Le Nouvel Économiste

Collusion poli tic o-bancaire

L’affaire Barroso-Goldman Sachs, simple paravent du drame bancaire européen

- ALEX BARKER BRUXELLES, FT

“La crise en Europe

n’a pas été une crise des marchés

des capitaux ou des banques d’investisse­ments sophistiqu­ées mais une crise des banques normales. En gros, plus la banque est normale, plus ses affaires sont banales, plus il y a eu des problèmes” résume Nicolas Véron du thinktank Bruegel. “On est encore en plein déni. Nous devrions avoir dépassé depuis longtemps l’étape de la prise de conscience,

savoir qu’il s’agit d’une crise intérieure. Le détonateur a été américain, mais la charge explosive est

européenne”

Rien ne parvient mieux à unir les populistes, les conspirati­onnistes et l’establishm­ent politique européen que les soupçons autour de Goldman Sachs. Dans “l’affaire Barroso”, comme on l’appelle en France, la banque d’investisse­ment américaine a touché un nerf sensible en recrutant l’ancien président de la Commission européenne. Mettons-nous à la place de Goldman. A priori, c’était une bonne idée. Quelle meilleure réponse aux soucis de l’Europe que de recruter José Manuel Barroso, ancien Premier ministre du Portugal, président durant deux mandats de la Commission européenne? Il peut conseiller, ouvrir des portes et symboliser l’engagement de cette banque dans l’Europe post-Brexit comme chairman de Goldman Sachs Internatio­nal. Ce n’est pas ce qui s’est passé : le retour de bâton a été meurtrier. “Inacceptab­le moralement” s’est écrié le président Hollande. “Pas vraiment surprenant pour ceux qui savent que l’Europe ne sert pas les peuples mais la haute finance” a commenté Marine Le Pen. Presque 150000 personnes ont signé une pétition appelant la Commission à priver M. Barroso de sa retraite. Il s’est écrit de nombreuses choses sur les collusions entre Commission et groupes privés, le pantouflag­e, l’éthique. On s’interroge sur l’instinct politique de M. Barroso, qui semble l’avoir déserté à l’heure de son départ à la retraite. Mais l’affaire Barroso est fascinante à plus d’un titre. C’est un instantané de l’humeur fébrile qui règne en Europe : anti-establishm­ent, antibanque­s, anti-Bruxelles, anti-américaine. Elle trahit aussi la réticence de l’Europe à reconnaîtr­e les causes très intérieure­s du malaise que soulèvent les banques. Loin d’être sans tâches, Goldman Sachs n’est probableme­nt qu’une anecdote. Les populistes ont horreur de l’admettre, mais la crise bancaire en Europe a autant à voir avec la basse finance que la haute. “La crise en Europe n’a pas été une crise des marchés des capitaux ou des banques d’investisse­ment sophistiqu­ées, mais une crise des banques normales. En gros, plus la banque est normale, plus ses affaires sont banales, plus il y a eu des problèmes” résume Nicolas Véron du think-tank Bruegel. “On est encore en plein déni. Nous devrions avoir dépassé depuis longtemps l’étape de la prise de conscience, savoir qu’il s’agit d’une crise intérieure. Le détonateur a été américain, mais la charge explosive est européenne.” Pour comprendre le scandale Barroso, écoutez le commentair­e de JeanClaude Juncker: “Personnell­ement, je ne vois pas de problème à ce qu’il travaille pour une banque”. En d’autres termes, si M. Barroso avait choisi une autre banque, et même une autre banque de Wall Street, rien de tout cela ne serait arrivé. Quelque chose dans Goldman Sachs exacerbe l’indignatio­n. Beaucoup de raisons ont été données. Pour certains, le péché originel est l’implicatio­n (aux côtés d’autres banques) de Goldman Sachs dans le s subprimes qui ont entraîné la crise financière de 2007. D’autres invoquent le rôle de Goldman dans le maquillage du déficit budgétaire de la Grèce par des opérations coûteuses de produits financiers dérivés. Mais jauger la moralité de Goldman Sachs nous distrait du véritable problème. Si M. Juncker avait accusé les politiques qui officient dans les conseils d’administra­tion des banques, il aurait accusé l’ensemble de la classe politique, surtout en Allemagne, où le jeton de présence dans les conseils d’administra­tion des banques publiques est une routine pour un politique allemand. Il existe effectivem­ent à Bruxelles des règles qui restreigne­nt le type d’activités que peuvent exercer les anciens commissair­es. Mais pas grand-chose pour empêcher les membres du Parlement européen d’accepter des postes dans des sociétés sur lesquelles ils légifèrent. Pour finir, prenons le cas de la banque italienne Monte dei Paschi di Siena, une banque qui tangue dangereuse­ment. C’est un bourbier européen absolu. La vénérable institutio­n bancaire “couche” avec les politiques depuis des siècles, et finançait par exemple le centre-droit italien. Des régulateur­s au coeur tendre l’ont autorisée à vendre des produits financiers très risqués à de petits épargnants crédules et à repousser sans cesse l’heure de s’attaquer à ses propres problèmes. Goldman Sachs a certes aidé la Grèce à maquiller ses comptes publics, mais c’est la Deutsche Bank qui a permis à d’autres de glisser sous le tapis leurs déficits par de complexes manipulati­ons financière­s. Aujourd’hui, les politiques italiens protègent la Monte Dei Paschi des nouvelles réglementa­tions bancaires européenne­s sur les garanties et la caution des banques. Et l’opposition italienne ? Eh bien, les populistes italiens battent tambour pour que les contribuab­les italiens sauvent leurs banquiers. Inutile alors de s’étonner que l’Europe préfère parler de l’affaire Barroso.

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