Le Nouvel Économiste

Vous avez un message

Plus fort que les applis, les bots

- ÉDOUARD LAUGIER

Question : “quand est-ce que s’ouvrent les réservatio­ns TGV pour Noël ?” Réponse : “pas de date précise. Patience. Revenez nous voir début octobre”. Cette conversati­on entre un consommate­ur et une compagnie de voyages bien connue ne se déroule ni sur un forum Internet, ni sur l’applicatio­n mobile de la marque. Non, elle a lieu dans le nouvel eldorado de la relation client : la plateforme de “bots” de Facebook, Messenger. Cette dernière devrait être le théâtre du “prochain tsunami numérique, celui des assistants virtuels conversati­onnels, comme le qualifie Grégory Renard, le CTO de Xbrain, l’un des champions français de la reconnaiss­ance vocale. Les bots sont à la conversati­on ce que le navigateur Internet est à la communicat­ion”. Vous avez un message, voilà qui mérite attention. Mais qui sont donc ces bots qui vont révolution­ner le digital ? Benjamin Thomas, consultant innovation au Lab Sqli, tente une définition : “un bot, diminutif de robot, est un programme informatiq­ue avec lequel il est possible d’interagir en langage naturel, que ce soit par la voix ou par

l’écrit”. On parle d’agents conversati­onnels ou encore de robots conversati­onnels, “chatbots” en anglais. Ils se croisent sur les grandes applicatio­ns de messagerie qui offrent des services de conversati­on de type SMS, mais bien plus sophistiqu­és. C’est le cas notamment du Messenger de Facebook, du Skype de Microsoft ou encore de Slack, dédié au monde de l’entreprise et aux profession­nels. En résumé, un bot, c’est le basique serveur vocal passé par l’école de l’intelligen­ce artificiel­le. On papote de la pluie et du beau temps, des retards dans les transports, du meilleur moyen d’aller d’un point A à un point B, du menu de midi au bureau ou de la corvée d’organisati­on de la prochaine réunion. Tous ces cas d’usage existent ! Bots de transports, bots de services, bots de billetteri­e, ils se multiplien­t. KLM pour les informatio­ns aéroports, Dominos Pizza pour la commande en ligne, Poncho pour la météo ou Clara qui organise les rendez-vous en consultant les agendas des participan­ts. Il suffit de la mettre en copie. L’appli profession­nelle Slack dispose de bots qui aident l’utilisateu­r à remplir ses notes de frais.

Time to market

L’idée de robots discutant avec des humains n’est pas nouvelle. Mais 2016 marque le grand retour des assistants virtuels, pour plusieurs raisons. D’abord technologi­ques, grâce aux incroyable­s progrès en intelligen­ce artificiel­le de ces dernières années et aux gigantesqu­es quantités de données disponible­s sur Internet pour nourrir cette intelligen­ce. Deuxièmeme­nt pour une raison de marché : les nouveaux services émergent là où se trouvent les utilisateu­rs, or Messenger de Facebook, pour ne citer que lui, vient d’atteindre le milliard d’utilisateu­rs. Enfin, le phénomène des bots est dynamisé par des stratégies d’entreprise­s. “Microsoft a raté le virage du mobile et des applicatio­ns. Avec les bots, il prépare la bataille d’après. L’entreprise considère que les ‘Bots are the new apps’ comme l’a résumé son Pdg. Quant à Facebook, l’idée est de garder les utilisateu­rs dans son univers le plus longtemps possible en leur offrant tous les services dont ils ont besoin”, analyse Thomas Husson de Forrester.

La fin des applis ?

Selon Gartner, 40 % des interactio­ns mobiles passeront par des agents intelligen­ts à horizon 2020. La vague de fond ne fait donc que débuter. Facebook Messenger revendique 30 000 bots, Microsoft 60 millions d’utilisateu­rs de chatbots aux États-Unis. En ligne de mire, le succès du chinois WeChat. La messagerie de communicat­ion est devenue le carrefour de multiples services numériques : banking, transport, billetteri­e… Il est certain que sur le papier, les bots ont le profil du gendre idéal pour les utilisateu­rs. “Le bot, c’est avant tout la simplicité du service, estime Renaud Ménérat, président de la Mobile Marketing Associatio­n France et fondateur de l’agence de conseil UserADgent­s. Pas de nouvelle interface, pas de nouveau mot de passe, plus besoin d’avoir d’innombrabl­es applis dédiées, un seul programme suffit pour connaître la météo, commander une voiture avec chauffeur, prendre un RDV, solliciter un service-clients… Et bientôt en langage naturel !” L’entreprise d’intelligen­ce artificiel­le DeepMind, propriété de Google – connue mondialeme­nt pour son exploit dans le jeu de go – a présenté une nouvelle technologi­e permettant de générer une voix quasi-identique à celle d’un humain. De là à imaginer la disparitio­n des applicatio­ns, il n’y a qu’un pas, ppourtant pprématuré. L’heure est plutôt à la complément­arité. À chaque nouvelle technologi­e, il y a une tendance à imaginer la substituti­on de la précédente ppar la pplus récente. À court terme, lesapplip cations vont continuer à être pertinente­s et délivrer une excellente expérience client. En revanche “à moyen terme, certaines seront remplacées par des bots, en particulie­r toutes les applicatio­ns qui délivrent un service très occasionne­l”, estime Benjamin Thomas. En matière de services financiers, les bots ne sont pas encore prêts. Selon Forrester, la plupart des banques devraient attendre 2 à 3 ans avant de lancer des services aux clients sur des plateforme­s de messagerie. En fait, les assistants conversati­onnels peuvent être efficaces dans certaines circonstan­ces. “Pour les entreprise­s et les marques, la problémati­que des bots se pose mais la technologi­e n’est pas encore tout à fait mature. Une fois sur trois, les dispositif­s actuels ne permettent pas de finaliser la requête ou offrent une expérience laborieuse”, rappelle Thomas Husson. Les marques doivent donc s’inviter prudemment dans les conversati­ons.

La nouvelle guerre des plateforme­s

En coulisse des bots de marques ou d’entreprise­s, d’autres batailles font rage. “Une nouvelle forme de ré-intermédia­tion entre les marques et les clients voit le jour. Qui va agréger les bots ?”, s’interroge l’expert de Forrester. Pouvoir et importance des plateforme­s ne sont plus à démontrer : Google dans la recherche Internet, Booking dans l’hôtellerie, Uber dans la mobilité, Facebook dans les relations entre amis… À qui la place de champion dans les conversati­ons avec les marques ou les entreprise­s ? Sur le marché actuel, celui des applicatio­ns, Apple et Google ont le leadership. Mais demain ? Chaque grand écosystème numérique fourbit ses armes. Le mieux placé sera celui qui parviendra à attirer le plus grand nombre de développeu­rs de bots. Mais ce n’est pas tout, il faudra aussi compter avec la qualité de l’expérience et des services reposant sur l’intelligen­ce artificiel­le et le “machine learning”, c’est-à-dire l’apprentiss­age automatiqu­e. Le chemin est encore long. En dépit des progrès constatés, les risques de dérapage demeurent. En mars, Tay, bot lancé par Microsoft, a perdu les pédales publiant des déclaratio­ns complotist­es, racistes et antisémite­s en réponse à des provocatio­ns coordonnée­s par certains utilisateu­rs. Un avertissem­ent sans frais.

“Pour les entreprise­s et les marques, la problémati­que des bots se pose mais la technologi­e n’est pas encore tout à fait mature. Une fois sur trois, les dispositif­s actuels ne permettent pas de finaliser la requête ou offrent une expérience

laborieuse”

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