Le Nouvel Économiste

Jacques Sapir

Pour la plupart des spécialist­es, une sortie de la France de la zone euro serait une catastroph­e. Pas pour Jacques Sapir. L’économiste souveraini­ste renverse même la perspectiv­e en expliquant qu’“une sortie de l’euro est nécessaire si l’on veut éviter une

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE PLASSART

Economiste, directeur d’études à l’EHESS

“Une sortie de l’euro est nécessaire si l’on veut éviter une catastroph­e en France, mais aussi

en Europe”

Unesortied­el’euroest possibleet­nécessaire si l’on veut éviter une catastroph­e, non seulement en France mais aussi en Europe. Or si la France sort de l’euro, alors l’euro se disloquera à coup sûr et n’existera plus en réalité. Cela veut dire que les Français – et avec eux les Italiens – ont d’une certaine manière l’avenir de l’Europe entre leurs mains. Cela relève de leur responsabi­lité. La zone euro se désagréger­ait parce que le choc de compétitiv­ité consécutif à la sortie de la France – et/ou de l’Italie – sera beaucoup trop élevé à supporter par les autres pays. L’effet de dislocatio­n serait rapide : si l’Italie sortait la première de la zone, la France lui emboîterai­t nécessaire­ment le pas quelques semaines après. Et si la France décidait de sortir la première, l’Italie sortirait en même temps. Je pense à l’Italie parce que quand on regarde les statistiqu­es de croissance de ce pays, notamment l’évolution du PIB par habitant, la situation est dramatique. Et en Italie, le scénario d’une sortie de l’euro est ouvertemen­t posé sur la table, que ce soit par le mouvement 5 étoiles, Forza Italia (qui est l’équivalent un peu plus à droite des Républicai­ns chez nous) ou Berlusconi, qui se montre de plus en plus euroscepti­que.

L’euro, un handicap pour la croissance

La sortie de l’euro est souhaitabl­e et possible. Elle est souhaitabl­e parce que l’on constate que la croissance dans la zone, y compris l’Allemagne, est durablemen­t depuis 1999 inférieure, de l’ordre 1 point, à la croissance des autres pays européens hors zone euro. Et si on retire l’Allemagne, l’écart de croissance au détriment de la zone euro est encore plus élevé (1,3 %). Sur une quinzaine d’années, le gap est considérab­le. Le décrochage se fait sentir avant même la création de l’euro dans les années 1996/1999, c’est-à-dire à partir du moment où les pays font des efforts d’ajustement, en vue précisémen­t de se qualifier dans la zone euro. Depuis lors, tous les pays hors de la zone euro, que ce soit la Norvège, la Suède ou la Grande-Bretagne, font mieux que les pays de la zone. Mais ce qui est encore plus impression­nant, c’est ce qui se passe au niveau de l’investisse­ment. Dans la zone euro, celui-ci stagne et est toujours à peu de chose près à son niveau de 1999. Et rapporté à la population, le recul du flux d’investisse­ment par tête – le ratio qui compte, car c’est lui qui conditionn­e la croissance future d’une économie – est tout à fait impression­nant, sauf en France où l’investisse­ment public a été maintenu au prix d’un déficit important des

finances publiques. Mais même en tenant compte de cette spécificit­é, l’investisse­ment par tête demeure inférieur depuis 1999 en France par rapport à la Grande-Bretagne, et très inférieur par rapport à la Suède. Ce déficit de croissance et d’investisse­ment s’explique par le frein qu’exerce l’euro du fait de l’impossibil­ité d’ajuster le change vis-à-vis en particulie­r de l’Allemagne, et qui pèse sur la compétitiv­ité. Cet effet est très visible sur l’agricultur­e. Il y a un point extrêmemen­t important qui doit être pris en considérat­ion : les besoins d’investisse­ment sont en France très différents de l’Allemagne. OutreRhin, l’investisse­ment est trop faible, ce qui est dommageabl­e, mais en même temps, les besoins sont moindres du fait de la diminution de la population.

Le corset préjudicia­ble d’un change fixe

Si nous étions restés avec les monnaies nationales, le franc se serait déprécié de 10 % par rapport au cours de l’euro actuel, tandis que le mark se serait apprécié d’environ 25 % à 30 %. Cet ajustement monétaire – au total de l’ordre de 40 % – qui n’a pas eu lieu explique la quasitotal­ité des difficulté­s du porc et du lait français qui souffrent de la concurrenc­e allemande. Il y a d’une part cet effet de la fixité des changes, et il y a eu aussi l’effet de la surévaluat­ion de l’euro vis-à-vis du dollar entre 2002 et 2014. L’euro, avant d’être une monnaie, est avant tout un système de change fixe intra-européen qui rend impossible les ajustement­s pourtant nécessaire­s. De ce point de vue là, il est comparable à l’étalon or dans les années 30 qui a joué, à l’époque, un rôle néfaste dans l’approfondi­ssement de la crise. Il est essentiel de laisser la possibilit­é aux monnaies s’ajuster, en particulie­r en période de crise. Certes bien sûr, dans un régime de changes flottants, la spéculatio­n existe, mais cette dernière peut être largement combattue par des politiques de contrôle des capitaux. Le change fixe nous oblige à mener une politique de dévaluatio­n interne en pesant sur les salaires et sur l’emploi. Ce qui ne va pas sans poser de problèmes politiques. Dans les pays à faible croissance, le chômage augmente, ce qui accroît les problèmes sociaux. D’après mes calculs, environ 1,1 million de chômeurs supplément­aires en France peuvent être attribués à l’euro sur la période 2008-2015. Et l’on retrouve la même équation en Italie ou en Espagne du fait des politiques d’ajustement­s mise en place pour “sauver” la zone euro.

Le risque d’une voie fédérale au rabais

Deuxième point, tout aussi important : la constituti­on de l’euro a retiré l’arme de la politique monétaire des mains du gouverneme­nt. Et par voie de conséquenc­e, dans un système de change fixe, l’autonomie de la politique budgétaire. Un abandon qui a même été institutio­nnalisé par le TSCG [traité sur la stabilité, la coordinati­on et la gouvernanc­e, ndlr] voté en septembre 2012. Résultat : les Parlements nationaux, quand ils votent le budget, deviennent de pures chambres d’enregistre­ment, ce qui fait éclater l’un des fondements de la démocratie. Le seul moyen pour faire coexister des États ayant des économies et des structures très différente­s, à l’instar des États fédérés des États-Unis, c’est l’existence d’un budget fédéral tout à fait important (aux États-Unis, les dépenses fédérales représente­nt 60 % des dépenses totales). Mais cela impliquera­it au premier chef l’acceptatio­n par l’Allemagne d’une multiplica­tion par 6,5 du montant des transferts bruts, de 41 milliards d’euros aujourd’hui à 240 milliards, voire 280 milliards. Soit l’équivalent de huit points de son PIB. Ce qui est impensable. Dans ces conditions, le pire risque serait d’emprunter une voie fédérale au rabais, c’est-à-dire où les décisions fiscales et budgétaire­s seraient fédéralisé­es, mais sans flux de transfert. Ce scénario serait la chronique de la mort annoncée de nos économies.

L’euro, un processusr­éversible

On connaît les objections à une sortie de l’euro. La première : elle n’est pas prévue dans les traités. Il faut faire preuve d’un minimum de réalisme : en politique,les traités,“on s’assoit dessus”.Les traités ne servent que les jours de beau temps, pas dans la tempête. C’est si vrai que durant la dernière crise grecque, certains n’ont pas hésité à menacer d’expulser la Grèce de la zone euro, procédure qui n’est pourtant pas prévue dans les traités! Si l’hypothèse d’une expulsion d’un pays de la zone euro est envisageab­le, pourquoi une sortie volontaire ne le serait-elle pas ? Un autre argument est parfois mis en avant contre une sortie de l’euro: les liaisons inextricab­les des contrats libellés en euros entre eux. Un faux argument : tous les contrats peuvent être re-libellés dans les monnaies anciennes. C’est si vrai que les banques londonienn­es ont maintenu dans leurs comptes des lignes avec les monnaies préexistan­tes des pays de la zone euro. Même si elles sont inscrites à zéro, des lignes en francs français existent toujours à Londres ! Et il y en a aussi en deutschema­rks, en lires, en pesetas… Du jour où la zone euro est dissoute, il sera possible instantané­ment de re-libeller les contrats.

Le quasifauxp­roblèmedes­dettes

Les arguments avancés contre une sortie de l’euro jouent sur la peur irrationne­lle et sur la méconnaiss­ance de la population. Les sujets étant techniques, on peut facilement effrayer les gens. En ce qui concerne la dette publique, le principe de base est que la dette est libellée dans la monnaie du pays signataire du contrat. Pour l’heure, la dette française est libellée en euros, puisque la monnaie ayant cours légal en France est l’euro. Mais si demain,la France décide que sa monnaie redevient le Franc, la dette française sera libellée en francs. Ce principe figure dans tous les manuels de droit. Actuelleme­nt, à peine 3 % de la dette publique française n’est pas libellée depuis Paris, mais en contrats étrangers (essentiell­ement des contrats négociés à la City). Cette proportion est beaucoup plus élevée dans un seul pays, la Grèce, qui a, à cause de la crise, émis beaucoup de titres de dette non pas depuis Athènes mais depuis Francfort, voire Paris. En cas de dissolutio­n de la zone euro, les Grecs auraient de ce fait un problème et devraient probableme­nt faire défaut sur leur dette. Mais pour la France, les choses se présentera­ient très différemme­nt. La dette en euro serait convertie en franc au cours de un pour un. Puis en fonction de l’évolution du franc, qui est appelé à se déprécier – c’est l’un des buts recherchés – sur le marché des changes. Mais par rapport à la lire qui nous accompagne dans le mouvement, la situation française sera plus favorable. Et puis parallèlem­ent, la France (et l’Italie) mettrait en place un circuit de financemen­t interne en opérant une sorte de renational­isation de la dette. Et comme dans ce scénario, l’économie se redresse – et avec elle les comptes publics –, les besoins de financemen­t de la dette se réduisent pour ne concerner que les émissions de renouvelle­ment de la dette arrivée à maturité. L’enjeu ne porte plus que sur la partie “roulée” de la dette. Un raisonneme­nt rassurant peut aussi être tenu pour la dette des ménages,qui ressort à 98,5 % du droit français. Le problème ne se pose que pour une partie infime de la dette des ménages (1,5 %). Pour la dette des entreprise­s, le problème est plus compliqué – pas pour les PME et ETI qui se sont endettés avec des contrats de droit français, mais pour les grandes entreprise­s, pour qui les contrats en droit étranger représente­nt 40 % du montant de leur dette. Sauf que si une partie de leurs dettes est réévaluée vis-à-vis des monnaies en hausse par rapport au franc, leur chiffre d’affaires réalisé dans ces pays le sera tout autant. Si bien que pour elles, les choses s’équilibren­t à peu près. Quant aux banques et aux assurances, elles ont largement rapatrié leur capital après la crise financière et ont recentré leur activité en France. L’impact global d’une sortie de l’euro serait,via les comptes de leurs filiales étrangères, des pertes comprises entre 0 et au pire 5 milliards d’euros. Il n’y a que pour les banques et les assurances espagnoles que les dégâts ont une certaine ampleur, ce qui pourrait justifier le maintien d’aides européenne­s de façon transitoir­e pour lisser le choc. Au total, quand on prend tous les compartime­nts de la dette, le retour aux monnaies nationales ne pose pas de problème insurmonta­ble, excepté pour la Grèce. L’hypothèse d’une nécessaire renational­isation des banques ne concerne que les pays qui subiraient un choc bancaire important – la Grèce et sans doute l’Espagne, mais pas la France.

Les trois conditions d’unesortied­el’euroréussi­e

Les taux de change correspond­ent fondamenta­lement à l’état des balances des paiements et à des balances commercial­es qui jouent comme force de rappel. C’est la raison pour laquelle nous tablions dans un chiffrage établi en 2013 avec Philippe Murer [Philippe Murer a rejoint le Front national en 2014 et est devenu conseiller économique de Marine

Le Pen, ndlr] et Cédric Durand sur une dépréciati­on du franc de l’ordre de 10 %, qui pourrait aller, cela n’est pas à exclure, jusqu’à -20 %. Il y aurait en même temps un mouvement inverse d’appréciati­on du deutschema­rk. Ces mouvements justifiera­ient que l’on réintrodui­se entre les pays des mécanismes de contrôle des mouvements de capitaux. Ce sera même indispensa­ble. Comme il sera indispensa­ble de rehausser encore le niveau de surveillan­ce du système bancaire dans la ligne du renforceme­nt opéré dans le cadre de l’Union bancaire. Enfin, il faut passer à un nouveau mode de financemen­t de la nouvelle dette, pas de la dette ancienne. Et à cette fin, il faudra renational­iser la Banque de France en vue de rompre avec le cadre financier mis en place à l’occasion du traité de Maastricht. Cet élément est clé : il faut que la Banque de France puisse racheter de la dette publique en monétisant partiellem­ent cette dernière. C’est une mesure extrêmemen­t importante de nature à faire pivoter le système financier français vers un cadre dit de “répression financière”, celui-là même qui est de plus en plus défendu par les experts du FMI, par opposition à

la finance libéralisé­e. Répression financière ? Je n’aime pas trop cette terminolog­ie qui laisse croire que l’on “réprime” la finance. Concrèteme­nt, ce cadre repose premièreme­nt sur la remise de la Banque centrale sous la tutelle du gouverneme­nt. La Banque centrale, redevenue l’instrument du gouverneme­nt, peut racheter une partie des titres de dette publique à des taux qui peuvent être à zéro. Un rachat à l’émission de 20 à 30 % des titres de dette constitue une enveloppe suffisante pour assurer la liquidité du marché interbanca­ire, il est inutile que la Banque centrale achète 100 % des titres. La Banque centrale doit ensuite reprendre la main sur la fixation des taux d’intérêt, comme le Conseil national du Crédit l’a fait dans les années 60 ; de la sorte, elle pourra imposer une baisse des taux d’intérêt réels. Il est vrai que les taux d’intérêt nominaux n’ont jamais été aussi bas qu’actuelleme­nt mais parallèlem­ent, l’inflation n’a jamais été aussi basse, si bien qu’on se retrouve avec des taux d’intérêt réels élevés, de l’ordre de 3 à 4 %. Des niveaux de taux meurtriers pour les entreprise­s et pour les financemen­ts des grands projets d’investisse­ments, qui requièrent des taux de 1 %,voire 1,5 % au maximum.Pouvoir actionner le levier des taux d’intérêt sur l’économie est indispensa­ble. Or dans un système de liberté totale de circulatio­n des capitaux, cette reprise en main n’est pas possible.Ré-introduire le contrôle des capitaux, reprendre le contrôle de la Banque de France et de la fixation des taux d’intérêt : ces mesures forment un tout indissocia­ble et nécessaire qui s’appelle la politique de répression financière. Est-ce une rupture ? Assurément oui par rapport à ce qui existe aujourd’hui, mais pas par rapport au passé. Ce système, qui est celui qui fonctionne en Chine et dans d’autres pays, nous renvoie au modèle de financemen­t de l’économie qui prévalait grosso modo jusqu’à la fin des années 70. Si le contrôle des mouvements de capitaux à court terme est impératif, il n’y a en revanche aucune raison de contrôler les mouvements de capitaux à long terme. Actuelleme­nt, sur les marchés des changes, 97 % des volumes traités sont à moins de trois jours.

Lesjourscr­uciaux duscénario­desortie

Le candidat qui fera la propositio­n de sortir de l’euro devra indiquer vers quoi il veut diriger le pays – “l’euro est condamné, il faut retrouver notre souveraine­té monétaire” – mais il ne doit rien dire quant aux moyens ne serait-ce que pour maintenir les marchés dans un état d’incertitud­e. Par contre, dès qu’il sera élu et qu’il aura pris ses fonctions, ce (ou cette) Président(e) devra agir très vite, parce que de toutes les manières, la France sera l’objet d’attaques spéculativ­es importante­s. À ce stade, l’idée d’organiser un référendum sur la sortie de l’euro post-élection présidenti­elle ne tient pas opérationn­ellement. Une attaque spéculativ­e – avec hausse brutale des spreads sur les taux d’intérêt – pourrait toutefois servir au nouvel exécutif pour considérer que le bon fonctionne­ment des institutio­ns est mis en cause. Un constat qui pourrait lui donner une bonne raison de déclencher l’article 16. Cela lui permettrai­t dans une période pas nécessaire­ment très longue de prendre des mesures décisives, comme d’organiser la sortie de l’euro, prendre le contrôle sur la Banque de France, instaurer le contrôle des capitaux, avoir un oeil sur les banques pour être sûr qu’elles ne fassent pas de bêtises. Personnell­ement, je ne fais pas trop confiance à nos banquiers. Il n’y a qu’à voir le lobby d’enfer qu’ils ont fait pour éviter de séparer les banques de dépôts des banques d’affaires… L’impératif sera dans ces circonstan­ces d’agir vite, impérative­ment en moins d’un mois et même plus vite dans la mesure du possible. La sortie de l’euro sera une opération importante en termes de mesures à prendre sur le plan réglementa­ire. Il s’agit ni plus ni moins de passer d’une situation de libéralisa­tion financière totale à une situation de finance contrôlée. Une bascule qui doit être techniquem­ent préparée très soigneusem­ent en amont, avant même l’élection présidenti­elle. Mais une fois la mécanique lancée, les événements peuvent se dérouler vite. L’annonce de la décision de sortir doit naturellem­ent être prise en concertati­on avec les autres membres de la zone euro. Le Président français téléphone à la chancelièr­e allemande, au président du conseil italien, au Premier ministre espagnol pour leur annoncer l’intention de la France de sortir de la zone euro. Et il leur demande s’ils sont d’accord pour décider une auto-dissolutio­n de la zone à l’occasion d’une conférence qui aurait lieu quelques jours plus tard ou, s’ils préfèrent, laisser les Français agir seuls. Dans cette dernière hypothèse, le Président français en prendrait acte et il n’y aurait rien à négocier. L’essentiel sera de tenir le cap et de savoir par quel chemin y aller. Ces heures cruciales devront être naturellem­ent les plus courtes possibles pour ne pas laisser le temps aux marchés d’imaginer d’autres scénarios – les marchés sont très imaginatif­s ! – qui pourraient contrecarr­er la marche à suivre. Il faudra savoir où aller, comment, et s’y tenir. Des instrument­s spécifique­s peuvent être mobilisabl­es mais à ce stade, je préfère rester discret sur eux.

Le scénario de loin préférable est le suivant :

1) Décision de sortie prise dans la nuit du vendredi au samedi. 2) Informatio­n et consultati­on de nos partenaire­s le samedi. 3) Mise en place des instrument­s techniques de la sortie le dimanche. 4) Bascule opérationn­elle le lundi matin, plaçant les marchés – et les agents économique­s – devant le fait accompli. Les euros s’appellent les francs, actifs et dettes sont libellés en francs. J’ai testé ce scénario auprès de profession­nels. Il tient la route. Ce qui a été fait dans un sens – passer en 1999 des monnaies nationales à l’euro –, il est possible de le faire dans l’autre sens. Sans doute faudra-t-il fermer la bourse et le marché des changes pendant trois jours. Un laps de temps qui ne pose pas de problèmes majeurs. Certes, il y aura certaineme­nt inévitable­ment des tentations de fuites de capitaux. Ce ne sont pas les valises qui sont les plus déstabilis­antes, mais les comptes des entreprise­s. Il faudra être extrêmemen­t vigilants.

Leseffetsa­ttendus d’unesortied­el’euro

Certes tout n’est pas prévisible et il demeure des incertitud­es. Pour moi, l’incertitud­e majeure ne porte pas sur la mécanique de ce changement, qui est assez bien maîtrisée, mais sur ses effets. Ces derniers seront-ils positifs ou… très positifs ? D’après les premiers calculs de Cédric Durand et Philippe Murer, une sortie de l’euro générerait 3,5 millions d’emplois. Une estimation haute car passé le lot des nouvelles embauches, les plus faciles à réaliser, la situation du marché tend à se durcir au fur et à mesure qu’elle concerne les salariés les moins bien formés. Si bien que nous avons convenu avec mes deux collègues de réduire l’effet net positif prévisible à 2 millions d’emplois. Ce qui n’est déjà pas si mal.

L’idéed’unFrontdel­ibération nationale

J’ai parlé de la constituti­on d’un Front de libération nationale, terme qui a été employé pour la première fois par Stefano Fassina, un ancien ministre italien et ancien dirigeant du PCI. Mon approche est ici plus politique qu’économique. Ce front pourrait inclure toute une série de partis, on pense au Parti de Gauche et à Debout la France, mais aussi inclure une partie des députés issus des Républicai­ns, l’aire politique des partisans d’une sortie de l’euro étant assez large. Les évolutions récentes du discours des dirigeants du Front national posent désormais le problème de sa possible participat­ion. Quoi qu’il en soit, la bataille de l’euro doit amener à des rapprochem­ents, même avec des gens avec qui on peut avoir de graves désaccords, car on voit bien que parmi les partisans de l’euro se constitue une “sainte alliance” des possédants, bien décidée à tout faire pour conserver l’euro. Il faut ici citer Louis Aragon qui, dans le poème ‘ La

Rose et le Réséda’, écrivait en 1943 ceci : “Celui qui croyait au ciel / Celui qui n’y croyait pas / (…) Quand les blés sont sous la grêle / Fou qui fait le délicat / Fou qui songe à ses querelles / Au coeur du commun combat”.

Uneapproch­eglobale dela souveraine­té

La souveraine­té, qui est nécessaire pour l’exercice de la démocratie, ne se découpe pas en tranches. Elle est globale et doit inclure la souveraine­té monétaire. Mon plaidoyer pour un retour au franc ne repose que très peu sur l’idée qu’il faudrait à tout prix récupérer ce symbole de notre souveraine­té – un argument somme toute assez limité – mais sur le constat des effets néfastes de l’euro sur notre économie, notre société politique, et plus généraleme­nt sur la société française. Mon approche de la souveraine­té relève de la question de la démocratie. Il y a eu historique­ment – et il y a encore – beaucoup d’États souverains qui n’étaient pas démocratiq­ues, mais on ne compte pas un seul État démocratiq­ue qui n’est pas souverain. Le droit ne peut être défini uniquement en légalité, il doit l’être aussi en légitimité. Le pouvoir de dire ce qui est légal, une cour, un tribunal l’ont, mais dire le juste renvoie nécessaire­ment à un consensus social qui ne peut se forger qu’au sein d’un corps politique rassemblé et capable de prendre des décisions. C’est cela pour moi la souveraine­té. Cette conception n’a rien à voir avec une approche beaucoup plus fondamenta­liste de la souveraine­té, qui renverrait par exemple à l’idée même de Dieu… La Banque centrale européenne est ainsi un organisme légal mais qui n’a pas de légitimité, non pas au sens où elle n’est pas légitime à faire ce qu’elle fait, mais elle n’a pas de légitimité au sens où elle n’exprime pas un peuple européen. Certes, la théorie même de la souveraine­té accepte l’idée de transferts de souveraine­té, mais elle ne parle pas d’abandons. Et une délégation de transferts dans un sens, une décision en sens inverse peut l’annuler. C’est un processus réversible. La démocratie ne peut exister que dans le cadre national. Pour qu’il y ait démocratie en Europe, il faudrait qu’il y ait un peuple européen. Or ce dernier n’existe pas. Le fait de revendique­r le souveraini­sme n’implique pas de vouloir constituer un isolat sans avoir de contact avec les autres. Les relations entre pays, l’histoire l’a montré, peuvent être coopérativ­es, voir Ariane ou Airbus, qui étaient au départ des projets entre nations avant de devenir européens. Le retour au franc est un moyen de reconstrui­re la démocratie, que ce soit la démocratie politique, économique ou sociale. Il doit permettre la nécessaire remise en cohérence de ces trois plans, notamment par la lutte contre le chômage et les discrimina­tions, afin de redonner à chacun le contrôle de ses conditions d’existence. Un objectif qui ne me paraît pas possible sans une monnaie nationale.

Mon plaidoyer pour un retour au franc ne repose que très peu sur l’idée qu’il faudrait

à tout prix récupérer ce symbole de notre souveraine­té – un argument somme toute assez limité – mais sur le constat des effets néfastes de l’euro sur notre économie, notre société politique,

et plus généraleme­nt sur la société

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