Voies indirectes
Dans les tiroirs depuis plus d’une décennie, la liaison rapide cherche encore son business plan
Pourra-t-on un jour rejoindre Paris depuis l’aéroport de Roissy dans un transport dédié ? Si les défenseurs du projet CDG Express veulent y croire, le dossier a toujours autant de mal à trouver un mode de financement qui tienne les rails. Les premières esquisses du projet sont lancées en 2002 par Réseau ferré de France (RFF). Ce dernier souhaite, à l’instar de ce qui est fait chez certains de nos voisins, permettre aux voyageurs rejoignant la capitale de le faire en empruntant un transport dédié, rapide et fiable. À l’opposé de ce qui est aujourd’hui proposé, à savoir la ligne B du RER, non adaptée aux passagers avec bagages, marquant dix fois l’arrêt et souffrant des maux du réseau ferré francilien. Déclaré d’utilité publique en décembre 2009, un premier projet de partenariat public-privé est abandonné en 2011, retardant une première fois le projet. Vinci, retenu pour mener les travaux, jette l’éponge, n’ayant pas réussi à obtenir 135 millions d’euros de subvention de la part de l’État. Le nouveau gouvernement, décidant d’accélérer sur ce dossier, opte en 2014 pour la création d’une société d’études commune entre l’État, SNCF Réseau et Groupe ADP, qui sera chargée de préparer la réalisation de la liaison sans mise en concurrence. “En effet, l’État consacrant ses moyens aux transports du quotidien, il a été jugé opportun de créer une société de projet”, explique le ministère de l’Écologie et du Développement durable. Grâce à la loi Macron, une ordonnance est signée en Conseil des ministres en février 2016, pour confier à la CDG Express Études la réalisation de l’infrastructure. Le CDG Express est un projet d’envergure, dont la fin des travaux est désormais prévue pour 2023. Sur 32 kilomètres, il reliera le terminal 2 de l’aéroport de Roissy à la gare de l’Est en 20 minutes, avec des départs tous les quarts d’heure à partir de 5 heures et jusqu’à minuit, à un tarif unique : 24 euros. Le CDG Express doit emprunter les voies déjà existantes sur 24 km ( principalement utilisées par le Transilien K, le TER Paris-Laon et le RER B). Huit kilomètres de voies nouvelles entre Mitry-Mory (Seine-etMarne) et l’aéroport, ainsi qu’un ouvrage à Paris sont nécessaires.Le tout pour un montant conséquent de 1,4 milliard d’euros, auquel s’ajoutent 300 millions d’euros pour le matériel roulant. C’est là où le bât blesse. Si le trafic estimé est important, de 6 à 7 millions de passagers par an en 2023, grâce notamment au report des usagers de taxis et de l’actuel RER, jusqu’à 9 millions en 2050, du fait de la croissance du trafic aérien, cela n’est pas suffisant pour assurer le financement du projet.
Financement problématique
L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) a rendu en février 2016 un avis positif sur la pertinence du CDG Express “sous
réserve de quelques observations” concernant le volet du financement notamment. L’Autorité constate que le montage choisi par l’État, une concession de travaux associant SNCF Réseau et Aéroports de Paris, est complexe. De plus, le gendarme du rail fait mention
de la “règle d’or” instituée par l’article L. 2111-10-1 du Code des transports. Ce dernier “introduit un strict encadrement du financement des investissements de SNCF Réseau.Il subordonne en particulier la participation financière de ce dernier à un projet de développement au respect d’un plafond pour le ratio dette sur marge opérationnelle. Ce seuil […] ne peut excéder 18, conformément à la loi.” Or avec une dette de 44 milliards d’euros en 2015, et un projet à 1,4 milliard d’euros, le ratio est largement dépassé. L’Arafer estime donc “que la participation de SNCF Réseau au capital de la société de projet créée pour réaliser la ligne CDG Express doit être par conséquent couverte
par des financements publics.” Ce à quoi le gouvernement se refuse pour le moment. Parmi les pistes envisagées de source de financement: une taxe sur les passagers aériens atterrissant ou décollant de Roissy. À hauteur d’1 euro, elle doit permettre de rapporter entre 35 et 40 millions d’euros par an. Et ainsi, apporter plus de viabilité au projet dans l’espoir de convaincre les banques et un troisième partenaire d’éventuellement rejoindre SNCF Réseau et Paris Aéroport. Cependant, sitôt évoquée, cette option a déclenché la colère des compagnies aériennes qui, si elles saluent le projet,refusent de le financer. Pour calmer la gronde, Alain Vidalies, secrétaire d’État aux transports, a lancé l’idée d’une compensation pour “que l’opération soit blanche pour Air France et pour toutes les compagnies présentes sur l’aéroport de Roissy”. Fin septembre, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi ratifiant l’ordonnance du gouvernement. Le Sénat devrait faire de même dans le courant du mois d’octobre, et ainsi permettre de
désigner l’exploitant du service CDG Express par voie d’appel d’offres, et d’enclencher les travaux. Le projet du CDG Express figure parmi les éléments clés de la candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2024. Il doit permettre également, selon les acteurs économiques, d’augmenter l’attractivité de la capitale. Selon la Chambre de commerce et d’industrie d’Ile-de-France, “la desserte des aéroports est déterminante pour le développement économique et touristique de la région capitale qui accueille chaque année 46 millions de touristes. Le secteur représente 7 % du PIB régional. Il faut mener des actions en faveur du développement des territoires aéroportuaires de Roissy-Le Bourget et d’Orly et des entreprises pour entretenir cette dynamique”. D’après la CCI, le CDG Express permettra de renforcer la position de la région dans la “compétition croissante entre les grandes plateformes internationales pour capter une part accrue du trafic passager, dont le volume mondial devrait doubler
d’ici 15 ans”. Cela permettrait également à Paris de se hisser au niveau des grands aéroports européens qui bénéficient déjà d’un transport de voyageurs dédié. La liaison rapide directe contribuera aussi à désengorger les autoroutes A1 etA3 qui figurent parmi les axes les plus chargés d’Ile-de-France. Du côté de l’opposition,représentée par le PCF, le Front de Gauche et Europe Écologie les Verts, on reprend l’argument porté par la Cour des comptes dans son rapport sur l’État du réseau ferré. Selon les magistrats, avant tout nouveau chantier, la priorité doit être donnée à l’investissement dans la maintenance des infrastructures actuelles.