Le Nouvel Économiste

La sélection par la capacité à réformer

Les programmes sont peu ou prou les mêmes. La sélection se fera sur la capacité à mettre réellement en place des réformes qui sont loin d’être consensuel­les dans le pays. Il demeure un grand vide autour d’un projet qui ressemble à un livre de comptes. Il

- JEAN-MICHEL LAMY

C’est inédit. Six mois avant le premier tour de la présidenti­elle, le 23 avril prochain, la stratégie économique du futur leader de la droite et du centre est ficelée presque dans ses moindres détails. De fait, les disputes entre les sept candidats à la primaire cachent mal une vraie convergenc­e des solutions. Ce qui revient à prendre un double risque. Devenir la cible constante de tous les lobbys bousculés par une promesse de réforme prise au sérieux. Être sans cesse interpellé et jugé sur la capacité à mettre en oeuvre le programme. L’électeur d’un camp redoute en priorité l’impuissanc­e publique de son propre camp !

La sélection se fera sur la déterminat­ion sans faille

Comment sortir de ce double piège ? Le vainqueur de la primaire aura d’abord à multiplier les rencontres pédagogiqu­es pour justifier ses choix et arriver à un diagnostic partagé sur la façon de résoudre les problèmes de la société économique française. Ce travail n’a pas commencé, puisque nous en sommes encore au stade de la dispute sur le registre “mes propositio­ns sont plus musclées que les tiennes”. Ensuite, il s’agira de retrouver la confiance de différents publics, “ce qui manque entre nous”, comme le dit souvent Alain Juppé. Un “nous” qui renvoie au discrédit de l’action politique. Favori ou pas, personne n’y échappe. Ces enjeux essentiels sont actuelleme­nt masqués par les étapes médiatique­s autour de la désignatio­n du champion de la droite. La supposée “certitude” (selon les sondages…)g) de tel ou tel de parvenir à l’Élysée est certes un atout, mais la sélection se fera tout autant sur la déterminat­ion sans faille qu’affiche tel ou tel. C’est le créneau que guigne Nicolas Sarkozy. Tous savent en tout cas qu’au soir du second tour de la primaire, il restera seulement 20 semaines pour convaincre l’opinion d’une garantie de bonne fin sur le projet. C’est très court, quand il s’agit d’aller à l’encontre de pas mal d’idées reçues. Si les énoncés économique­s des Sept de la primaire sont sur une longueur d’onde voisine, ils sont loin d’être consensuel­s dans l’ensemble du pays.

Divergence­s à la marge

Bémols du chrétien-démocrate Jean-Frédéric Poisson mis à part, l’énumératio­n du stock de mesures commun aux six Les Républicai­ns (Jean-François Copé, François Fillon, Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet, Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy) est certes impression­nante : baisse des dépenses publiques et retour à l’équilibre budgétaire en fin de quinquenna­t, suppressio­n de l’ISF (NKM le transforma­nt en obligation d’investir), relèvement de l’âge de départ à la retraite, diminution du nombre de fonctionna­ires, réduction massive des charges pesant sur les entreprise­s accompagné­e de baisses ciblées ou non des impôts sur les ménages. Il n’y a de vraie divergence que sur le recours à la hausse de la TVA. Nicolas Sarkozy s’y refuse au motif que François Hollande a déjà utilisé le procédé : “on ne sera pas élu pour faire la même politique fiscale”. Il y a également un spectre plus large de modalités sur la suppressio­n totale ou très progressiv­e des 35 heures légales, et sur celle des effectifs de fonctionna­ires. C’est presqueq secondaire. À regarder ce déroulé, lesétip quettes de bonapartis­te (SarkozyCop­é), d’orléaniste (Juppé-Le Maire), de légitimist­e (FillonPois­son), voire de droite disruptive (néologisme inventé pour Kosciusko-Morizet) volent en éclats au bénéfice d’un unanimisme économique. Qu’est-ce que cela dit sur la suite des événements ?

Manque l’essentiel, une vision de la société

Eh bien qu’il demeure un grand vide autour d’un projet qui ressemble à un livre de comptes. Il lui manque de s’incarner politiquem­ent dans une vision de la société. Pour éviter d’être coincés par leurs adversaire­s dans le corner “infamant” de l’ultralibér­alisme, l’équipe des LR doit d’urgence accrocher à son fanion un slogan rassembleu­r, du genre conservati­sme progressis­te ou renouveau dans la solidarité. On verra si l’opportunit­é de prochains débats est saisie. “Ma politique, c’est tout pour l’emploi”, a coutume de rétorquer Alain Juppé. Mais les enchaîneme­nts qui conduisent à ce résultat restent incompris, surtout si l’on y ajoute des facteurs d’inquiétude sur le passage à 37 heures ou 39 heures pour les fonctionna­ires, ou encore sur la fin du monopole de présentati­on aux élections profession­nelles pour les syndicats. Les questions du style “où supprimez-vous les 300 000 fonctionna­ires ? C’est formidable d’avoir des professeur­s ou des agents de service public” seront incessante­s. La logique qui sous-tend l’ensemble du projet consiste à affirmer que le travail crée le travail, ou pour le dire plus crûment, que les Français ne travaillen­t pas assez par rapport aux concurrent­s. Ce qu’attestent amplement les statistiqu­es annuelles, seules pertinente­s en la matière. Las, au pays des 35 heures et des RTT, cette logique-là est toujours un obstacle à une large adhésion collective.

Les racines du mal

C’est pourquoi avant de s’embarquer dans une accumulati­on de promesses chiffrées, il est de bonne pédagogie de partir des racines du mal. Pour réparer la France économique, il faut agir sur trois défaillanc­es bien repérées par les études de Natixis. Un, la désindustr­ialisation qui provient de l’incompatib­ilité entre un niveau de gamme trop bas et des coûts de production trop élevés. D’où la nécessité de disposer d’une fiscalité du capital souriante aux investisse­urs-modernisat­eurs. Deux, un niveau anormaleme­nt élevé du chômage des jeunes et des peu qualifiés. D’où, par exemple, la nécessité de recourir à l’apprentiss­age dès 14 ans. Trois, une croissance potentiell­e à 1 % trop faible pour assurer la solvabilit­é budgétaire du pays. D’où la nécessité de maîtriser le déficit structurel (hors conjonctur­e) – quelles que soient les prescripti­ons de Bruxelles – et de ne pas laisser accroire qu’une expansion à 2 % est au coin de la rue.

L’acceptabil­ité sociale des réformes

Ces impératifs de bien commun constituen­t un socle pour asseoir une crédibilit­é et l’acceptabil­ité sociale des réformes. En quelque sorte, ils précédent la mécanique des programmes. Ce que les leaders de la droite refusent de voir. Comment dans ces conditions parvenir à une garantie de réussite, compte tenu des résistance­s probables de plusieurs secteurs de la société civile au changement ? La réponse, en particulie­r des juppéistes, est invariable : “nous aurons la légitimité pour agir parce que tout aura été annoncé avant le vote qui nous aura portés au pouvoir”. C’est la nouvelle version du “ça passe ou ça casse”. Sur Europe 1, Alain Juppé précise : “je vais essayer d’éviter les blocages en étant prêt pour agir vite grâce à une batterie de textes, lois et ordonnance­s”. Là, c’est la nouvelle version de la guerre éclair. “Le changement, c’est la confiance”, promet Alain Juppé. Tout serait dans la méthode ! La récupérati­onp complètep de l’autorité de l’État sur ses propres décisions ne sera en réalité pas si aisée que cela. Les zadistes qui occupent à Notre-Dame-desLandes leur “zone à défendre” en savent quelque chose. Même avec une majorité absolue aux législativ­es, le chemin de la réforme s’apparenter­a à une longue marche. Nul ne change radicaleme­nt un pays en 100 jours.

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