Les affres du french management
Du manager au leader, du management au leadership
Désimpliqués, démotivés, peu engagés… Le moral des salariès auscultés par quelques experts inquiète tant le phénomène a pris des proportions inquiétantes. PPrès des ¾ des plans de transformat tions échouent du fait du peu d’etten ntion porté au facteur humain et quatre salariés sur cinq seraient peu engagés si l’on en croit une étude Gallup Deloitte. A l’heure ou jamais la situation n’a été si complexe. En effet l’entreprise – de la Pme au vaste groupe – doit relever 6 défis essentiels : Le digital, la financiarisation de l’économie, l’internationalisation multiculturelle de ses marchés, la transformation radicale de son organisation, hier, verticale et hierarchique et aujourd’hui, horizontale et structurée par projet sans oublier les enjeux de la gé! énération! Y et l’obliga- tion d’innover C’est une toute e autre alchimie que la bonne vieille gestion qui permettra de faire face à tant de contraintes et surtout de trouver du sens à l’action collective. Sacré enjeu. Il réclame une vision incar rnée. Et remplace sans doute le modèle e dépassé du manager- gestionnaire par celui du leader.
On en parle si peu. Et pourtant l’engagement – ou plutôt le désengagement – des salariés est l’alarme prioritaire qui angoisse les comités de direction. L’une des plaies du fonctionnement actuel des organisations. Évaluéeprép cisément par Deloitte et Gallup à quatre salariés sur cinq, peu motivés, peu engagés, la moindre implication à tous les étages, à tous les âges (et pas seulement pour les générations Y et Z) ne figure évidemment pas dans le bilan à la rubrique “baisse de rendement des actifs humains”. Ces derniers n’y sont pas pris en compte. Et pourtant, ils risquent de sévèrement impacter les résultats. Pour une raison simple: 70 % des plans de transformation des entreprises échouent à cause du manque d’attention aux seuls facteurs humains.
Le chamboule-tout
Or actuellement, la gestion de ces entreprises ressemble à un véritable chamboule-tout. Elles doivent simultanément relever six défis : celui du digital, majeur évidemment, de la financiarisation de l’économie, de l’internationalisation multiculturelle provoquée par la mondialisation, sans oublier la transformation radicale de leur organisation passant d’une verticalité des fonctions-silos à l’horizontalité du travail par projet et la gestion-adaptation aux générations X et Y, sans oublier l’ardente obligation de l’innovation, clé de leur compétitivité. Multi-pression collective se transformant chimiquement en stress individuel. Or si la créativité créative s’étiole, et si la réactivité des équipes est aussi poussive que l’engagement est anémique, la première risque de rester durablement en berne. Les observations des DRH sont effarantes : 11 % de salariés proactifs et engagés, 70 % des salariés sont passifs. Un ratio à inverser.
Démotivation généralisée
Mais peut-on se lever le matin avec enthousiasme pour faire progresser l’Ebitda, ou batailler sur les marchés du grand large pour les résultats au nom des “valeurs” brandies dans toutes les communications corporate, comme ces mots-valises vidés de sens à force d’être utilisés à tors et de travers ? L’incapacité à donner du sens à son travail, l’inscrire dans un projet collectif au cap explicite, a des conséquences qui le sont parfaitement : elle suscite craintes, peurs et angoisses. Et ce n’est pas la langue de bois managériale si convenue qui va faciliter cette compréhension. Bourrée de bonnes intentions mais creuse de signification, farcie de discours lénifiants déconnecté du réel, elle farde le message d’insignifiances pédantes, multipliant stéréotypes et incantations vertueuses. Ces rituels-là ne passent plus. Tant ils ont décroché par rapport à une réalité. D’autant plus que le travail est devenu si souvent abstrait, virtuel, invisible, sinon sous forme de ratios, tableaux et autre feuilles de tableur.
Le management “à la française”
Conséquence aujourd’hui : l’innovation la plus critique à développer pour une entreprise est sans aucun doute celle de son management. Hier il reposait sur une organisation hiérarchique, des procédures et processus. Aujourd’hui, il dépend de la dynamique initiée par la compétence d’un leader. Or le management “à la française” ne brille pas par ses qualités explicites. Surtout lorsqu’il est comparé avec les modèles structurant les entreprises à l’étranger. Ce qu’a fait il y a deux ans une équipe d’universitaires pilotée par Frank Bourjois, directeur général de l’ESCP Europe en interrogeant 2 200 managers étrangers travaillant dans 18 groupes du CAC 40, en France ou hors des frontières. Leur constat est affligeant autant qu’accablant: “culture très hiérarchique”, “management implicite”, “existence d’un ‘plafond de verre’ freinant l’accession des étrangers au top management”… Plus grave, pour nombre des sondés, leurs collègues français privilégient l’individuel sur le collectif et sont peu portés sur le travail collaboratif. Pointant “l’arrogance” de leurs collègues, ils expliquent que “nombre de décisions importantes ne se prennent pas en réunion mais près de la machine à café ou lors de rencontres informelles”. Bref, une belle collection de codes subliminaux à expliciter pour qui veut s’adapter. De son côté, le sociologue des organisations François Dupuy, qui a enseigné à l’Insead, dénonce dans son dernier ouvrage (‘ La faillite de la pensée managériale’) “l’inculture générale des managers préférant le concret et leurs décisions paresseuses qui en résultent”, et surtout : “l’indifférenciation entre organisations – ce que font réellement les gens – et structures – les organigrammes abstraitement fétichisés – est un premier problème. La réduction du pouvoir, issu d’un jeu permanent d’acteurs, à la seule hiérarchie, est une deuxième difficulté”.
Le vide de réflexion stratégique
Enfin, pour être complet, les conséquences de la financiarisation de l’économie depuis les années 90, par l’obsession omniprésente de performances court-termistes, ont provoqué un “désapprentissage” de la réflexion stratégique, “un vide stratégique” dans l’administration des entreprises, a constaté le professeur Philippe Baumard (Cnam et Polytechnique). Et croire que la fée digitale va transformer cette désastreuse situation est une colossale erreur. Il s’agit simplement d’un moyen, d’un outil – dont la maîtrise et l’agilité sont indispensables, certes, mais insuffisantes – et non d’une finalité, comme pourrait le laisser croire tant de déclarations. C’est en tout cas l’avis du DRH d’Avril
Philippe Lamblin : “Les sociétés qui performeront demain ne sont pas celles qui feront du tout-numérique, mais celles qui sauront mobiliser leurs équipes et reconnaître leur travail”. Et ce, sans schizophrénie. Car audelà des majestueuses déclarations d’intentions sur les vertus de l’autonomie et de l’entrepreneuriat, certains groupes n’hésitent pas à multiplier les procédures de contrôle, les process de surveillance. Avec en arrière-plan un enjeu majeur : la volatilité des talents. La culture start-up conjuguée aux aspirations des plus jeunes générations transforme les comportements. “Ma boîte me plaît, je reste, et si je m’y ennuie, je la quitte.” Adieu les injonctions contradictoires, bonjour comportement agilement coopératif.
Adieu manager, bonjour leader
Ces exigences obligent à des réponses rarement pécuniaires mais le plus souvent managériales, encore à inventer pour ces jeunes au comportement décomplexé. Ce facteur générationnel sera sans doute le dernier coup de boutoir à un modèle de management dépassé. Mais il faut aller bien au-delà de la bousculade des usages. Bien au-delà aussi des apparences trompeuses d’un management “cool & fun” avec baby-foot et distribution gratuite de fraises Tagada ! Ce cortège de disruptions et d’imprévisibilité mérite un autre traitement, dont la clé se trouve sans doute au sommet, dans les pratiques d’un manager devenu leader. Ce qu’exprime assez bien l’ancien patron d’Essilor, Xavier Fontanet : “Parmi les dirigeants, il y a ceux qui dirigent par le contrôle et ceux qui dirigent par la confiance. Les uns sont des dirigeants-managers et les autres sont des dirigeants-leaders”. Ceux du deuxième type correspondent le mieux aux exigences de l’époque.
Un formidable besoin de sens
En effet, pour le capitaine qui définit le cap, il ne s’agit plus de gérer cette collectivité aux prises avec tant de changements, transformations et mutations de l’organisation, mais d’incarner une vision, le sens ultime des manoeuvres. Comme l’explique Daniel Martin-Gelot dans ‘Repenser le management, une urgence à l’ère numérique’, “donner du sens est plus indispensable que jamais car aujourd’hui, l’action n’est pas unidimensionnelle. Elle s’insère dans un monde en réseau et impacte simultanément des actes différents de plus en plus nombreux. Le système est multidirectionnel, c’est un environnement immaîtrisable sans une conscience claire et continue des finalités. Le leader aujourd’hui a une vision macroscopique et systémique”. Adieu manager gestionnaire. Il fallait administrer, gérer les affaires courantes, user du commandement, avoir un jeu à court terme, garder un oeil fixé sur les résultats ; désormais, il faut innover, se concentrer sur les hommes, inspirer la confiance, avoir une perspective à long terme et garder un oeil sur l’horizon. Bonjour le leader.
“Le système est multidirectionnel,
c’est un environnement immaîtrisable sans
une conscience claire et continue des finalités. Le leader aujourd’hui a une vision macroscopique
et systémique”