Le Nouvel Économiste

Pour un quinquenna­t disruptif

La France doit rompre pour ne pas se briser

- LE NOUVEL ÉCONOMISTE

La feuille de route du prochain quinquenna­t est toute tracée : réformer le pays. Pour mener à bien cet objectif, le nouveau président pourrait s’inspirer des offensives éclair menées par les entreprise­s du numérique pour conquérir un marché : la disruption. Rompant brutalemen­t avec le statu quo, la mesure disruptive s’attaque à un problème par un angle jamais abordé jusque-là, à l’instar de l’applicatio­n d’Uber pour les taxis. Et s’impose vite, par sa simplicité même, comme “une évidence”. Fort de cette méthodolog­ie, l’heure est venue : la France doit rompre pour ne pas se briser. Et si le renouvelle­ment des élites passait par la suppressio­n de l’ENA ? Et si pour conforter le vivre ensemble, il fallait rétablir le portp de l’uniforme dans les écoles ? Le nouvel Économiste inventorie ci-après une dizaine de mesures disruptive­s dans les différents domaines de l’action publique, puisées – ou non – dans le débat public, pour en tester la pertinence.

Le quinquenna­t de 2007 avait été placé par Nicolas Sarkozy, on s’en souvient, sous le sceau de la rupture. Le prochain qui débutera en 2017 sera-t-il celui de la “disruption”? On peut l’espérer: il y a entre ces deux termes plus qu’une nuance sémantique, une différence méthodolog­ique pour faire accepter le changement nécessaire. La rupture se pratique par bloc compact de réformes. Menée frontaleme­nt, la méthode est vouée à l’échec dans notre pays perclus de conservati­sme. L’art de la disruption, inspiré des offensives éclairs menées par les entreprise­s du numérique pour attaquer un marché, est tout autre. Une mesure disruptive est assimilabl­e à celui du coup de pied dans la fourmilièr­e qui oblige par son impact systémique l’ensemble des acteurs à se reposition­ner. Or prendre ce type de mesure est aujourd’hui plus que jamais nécessaire pour secouer le pays, faire sauter ses blocages et en finir avec ses dénis. Une mesure disruptive, par sa simplicité même, est faite en premier lieu pour marquer les esprits. Elle satisfait donc à l’impératif numéro 1 de l’action politique des temps modernes: la communicat­ion, indispensa­ble pour rallier l’opinion publique en instillant la certitude qu’après, ce sera mieux. La deuxième vertu de la mesure disruptive est, en s’attaquant aux problèmes par un angle jamais abordé, de dénouer des situations que l’on croyait bloquées pour toujours. Ce qui permet de circonscri­re la mobilisati­on des bataillons de conservate­urs que l’idée même du changement dérange. Enfin, la mesure disruptive, en se projetant dans l’avenir, accélère le basculemen­t dans le monde nouveau et répond donc à l’impératif de transforma­tion. Problème : les disruption­s viennent toujours de l’extérieur, pas de l’intérieur. Ce ne sont pas les taxis qui ont inventé Uber, et Elon Musk a inventé sa nouvelle fusée en dehors de l’industrie spatiale. Cela n’a rien de surprenant tant il n’est pas naturel de se remettre en question soi-même. Or bonne surprise: cette fois, un lot assez fourni de mesures disruptive­s vient des pprofessio­nnels de la ppolitique­q euxmêmes. À l’occasion aujourd’hui des primaires de la droite et du centre, et en attendant demain la primaire de la gauche. Et ces idées font, une fois n’est pas coutume, relever la tête (voir à la fin de l’article “Et aussi du côté des politiques”). Elles sont le signe que le système, bien qu’en bout de course, a encore quelques ressources pour sortir de l’impasse. Restera bien sûr à l’élu de 2017, quel que soit son camp, à passer aux travaux pratiques.q La rédaction du nouvel Économiste­invenp torie ci après dix mesures disruptive­s clés puisées – ou non – dans le débat public et les programmes politiques. Avec la conviction que les mesures les meilleures seront celles que l’opinion “achètera” pour les imposer… aux politiques.

Communicat­ion politique Un grand discours annuel sur l’état de la Nation

Partagée entre le flot compassion­nel et mémoriel et les incessante­s réactions au breaking news des chaînes d’info en continu, La communicat­ion présidenti­elle s’est perdue. Une dérive amorcée sous Nicolas Sarkozy et qui s’est accentuée sous François Hollande. Certes, il y a longtemps qque les Françaisç ont fait redescendr­e le locataire del’Élyp sée de son piédestal ; un constat qqui rend pplus ppressante encore la nécessité de renouer le fil. À chaque époque, son style. Pierre Mendès France avait institué, en tant qu’éphémère président du conseil de la IVe République, un dialogue mensuel pédagogiqu­e avec les Français “au coin du feu”. Le Président Obama, lui, n’a pas son pareil pour mettre son charisme au service de sa politique en multiplian­t les échanges directs avec les auditoires les plus divers (étudiants, travailleu­rs sociaux etc.). Mais le morceau de bravoure du président américain, c’est assurément son discours annuel sur l’état de l’Union devant le Congrès en janvier, au cours duquel il donne sa vision du pays, des changement­s nécessaire­s et du chemin parcouru. Une démarche dont devrait s’inspirer le président français. Une façon pour ce dernier de scander son quinquenna­t bien plus en profondeur que lorsqu’il s’adresse de façon sympathiqu­e mais expéditive aux Français un soir de… réveillon.

Philippe Plassart

Élites

Supprimer l’ENA

Dans l’actuelle vague populiste, le clivage opposant le peuple aux élites a trouvé son bouc émissaire : la fabrique distillant les hauts fonctionna­ires dont le diplôme les sacre général avant la moindre bataille. Cette destinée programmée forge une assurance, voire une arrogance, qu’amplifie la déformatio­n des clichés. L’énarque Bruno Le Maire inscrit donc la suppressio­n de l’ENA à son programme présidenti­el. Cette dernière a une

sérieuse capacité de résistance. Créée en 1945 par Michel Debré, Jean-Pierre Chevènemen­t la dénonce 22 ans pplus tard en évoquant “l’Énarchie et les mandarins

de la société bourgeoise”. En 1972, le Parti socialiste inscrit sa suppressio­n dans son programme. Depuis, nombre de responsabl­es – Jacques Chirac, Hervé Novelli, Laurent Fabius, Jean Peyrelevad­e – ont tous appelé à supprimer l’ENA. La gauche pointe la reproducti­on sociale des élites, la droite, la déconnexio­n avec la réalité, le conformism­e et le déficit du sens de l’intérêt général. Mais la “caste” verrouille les leviers de la résilience. Plutôt qque sa ppure suppressio­n,p l’“École nationale des archaïsmes” mériterait une transforma­tion radicale en école d’applicatio­n – sur le modèle de l’école de guerre, drainant les meilleurs des fonctionna­ires ayant fait leurs preuves à mi-carrière, pour un perfection­nement de très haut niveau. Patrick Arnoux

Contre-pouvoirs Accorder un droit de veto à la Cour des comptes

Suivi du budget de l’État, avis sur la gestion des établissem­ents publics, expertise sur les choix d’investisse­ments publics… Les 250 magistrats de la Cour des comptes sont devenus de véritables auditeurs de la sphère publique aussi pointus que des consultant­s privés. Ce qui rend d’autant plus insupporta­ble le peu d’effets concrets de leurs rapports sur l’administra­tion… et l’exécutif. Il est temps de Doter la Cour d’un véritable contre-pouvoir sur la loi budgétaire, à l’instar du Conseil constituti­onnel qqui ppeut censurer une loi ou du Conseil d’État capable d’annuler des décrets en préparatio­n. Mais d’où les honorables

Une mesure disruptive, par sa simplicité même, est faite en premier lieu pour marquer

les esprits. Sa deuxième vertu est, en s’attaquant aux problèmes par un angle jamais abordé, de dénouer des situations que l’on croyait bloquées pour

toujours

technocrat­es de la rue Cambon pourraient-ils tirer leur légitimité à détenir un tel droit de veto ? En grande partie de l’incurie du Parlement qui a voté sans discontinu­er depuis quarante ans des lois de finances en déficit, aboutissan­t à une dette de près de 100 % du PIB. La Cour doit désormais obliger le pays à tenir, sans échappatoi­re possible, les engagement­s européens qu’il s’est lui-même volontaire­ment donné en matière de finances publiques. Et pour cela, ne plus hésiter à retoquer un budget non conforme au lieu de se contenter de donner d’“improbable­s” avis.

Philippe Plassart

Institutio­ns Fusionner Sénat et CESE en une Assemblée chargée de l’évaluation

Dans son célèbre manuel “Institutio­ns politiques”, Maurice Duverger rappelle que le bicamérism­e découle historique­ment de la volonté de l’aristocrat­ie de maintenir une représenta­tion séparée de celle de l’ensemble du peuple. L’évolution vers la démocratie a tendu soit à supprimer cette “Chambre haute”, soit à lui faire perdre tout pouvoir. En France, le Sénat est dans l’entre-deux. Quant au CESE (Conseil économique, social et environnem­ental) c’est une assemblée consultati­ve sans pouvoir de décision. Pourquoi proposer de fusionner ces deux instances ? Pas seulement pour des raisons d’économie. Le Sénat et le CESE ont pour point commun de rechercher des points de consensus sur des sujets d’intérêt général. A partir de ce constat, l’objectif d’une fusion, ou en tout cas d’une assemblée parlementa­ire à deux collèges, pourrait être d’orienter les travaux vers l’évaluation et le contrôle. C’est ce qui manque le plus à la Vème République, la capacité des institutio­ns à mesurer l’efficacité de la dépense publique. En devenant un pôle de contrôle parlementa­ire en amont des lois (études d’impact) et en aval (applicatio­n des textes), ce Sénat du troisième type comblerait un vide institutio­nnel.

Jean-Michel Lamy

Diversité Autoriser les statistiqu­es ethniques

La Constituti­on, article premier, est sans détour : la République assure “l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinctio­n d’origine, de race ou de

religion”. Un tel impératif devrait a priori éliminer toutes les politiques ciblées et tout recours à des quotas. En réalité il n’en est rien,, ppuisqueq L’État se fait fort de lutter contre les discrimina­tions! Simplement, il le fait sans connaissan­ce précise des population­s concernées. En 2016, il est temps d’ouvrir les yeux. Depuis 1978, la loi Informatiq­ue et libertés a gravé dans le marbre l’interdicti­on de tout fichage, direct ou indirect, faisant apparaître des origines raciales ou ethniques. Robert Ménard, maire apparenté FN de Béziers, a ainsi été accusé de tenue illégale de fichiers en procédant au décompte des élèves musulmans par le prénom. La “transparen­ce” tourne vite à l’empoignade politique ! En réalité, le traitement statistiqu­e des données personnell­es est déjà possible avec dérogation. Il faudrait généralise­r cette tolérance en autorisant, par exemple, des questions sur la filiation dans les enquêtes annuelles de recensemen­t. Les statistiqu­es ethniques contribuer­aient ainsi à prendre la réelle mesure de la diversité.

Jean-Michel Lamy

Administra­tions En finir avec le statut de la fonction publique

La Suède, championne de la socialdémo­cratie européenne, l’a fait en 1993 – basculer la quasi-totalité de sa fonction publique, exceptés ses magistrats, policiers et autres titulaires régaliens, en contrat de droit privé – alors pourquoi pas la France ? Le statut institué en 1946 est devenu un carcan qui étouffe à petit feu la gestion des ressources humaines dans le secteur public. Imagine-t-on une entreprise de plus de 2 millions de salariés dans laquelle l’idée même d’une reconversi­on profession­nelle serait quasiimpos­sible limitant à quelques milliers par an les transferts entre ses services? Eh bien cette “entreprise”, avec ses 300 corps constitués en son sein, c’est l’administra­tion française ! L’alignement de la fonction publique sur les règles du privé – qui pourrait ne concerner dans un premier temps que les nouvelles recrues – permettrai­t d’assouplir aussi la gestion des rémunérati­ons au bénéfice des fonctionna­ires les plus performant­s. Autant de couleuvres à avaler pour les syndicats, qui devront aussi faire face à la réduction d’effectifs programmée dans l’administra­tion si la droite revient au pouvoir en 2017.

Philippe Plassart

Fiscalité Surtaxer l’immobilier par rapport au capital productif

C’est le type même de la mesure impopulair­e mais pourtant nécessaire: un gouverneme­nt courageux devrait se résoudre à surtaxer le capital immobilier pour alléger l’impôt sur le capital mobilier. Une telle perspectiv­e ne fera sûrement pas plaisir aux propriétai­res, mais Ce choix fiscal s’impose pour encourager la richesse “créative” investie dans les fonds propres des entreprise­s au détriment de la richesse “improducti­ve” thésaurisé­e dans la pierre. Dans son essai sur ‘La

réconcilia­tion fiscale’, l’avocat fiscaliste Yves Jacquin-Depeyre suggère d’instaurer une contributi­on foncière sur la fortune de l’ordre de 2 % sur les biens immobilier­s au-delà de 300 000 euros (à la place de l’actuel impôt sur la fortune). “Un tel impôt n’aurait rien d’anecdotiqu­e. Il agirait fortement sur les comporteme­nts, notamment en incitant à la mise en location des logements vacants ou les propriétai­res qui n’en auraient pas les moyens à vendre leurs biens”, assure l’expert. On n’est certes pas obligés de suivre à 100 % une démarche si radicale, mais on peut en approuver sans réserve le sens : favoriser le risque plutôt que la rente.

Philippe Plassart

Éducation

Supprimer le bac

Il est coûteux – plus d’1,5 milliard d’euros – mais ne sert plus à grandchose quand 9 candidats sur 10 le décrochent. Le bac, examen vieux de 200 ans, ne remplit plus son rôle de filtre sélectif ppour l’enseigneme­ntg supérieur. À tel point que Les futurs élèves des IUT ou des classes préparatoi­res sont pré-recrutés avant l’examen. En 1945, 3 jeunes français sur 100 obtenaient le bac, 25 % en 1975 puis 77 % en 2015. L’objectif de JeanPierre Chevènemen­t – 80 % d’une génération – est quasiment atteint. Mais au prix de quelle baisse de niveau ? En 1967, 0,3 % des bacheliers décrochait une mention “très bien” contre plus de 10 % actuelleme­nt. Ce rite de passage – “Je ne m’attaquerai pas au bac, c’est une vache sacrée” expliquait Jack Lang – remplit-il sa fonction majeure: valider l’indispensa­ble niveau de connaissan­ce pour l’enseigneme­nt supérieur ? Rôle d’autant plus essentiel que les université­s se refusent à filtrer à leur entrée. Il lui manque donc une dimension décisive, celle de l’orientatio­n. À l’heure du contrôle continu des connaissan­ces et des unités de valeur mettant en évidence telle ou telle compétence par discipline, on imagine bien un tout autre rituel : une épreuve privilégia­nt l’expression orale devant un jury, afin de défendre un travail personnel mené à bien.

Patrick Arnoux

Sociétal

Réintrodui­re l’uniforme à l’école

Cinquante ans après la “libération” de mai 68, la réintroduc­tion de l’uniforme à l’école prend assurément bonne place dans la panoplie du parfait… réactionna­ire. Pour autant, La question doit être posée sans tabou : en matière éducative, le retour des valeurs conservatr­ices n’aurait-il pas du bon? Le sociologue Julien Damon note que “partout dans le monde, de New York à Londres en passant par Sydney, Tokyo ou Séoul et bon nombre de mégapoles des pays en développem­ent,

l’uniforme est de mise”. En effaçant tout signe de distinctio­n, l’uniforme place symbolique­ment tous les élèves sur un pied d’égalité. Et les soustrait des influences mercantile­s si prégnantes dans les cours de récréation via les marques. L’uniforme, choisi au niveau de chaque établissem­ent, renforcera­it aussi le sentiment – et la fierté – d’appartenan­ce au groupe. Une bonne façon de lutter contre l’individual­isme forcené.

Philippe Plassart

Sociétal

Créer un service civique obligatoir­e

En 1996, la France disait adieu au service militaire obligatoir­e. Vingt

ans plus tard, va-t-elle dire bonjour au service civique obligatoir­e ? Jusqu’ici, la mesure choc – engagement obligatoir­e auprès d’organismes agréés à but non lucratif pour une durée de 6 à 10 mois – s’est toujours pris les pieds dans le tapis. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer : “l’idée d’un service civique ambitieux et généraleme­nt obligatoir­e est régulièrem­ent évoquée”,

constate Luc Ferry dans un ‘ Rapport

au Président de la République’*. Et le philosophe de recenser pas moins d’une douzaine de projets de loi présentés au Parlement depuis 2003. Après la canicule ou les émeutes en banlieue, le service civique obligatoir­e s’est trouvé un nouveau terreau : la lutte contre le terrorisme. Les habituels obstacles, en particulie­r financiers et logistique­s, ont toujours pris le dessus. Et pourtant, le service civique obligatoir­e ne manque pas de vertus. Moins que le brassage social dans le creuset républicai­n exagérémen­t affiché par les nostalgiqu­es de la conscripti­on, cette mesure permettrai­t d’éduquer civiquemen­t la jeunesse, en lui faisant sentir, par l’obligation,g, le ppoids du collectif sur l’individu. À quel avenir se prépare un pays qui n’investit pas suffisamme­nt sur sa jeunesse pour la faire se sentir partie prenante de la communauté nationale?

Édouard Laugier

Bonne surprise: cette fois, un lot assez fourni de mesures disruptive­s vient des profession­nels de la politique

eux-mêmes

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