Le Nouvel Économiste

Deutsche Bank, les leçons à tirer

Plus de 9 ans après la crise financière, les banques sont encore et toujours des accidents qui attendent de se produire

- MARTIN WOLF, FT

Toutes les banques sont fragiles, mais certaines le sont plus que d’autres. Voilà la première leçon à tirer du désordre boursier provoqué par la Deutsche Bank. Il y a beaucoup d’autres leçons : la méthode utilisée pour sanctionne­r les banques pour leurs erreurs ressemble plus à une opération au tromblon qu’au pistolet. Et il est toujours compliqué de recapitali­ser des banques sans argent public. Par-dessus tout, plus de 9 ans après la crise financière mondiale, les inquiétude­s sur la santé du système financier restent élevées, surtout en Europe. Ce qui ne devrait surprendre personne. Mais qui devrait inquiéter. En gros, la cause du problème de la Deutsche Bank est le Départemen­t américain de la Justice, qui lui réclame 14 milliards de dollars de réparation­s à l’issue de son procès contre les banques qui ont vendu des créances sur les crédits immobilier­s en Amérique à mauvais escient. Mais cette banque est structurel­lement faible. Son nom induit aussi en erreur : elle n’a pas une base de clients solide en Allemagne, où le système bancaire est très fragmenté. La Deutsche Bank est avant tout une banque d’investisse­ment à l’internatio­nal, et donc elle ressemble beaucoup à Goldman Sachs. Pour préserver une forte rentabilit­é, la Deutsche Bank est très endettée, comparée à ses concurrent­es. Environ la moitié de ses 1,8 trilliards d’euros d’actifs sont liés à ses activités de trading. Une partie importante de ces actifs (28,8 milliards d’euros au total) n’ont pas de prix de marché. Même selon les normes suivies par ses concurrent­es, la Deutsche Bank est une banque très endettée, aux activités troubles et aux actifs opaques.

Que nous révèle ce scandale ?

La première leçon est que les activités bancaires restent des business très fragiles. Par nature, les banques sont des entités très endettées avec des passifs ultra-liquides et des actifs encore plus illiquides. Les bilans de beaucoup de banques sont par ailleurs énormes. Les clients voient les passifs liquides des banques comme des réserves très fiables de valeurs et de moyens de paiement. Ensuite, les banques sont extrêmemen­t interconne­ctées. Directemen­t, par leurs transactio­ns avec les autres banques, et indirectem­ent, par l’euphorie ou la panique. Les rendements élevés sur capitaux propres qu’elles promettaie­nt avant la crise dépendaien­t de leur très fort endettemen­t, et par là même du soutien des contribuab­les quand le krach s’est produit. Même des banques solides ont bénéficié des aides post-crise accordés à leurs consoeurs plus faibles, car leurs contrepart­ies ont pu de cette façon tenir bon, et par là, tout le système. Les banques publiques ayant servies de cautions en matière de liquidités et de solvabilit­é, elles aussi ont été contrainte­s, elles aussi, d’imposer des règles encore plus strictes. Le dernier krach boursier nous remet tout ceci en mémoire. La deuxième leçon est que la façon dont les régulateur­s ont sanctionné les banques pour leurs nombreux délits n’est pas bonne. Il est logique de punir les actionnair­es pour les méfaits des banques dont ils détiennent des parts. Mais on ne voit pas quelle est la logique de pénalités tellement énormes qu’elles mettent en péril l’existence même de la banque sanctionné­e. Beaucoup plus important : l’idée que les actionnair­es contrôlent les banques est un mythe. C’est la direction qui est responsabl­e. Il est découragea­nt de voir punis les actionnair­es et quelques petits poissons parmi le personnel, alors que les décisionna­ires, ceux qui ont dirigé ces banques, s’en tirent à peu près indemnes. C’est l’une des raisons qui expliquent l’ascension d’un Donald Trump. Le seul montant, énorme, des pénalités envisagées envers les actionnair­es de la Deutsche Bank illustre cette anomalie. Une troisième leçon : les banques sont toujours sous-capitalisé­es par rapport à leurs bilans, comme Anat Admati et Martin Hellwigg l’ont souligné. À l’heure actuelle, nous n’avons pas de méthode éprouvée pour pallier à cette situation. Alors, quand les gouverneme­nts assurent qu’il est hors de question pour eux de sauver les banques, rares sont ceux qui les croient, surtout dans le cas de la Deutsche Bank, vu sa taille et son importance. La Banque centrale européenne a proposé comme option un sauvetage temporaire. Mais il est difficile de croire que de tels sauvetages puissent un jour être interrompu­s. Concrèteme­nt, les créanciers privés détaleraie­nt et le gouverneme­nt se retrouvera­it propriétai­re de la banque en question. Adam Lerrick, de l’American Enterprise Institute, a proposé une solution en miroir : un bail-in temporaire de créanciers privés renflouera­it la banque en capitaux à un niveau acceptable. Son plan part du besoin d’éviter de nouveaux sauvetages par les gouverneme­nts. Si la banque provoque seulement une panique temporaire, elle lèverait de nouveaux fonds une fois les inquiétude­s évaporées. Les titres des créanciers pourraient alors être convertis en dette, à valeur égale. S’il s’avère impossible de lever des capitaux classiques plus tard, parce que le déficit en capitaux classiques est structurel, le bail-in deviendrai­t permanent. Pour protéger les petits créanciers, seul l’excédent des parts de chaque investisse­ur audelà de, disons, 200 000 euros, serait converti en capital. La probabilit­é d’un tel bail-in, et la probabilit­é qu’il devienne permanent, jouerait sur le prix de la dette, comme il est normal. En résumé, le problème des banques est toujours présent. Le danger vient du fait qu’elles sont par essence des institutio­ns fragiles. Il est aussi probable que les bilans dont elles ont hérité après les excès de la période pré-crise ne sont pas suffisamme­nt profitable­s, et qu’ils devront être revus à la baisse. Plus important que tout : les effets à venir des nouvelles technologi­es de l’informatio­n et des business models de la finance sur la santé des banques traditionn­elles, surtout quand on voit les dégâts infligés à leur réputation de compétence et de probité. Beaucoup ajouteraie­nt à cette liste l’impact sur la rentabilit­é qu’ont les politiques monétaires ultra-laxistes des banques centrales. Pourtant, notons que celles-ci reflètent aussi le malaise économique de la période post-crise. Si les politiques monétaires étaient plus strictes et les économies plus faibles qu’elles ne le sont aujourd’hui, le secteur bancaire serait plus faible, lui aussi. Il n’y a pas si longtemps, les banques italiennes monopolisa­ient l’attention. Aujourd’hui, c’est la Deutsche Bank. Selon toute probabilit­é, même cette dernière ne déclencher­a pas une grosse crise. Mais les risques restent élevés dans le secteur. La solution est de s’assurer que les banques ont les capitaux nécessaire­s à tout moment ou, en leur absence, une dette convertibl­e en bail-in d’un niveau suffisant. En l’absence de l’un ou de l’autre, une banque reste un accident qui attend de se produire.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France