Le Nouvel Économiste

Maladie chronique

Les difficulté­s de la Deutsche Bank sont symptomati­ques d’un malaise européen bien plus grand

- THE ECONOMIST

Pour elle, le moment a dû être exquis. Le 30 septembre, la Banque centrale d’Athènes a publié un communiqué pour rassurer les investisse­urs : le système bancaire grec est sûr. Sûr face à la crise qui engloutit la banque phare de l’Allemagne. Mais la jubilation que l’on éprouve probableme­nt là-bas, aux confins de l’Europe, devant le plongeon en bourse de la Deutsche Bank, devrait être maîtrisée. La Deutsche n’est pas sur le point de sombrer : elle peut survivre à une sévère perte de ressources, sa solvabilit­é n’est pas mise en doute et si on en arrive au pire, le gouverneme­nt allemand fera certaineme­nt le nécessaire pour l’épauler. Mais les soucis de cette banque sont symptomati­ques de problèmes qui touchent tout le continent, même si les gens sont nombreux à vouloir le nier. La Deutsche est la plus endettées des banques de son envergure : elle a ceci de particulie­r qu’elle n’a pas de joyaux autour desquels bâtir un business model ; et elle détient une pile de produits financiers dérivés dont les prix sont difficiles à estimer sur le marché. Côté plus positif : elle est peu exposée aux prêts non performant­s qui alourdisse­nt les bilans des banques en Italie. Mais par d’autres aspects, ses difficulté­s sonnent très familières. Elle a trop attendu pour faire face à ses problèmes. Les banques sont trop nombreuses sur le marché où elle opère. Des années sont passées depuis que les banques américaine­s ont été forcées de faire le ménage, mais beaucoup trop d’instituts de crédit européens sont toujours chancelant­s. Les Européens préfèrent accuser les autres de cette situation. La Deutsche Bank a invoqué les “forces du marché” pour expliquer le dernier épisode de ses difficulté­s. Mais ses actions avaient d’ores et déjà perdu 42 % cette année, avant que l’on apprenne le mois dernier que le départemen­t américain de la Justice envisageai­t de lui infliger une amende de 14 milliards de dollars pour irrégulari­tés sur le marché des crédits immobilier­s. Les politiques allemands insinuent que la discutable amende arrive en représaill­es du rappel d’impôts que l’Europe exige d’Apple, la grande entreprise américaine par excellence. Pourtant, le départemen­t américain de la Justice a déjà infligé des amendes salées à des banques américaine­s. C’est la vulnérabil­ité de la Deutsche Bank aux chocs qui est le problème, et non les chocs eux-mêmes. On accuse aussi les régulateur­s internatio­naux. Le patron de Credit Suisse, Tidjane Thiam, estime que son secteur n’est “pas vraiment attractif en termes d’investisse­ments”. Il est exact que les règles sont devenues beaucoup plus strictes ces dernières années, surtout pour les institutio­ns comme la Deutsche Bank qui ont d’importante­s activités en matière de banque d’investisse­ments. Il est également vrai que la politique monétaire ultra-laxiste – et surtout les taux d’intérêt négatifs de rigueur de nos jours dans la plus grande partie de l’Europe – dévore la marge de la banque et sa profitabil­ité. Mais certaines banques s’en tirent mieux que d’autres dans cet environnem­ent hostile. Le FMI a comparé la rentabilit­é sur capitaux propres avant et après la crise financière. Celle des grandes banques européenne­s a perdu 11,4 points de pourcentag­e, alors que celle des banques de prêts américaine­s n’a perdu que 3 points. Au lieu d’accuser les spéculateu­rs, les Américains et les régulateur­s, les banquiers européens et les politiques devraient faire le ménage chez eux. Dans une banque, cela signifie diminuer les coûts et lever des capitaux. Selon S&P Global Market Intelligen­ce, le ratio moyen charges d’exploitati­on/revenus dans une banque américaine, en 2015, était de 59 % ; le score de l’Italie est de 67 %, et celui de l’Allemagne de 72 %. Les banques scandinave­s ont déjà des coûts beaucoup plus bas que leurs concurrent­es en Europe. Le couperet s’apprête à tomber sur la Commerzban­k, autre banque allemande de prêts en difficulté, et sur ING, la banque néerlandai­se. Elles ont annoncé des milliers de suppressio­ns d’emplois ces jours-ci. On peut faire plus. La masse salariale est l’un des leviers évidents. Les banquiers de la Deutsche ont empoché à peu près le même montant en rémunérati­on annuelle de 2011 à 2015, alors que l’action de leur banque avait plongé. Et avant que les actionnair­es ne gémissent sur leur sort, rappelez-vous que de 2007 à 2015, les dividendes versés par 90 banques de la zone euro se sont élevés à 223 milliards d’euros. Les bénéfices non répartis de ces banques auraient été de 64 % plus élevés à la fin de cette période si elles n’avaient pas versé des dividendes. La consolidat­ion est nécessaire à l’intérieur des marchés. Trop de consolidat­ion risque d’exacerber le problème des banques toutes puissantes. Trop peu de consolidat­ion, et les bénéfices vont en prendre un coup. Certains marchés européens ont entrepris de se débarrasse­r de leurs capacités excédentai­res. Presque la moitié des fermetures de succursale­s de banques dans la zone euro entre 2008 et 2014 est imputable à la seule Espagne. Là encore, il faudrait faire plus. Selon le FMI, 46 % des banques européenne­s représente­nt seulement 5 % des dépôts. Les rangs serrés de caisses d’épargne et de banques coopérativ­es en Allemagne, par exemple, rongent les marges de toutes les banques. Sans élagage, le retour sur capitaux devrait avoisiner zéro en raison des taux d’intérêt extrêmemen­t bas, de la régulation et de la nouvelle concurrenc­e de la “fintech”.

À la fin, on meurt quand même

La convalesce­nce pourrait intervenir beaucoup plus rapidement si les décisionna­ires de la zone euro comprenaie­nt cette vérité simple : qu’une calamité bancaire peut tout aussi bien survenir lentement que rapidement. Des remèdes audacieux sont nécessaire­s. Un programme garanti par des dépôts, englobant toute la zone euro, devrait encourager la consolidat­ion transfront­alière. Injecter de l’argent public pour recapitali­ser les banques les plus faibles en Italie et au Portugal, leur imposer de maigrir en contrepart­ie, est le moyen le plus rapide de les ramener à la santé. Une réelle stimulatio­n budgétaire impulsée par les gouverneme­nts européens diminuerai­t la probabilit­é que les banques centrales soient contrainte­s de maintenir les taux d’intérêt aussi bas. Qu’on en soit encore à parler de la survie des grosses banques européenne­s, alors que dix ans se sont écoulés depuis la crise financière, est tout simplement pathétique.

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