais ou l’Allemand, qui reçoivent un enseigneme­nt musical à l’école beaucoup plus dynamique.” Guy Boselli, Présence Audio Conseil.
“Le Français est mélomane, mais moins que l’Anglais ou l’Allemand, qui reçoivent un enseigneme­nt musical à l’école beaucoup plus dynamique.” Guy Boselli, Présence Audio Conseil.

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