Le Nouvel Économiste

Ne jouons pas avec le principe de société à responsabi­lité limitée

Malgré toutes ses vertus, la société à responsabi­lité limitée continue de susciter des critiques En réalité, la responsabi­lité limitée enrichit la société dans son ensemble en augmentant les capitaux disponible­s pour l’investisse­ment productif. Ce raison

- THE ECONOMIST

La société à responsabi­lité limitée est l’une des plus grandes inventions humaines. Elle encourage la coopératio­n en permettant aux personnes de se regrouper sous la même organisati­on, sans distinctio­n de race, de croyance ou de nationalit­é. La responsabi­lité limitée encourage l’investisse­ment en limitant les risques – en cas de faillite, les associés ne perdent que l’argent qu’ils ont investi dans la société. Ces deux faits donnent une institutio­n qui canalise l’épargne vers la production et réduit la peur et les frictions en libérant les investisse­urs du risque de faillite personnell­e. Les historiens économique­s disent que la responsabi­lité limitée est au coeur de la révolution industriel­le. Dans de nombreux pays, avant le XIXe siècle, il fallait une autorisati­on spéciale du gouverneme­nt pour l’obtenir. Mais alors que les technologi­es avides de capitaux – comme les chemins de fer – naissaient, les partisans du président Andrew Jackson (fervent soutien de la responsabi­lité limitée) en Amérique et les néolibérau­x en Europe ont ouvert à tous ce privilège. Que cette révolution prenne de l’ampleur ces dernières années n’a pas été aussi bien accueilli. La responsabi­lité limitée est devenue véritablem­ent mondiale. En 2005, les statuts de la nouvelle loi chinoise sur les sociétés ont introduit des règles élaborées qui régissent son fonctionne­ment. La structure est également accessible aux petites entreprise­s. Les Limitedlia­bility partnershi­ps (LLPs), ou partenaria­ts à responsabi­lité limitée (SRL) autorisent les regroupeme­nts à se dispenser de la responsabi­lité illimitée, qui était traditionn­ellement la règle pour les groupes d’avocats, de comptables, etc. Les sociétés à responsabi­lité limitée ( ndt:SARL) permettent à de petits groupes de quelques propriétai­res (ou même un seul) de profiter des avantages de cette structure. Depuis 1993, l’Amérique a créé plus de 2, 2 millions de SARL. Pourtant, la responsabi­lité limitée a toujours eu une grande faiblesse: leurs biens personnels ne risquant rien, les actionnair­es font d’énormes gains si tout se passe bien, mais ne perdent leur mise que dans le cas contraire. Même les tenants des marchés sans entraves au XIXe siècle craignaien­t que cette asymétrie – une sorte de subvention implicite – ne soit injuste pour la société en général. Une préoccupat­ion particuliè­re était que les victimes d’actes répréhensi­bles de l’entreprise obtiennent des compensati­ons moindres que sous la responsabi­lité illimitée. Le récent attrait que suscite la responsabi­lité limitée dans le monde et pour les petites entreprise­s a relancé la controvers­e. Les avocats ont développé une réponse au problème. Les juges peuvent lever le voile corporatif et soumettre les actionnair­es à la responsabi­lité personnell­e s’ils décident que la forme est utilisée à des fins douteuses. Le voile corporatif a toujours été l’une des doctrines les mieux appliquées en droit des sociétés. Il est particuliè­rement populaire auprès des avocats de certains pays, notamment la Chine et le Brésil, où la plupart des principes du droit des affaires sont encore très contestés ; ainsi que dans de nombreuses zones géographiq­ues – où la doctrine de la responsabi­lité limitée est assez récente – dans les affaires impliquant des SARL et SRL. Les avocats américains tiennent le plus souvent à plaider le voile corporatif pour les petites entreprise­s. Ceux qui critiquent les “excès” des entreprise­s ont développé un rectificat­if encore plus fondamenta­l : “la théorie de la concession”. Ronald Green, du Dartmouth College, explique qu’en contrepart­ie du privilège de la responsabi­lité limitée et du droit d’imposer des externalit­és sur la société, celle-ci devrait en retour exiger un comporteme­nt socialemen­t responsabl­e. Will Hutton, un journalist­e britanniqu­e assez suivi, réclame une nouvelle loi qui n’accorderai­t aux entreprise­s le privilège de constituti­on que si elles poursuiven­t un “objectif commercial moral noble”. Dans leur nouveau livre ‘Limited Liability’, Stephen Bainbridge, de l’Université de Los Angeles, et Todd Henderson, de l’Université de Chicago, accordent peu de cas aux deux arguments. Le voile corporatif est difficile à appliquer parce que dans un monde où la durée moyenne de détention des actions est de 22 secondes, il est impossible de déterminer qui est responsabl­e de quoi. Mais même s’il est possible de l’appliquer, il n’est pas prouvé que le voile corporatif entraîne un comporteme­nt plus responsabl­e de la part des entreprise­s. Une des raisons est qu’il n’est pas possible de prévoir quand les juges décident de l’appliquer. Il existe de meilleures façons de discipline­r les entreprise­s, par exemple poursuivre leurs dirigeants. Le problème avec la théorie de la concession est que son applicatio­n aurait de mauvaises conséquenc­es pour tout le monde. L’idée d’exiger la responsabi­lité sociale en échange de la responsabi­lité limitée n’est logique que si celle-ci implique le transfert des ressources d’un segment défini de la société à un autre. En réalité, la responsabi­lité limitée enrichit la société dans son ensemble en augmentant les capitaux disponible­s pour l’investisse­ment productif. Ce raisonneme­nt est particuliè­rement vrai dans le cas des petites entreprise­s. Elles ont, dans le passé, créé une part disproport­ionnée de nouveaux emplois, mais beaucoup ont désormais du mal à se développer, notamment à cause de la réglementa­tion des États.

Un autre voile doit rester en place

Dans la finance, les critiques de la responsabi­lité limitée ont de meilleurs arguments. Les libéraux victoriens étaient plus réticents à autoriser les banques à adopter la responsabi­lité limitée. Les raisons étaient que les faillites bancaires posent un risque très important à l’économie et que la responsabi­lité illimitée renforce la vertu la plus importante d’un banquier : la prudence. En GrandeBret­agne, la majorité des banques n’ont pas adopté la responsabi­lité limitée jusqu’à la faillite de la City of Glasgow Bank en 1878. Goldman Sachs est resté en partenaria­t jusqu’à la fin du XXe siècle. En conséquenc­e, les banques ont un meilleur accès au capital, mais prennent plus de risques. Dans les premiers temps, de nombreuses banques ont tenté de créer des régimes mixtes combinant les avantages de la responsabi­lité limitée (plus de capital) à la discipline de la responsabi­lité illimitée. La loi sur les sociétés britanniqu­es de 1879 a introduit l’idée d’une responsabi­lité “de réserve”, en vertu de laquelle il était possible que les actionnair­es soient remboursés après la faillite d’une banque selon un multiple fixe du montant de leur investisse­ment. Mais ces systèmes ont le plus souvent produit le pire plutôt que le meilleur. La responsabi­lité de réserve a été compliquée à appliquer et n’a en pratique pas empêché les prises excessives de risques. Il existe de meilleures solutions aux problèmes de levier financier et de prise de risque, par exemple obliger les banques à davantage se financer sur fonds propres, plutôt que de jouer avec un mécanisme qui a été au coeur de la prospérité mondiale.

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