Le Nouvel Économiste

L’euro, grand oublié de la primaire

“Tout dire avant” disent-ils ? Alors, qu’ils inscrivent le sauvetage de la monnaie unique dans leurs programmes

- JEAN-MICHEL LAMY

Ni Donald ni Hillary n’imaginent une seconde divorcer du dollar. En France, c’est l’inverse ! Les candidats à l’Élysée sont en train de transforme­r l’euro en affaire de coeur. Tel déclare sa flamme, tel autre promet la répudiatio­n. Tout cela est dit avec grande désinvoltu­re, comme si quitter ou pas la monnaie nationale était aussi anodin qque la couleur d’une cravate. À la primaire de la droite et du centre, ils sont tous pour, mais c’est silence radio autour d’un engagement politique clair sur l’objectif suprême que sera le sauvetage la zone euro. Pourquoi suprême? Parce que l’incendie peut s’allumer à tout instant au coeur de la maison euro et tout emporter sur son passage. De Joseph E. Stiglitz à Jacques Sapir, ils sont nombreux à en expliquer les raisons. Certes, jusqu’ici tout va bien – ou presque bien – grâce à la fée BCE qui, comme par magie, fait disparaîtr­e les dettes. Mais demain, pour sortir des artifices, le vainqueur de la présidenti­elle aura à arbitrer pour la zone euro entre une palette de solutions sur le spectre intégratio­n-désintégra­tion. Aucune ne sera vraiment agréable, chacune sera déterminan­te pour le sort économique du quinquenna­t. Courage politique demandé sur les valeurs européenne­s de solidarité.

L’air du temps souveraini­ste

Cela paraît étrange en effet : tout se passe comme si l’euro appartenai­t au monde d’hier, ce moment de l’Histoire, après la chute du Mur de Berlin, où s’ouvraient les frontières entre les États et où la souveraine­té nationale se partageait au nom du bien commun. L’euro est né de ce berceau politique. Mais aujourd’hui, le moment est souveraini­ste. Cette inversion de la culture dominante est probableme­nt le plus grave danger qui menace la monnaie unique. Parce que les assertions du genre “le peuple doit retrouver sa souveraine­té monétaire” deviennent des évidences. Extrême gauche et extrême droite instrument­alisent sans complexe cette nouvelle donne.

Le manque d’intégratio­n politique

C’est d’autant plus grave que l’euro est engagé dans une course de vitesse pour sa survie. Parce que l’euro est un prématuré toujours en manque de l’oxygène de l’intégratio­n politique, de ce minimum de fédéralism­e requis pour organiser les transferts financiers entre membres nécessiteu­x. Dans ‘Comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe’ (Les Liens qui Libèrent), Joseph E. Stiglitz assène: “avec l’euro, l’espace européen a créé le même type de rigidité que l’étalon-or avait infligé au monde”. Pour mémoire, ce système d’arrimage des monnaies à l’or a notamment été accusé d’entretenir la déflation des années 30. Comment cela se passe en 2016 ? Faute de pouvoir dévaluer, les États de la zone euro en déficit extérieur et budgétaire en sont réduits à comprimer revenus et dépenses publiques pour rétablir l’équilibre de leurs comptes, ce qui déprime la demande globale et entretient la déflation. En langage d’économiste “alternatif”, c’est la faute aux critères “austéritai­res” et non coopératif­s de Maastricht – et surtout pas à la gabegie propre à certaines capitales. Quoi qu’il en soit, la zone euro est minée de l’intérieur par une hétérogéné­ité croissante à base de creusement des inégalités entre le Sud et le Nord.

Comment en sortir ?

La surprise est venue de la Banque centrale européenne. Une première fois, Francfort a sauvé l’euro en promettant d’acheter puis en achetant sur les marchés la dette publiquep q des États membres. Conséquenc­e, le prix des emprunts a fortement baissé pour les pays fortement endettés. Au risque d’inciter au laxisme budgétaire pré-électoral – comme dans le cas de la France. Une deuxième fois, Francfort a lancé une vaste opération de sauvetage via le processus d’Union bancaire. Du jour où serait instaurée une garantie européenne solide sur les dépôts bancaires, l’euro cesserait d’être une constructi­on bancale ! L’épargne du Nord pourrait alors financer sans risque les zones du Sud. Le danger est que ce processus est au milieu du gué et qu’il peut encore basculer dans le vide. Une fois de plus, la ppartie se jjoue sur les valeurs de solidarité entre États, à l’opposé de la démarche souveraini­ste. La bagarre “en live” autour des créances douteuses des banques italiennes et des errements de l’allemande Deutsche Bank est à cet égard un tournant décisif. Quel homme politique français osera soutenir publiqueme­nt l’italien Matteo Renzi dans son bras de fer avec Berlin pour obtenir une recapitali­sation européenne de “ses” banques ? Au nom du bon fonctionne­ment de la zone euro, ce serait logique. Logique peut-être, mais contre-productif électorale­ment peut-être aussi. Cet esprit du temps au repli sur soi est bien l’obstacle principal à une régénérati­on de la zone euro. Ainsi les Français, à droite comme à gauche, adorent plaider pour une mutualisat­ion de la dette, mais sans se donner les moyens de stopper une divergence franco-allemande qui s’accroît sur tous les plans. La simple idée de certains candidats LR de s’affranchir de la barre des 3 % de PIB déficits publics pour leur arrivée aux affaires suffit à élargir encore le fossé entre les deux capitales. Qu’ils le disent à leur électorat ! Aux dernières nouvelles, Nicolas Sarkozy souhaitera­it d’ailleurs respecter les 3 % en 2019… C’est pourquoi Joseph E. Stiglitz est sans illusion sur les chances d’une réparation. Persuadé que “même avec ses réformes récentes, le système actuel de l’euro n’est pas viable à long terme”, le prix Nobel d’économie propose notamment de revenir à un euro flexible, à une sorte de serpent monétaire à parités ajustables. Il rejoint en cela l’antienne de l’économiste Jacques Sapir qui publiait en 2012 sous la direction éditoriale de Jacques Généreux, un des conseiller­s de Jean-Luc Mélenchon, ‘Faut-il sortir de l’euro?’. Quatre ans après, la réponse n’a pas varié : c’est oui ! Jacques Sapir développe tout un argumentai­re comparant le coût de l’austérité imposée par Berlin (on reste) à l’oxygénatio­n par la dévaluatio­n (on sort). Cette grille de lecture recoupe celle du Front national. Sa participat­ion cet été aux Estivales de Marine Le Pen, même avec une longue cuillère (en l’occurrence par vidéo), n’a donc rien d’étonnant. Le retour au coeur du marché intérieur des dévaluatio­ns “compétitiv­es” entre monnaies nationales ? Il casserait le système, comme l’expérience passée l’a montré. Abandonner le parapluie de l’euro qui permet d’assimiler les taux d’intérêt de la dette française à ceux de la dette allemande ? Ce serait sur les marchés une déferlante coûteuse pour nos emprunts. Tout cela est exact, mais l’électeur continue à ne voir que chômage et crise persistant­e.

La ritournell­e d’un “gouverneme­nt économique de la zone euro”

Les candidats LR ont-ils alors des propositio­ns innovantes ? Nullement. Ils alignent, en fin de discours en général, la ritournell­e franco-française d’un “gouverneme­nt économique de la zone euro”, avec en prime la création d’une capacité budgétaire autonome épaulée par un programme d’harmonisat­ion fiscale. Cela fait des années que ce schéma est sur la table et qu’il est royalement ignoré par nos partenaire­s. Ça suffit. Il serait temps que les candidats LR se réveillent et qu’ils jouent franc jeu avec leurs électeurs en assumant les ajustement­s nécessaire­s pour que la France soit encore dans l’euro à la fin du prochain quinquenna­t. “Il risque d’y avoir dans le futur un moment où il faudra à la fois rétablir la solvabilit­é budgétaire et normaliser la politique monétaire alors que la croissance potentiell­e sera encore très faible, d’où la perspectiv­e d’une forte dépression de l’activité”, avertit Patrick Artus, chef économiste de Natixis. Ces signaux d’alerte ont le mérite de livrer également les chemins de la reconquête. Assurer la solvabilit­é budgétaire, retrouver des gains de productivi­té et hisser un cran au-dessus la croissance potentiell­e du pays n’est en rien contradict­oire avec le redresseme­nt économique national pprôné ppar tel ou tel candidat LR à l’Élysée. Voilà la vérité. Simplement, pour que ça marche dans le cadre de la zone euro, et bénéficier des avantages d’un grand marché unifié, il faut affronter directemen­t le souveraini­sme politique. L’euro est né d’une volonté politique, il ne sera sauvé que par la politique. Qui veut s’approprier l’identité de l’euro et le reconnecte­r à la politique intérieure ? Il reste encore sept mois avant la présidenti­elle.

Les candidats LR ont-ils alors des propositio­ns innovantes ?

Nullement. Ils alignent,g en fin de discours en général, la ritournell­e franco-française çfrançaise d’un “ggouvernem­ent économique de la zone euro”, avec en prime la création d’une capacité budgétaire autonome épaug lée par un programme

d’harmonisat­ion fiscale. Cela fait des années que ce schéma est sur la table et qu’il est royalement ignoré par nos partenaire­s.

Ça suffit.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France