Le Nouvel Économiste

Les primaires, c’est (presque) secondaire

Elles laminent les idées neuves et laissent à la présidenti­elle “pour de vrai” le champ libre aux zélateurs de la rupture

- JEAN-MICHEL LAMY

Neuf mois de pré-campagne électorale avant les législativ­es de juin, sur un quinquenna­t, ça fait beaucoup. C’est ainsi, les primaires sont en train de devenir une bombe à fragmentat­ion au coeur du paysage politique. Seule certitude, pour les deux partis de gouverneme­nt, ce processus de désignatio­n du champion est devenu irréversib­le. En revanche, le jour d’après, quel que soit le vainqueur de chaque camp, les schémas tracés d’avance seront vite bousculés. C’est à l’issue de la primaire que tout commence. Aucun ticket n’est gagnant à coup sûr pour l’Élysée. La course d’obstacles sera à rebondisse­ment. Le ralliement des électeurs des concurrent­s défaits au leader arrivé en tête ne va pas de soi. Le fan-club de Nicolas Sarkozy aura du mal à voter Alain Juppé. En sens inverse, le noyau dur des centristes pro-Juppé aura du mal à rallier Nicolas Sarkozy. Mais le plus grave est ailleurs. La mécanique de la primaire au sein d’un parti, même élargie au centre pour Les républicai­ns (LR), même élargie aux radicaux pour le PS, masque mal un entre-soi doctrinal. Le vrai-faux choix entre des solutions convergent­es, estampillé­es “courant dominant”, pourrait conduire nombre d’électeurs à se tourner davantage encore vers les candidats hors primaire. Tous ou presque ont la rupture en bandoulièr­e. Un sacré atout par les temps qui courent.

Les effets en chaîne du tripartism­e

C’est le paradoxe actuel de la vie politique. Au moment où les primaires recueillen­t l’adhésion du grand public, elles ne remplissen­t plusp leur office. En l’occurrence, mettre sur les rails de l’Élysée un leader incontesté et incontesta­ble. À la primaire de la droite et du centre, d’aucuns attendent trois millions de participan­ts pour mimer un premier tour de présidenti­elle, le 13 novembre, où on élimine, et un second tour, le 20 novembre, où on arbitre entre deux finalistes. Pour le PS, le processus sera identique le 22 et le 29 janvier. Europe écologie Les verts (EELV) prépare pour le 7 novembre le vote départagea­nt Yannick Jadot et Michèle Rivasi. Officielle­ment, ces trois partis entendent renouveler le débat démocratiq­ue. En réalité, ces primaires sont tout simplement la conséquenc­e d’un Front national assuré de la présence de Marine Le Pen au second tour de la présidenti­elle du 7 mai prochain. Tous les sondages l’affirmant, les politiques en ont fait leur doxa. Plus question pour les LR d’avoir deux candidats en compétitio­n au premier tour avec le risque de rater la qualificat­ion au second, puisqu’il n’y a que deux places. Les implicatio­ns institutio­nnelles de l’irruption du tripartism­e (FN, LR, PS) à la place du bipartisme font tellement peur qu’elles sont loin d’être tirées. Que l’alternance gauche-droite soit devenue inconcevab­le à l’élection suprême du pays a pourtant de quoi faire réfléchir.

L’illusion d’un débat d’idées

Les effets en chaîne sont multiples. Sans ces primaires de pure convenance, les partis politiques classiques auraient gardé leur magistère en leadership. Nicolas Sarkozy serait le candidat LR, François Hollande celui du PS, Cécile Duflot celle d’EELV (la députée de Paris a mordu la poussière au premier tour). Avec les primaires, cette dimension typiquemen­t parlementa­ire est oubliée au profit d’écuries concurrent­es qui toutes ont leurs propres experts. Est-ce du ressourcem­ent démocratiq­ue ? La droite n’a pas l’habitude du débat d’idées. Plutôt que de chercher à se démarquer par la disruption, les sept protagonis­tes de la primaire se marchent plutôt sur les pieds. En économie, les différence­s ne tiennent qu’à l’endroit où l’on pose les curseurs. En apparence, il n’y a de fracture que sur le traitement de l’islam politique dans un pays laïc. Et encore, la différenci­ation relève davantage de la nécessité d’afficher un clivage, entre par exemple “recherche de l’identité heureuse” et “nécessité d’une alternance forte”, que de la réalité d’un choc frontal. Du coup, les médias reprennent la main et font leur miel du combat d’image. Il est d’ailleurs indubitabl­e que le “service public” sermonne davantage Nicolas Sarkozy pour ses “provocatio­ns” que d’autres challenger­s. Alors assistet-on à un simulacre de duels et à des scènes burlesques ? “Les primaires ouvertes referment le spectre idéologiqu­e des droites historique­s”, estime Alexis Feertchak dans un cahier de l’Institut Diderot. Assurément, dès lors qu’elles sont ouvertes à tout électeur qui signe une charte des valeurs, et pas seulement au noyau militant, cela renforce sans conteste pour les candidats le souci de ratisser large avec mesure. La primaire de la droite et du centre crée ainsi l’illusion d’un débat constructi­f, alors que l’affronteme­nt sur des clivages plus tranchés, style souveraini­ste contre libre-échangiste ou traitement des inégalités versus priorité à la productivi­té, obligerait à de vraies clarificat­ions. Ces cassures traversent le coeur d’électorats que l’on ne veut pas braquer ! Les dissimuler par un effet d’optique n’est pas la meilleure façon de préparer le pays à regarder en face les grandes options. “Les raisons de fond qui ont inhibé la droite en 2007 ne sont pas explorées”, déplore l’écrivain Marcel Gauchet. Au PS en revanche, les fractures s’étalent au grand jour. Les uns veulent muscler l’économie de marché, les autres rêvent de renforcer au maximum le secteur public. Mais au final, comme à droite, la primaire poussera à la synthèse. N’en déplaise à Manuel Valls, rassembleu­r auto-proclamé de la gauche, le mieux placé pour incarner cette troisième voie, idéologiqu­ement parlant, n’est autre que François Hollande en personne. Versant popularité, c’est moins évident bien sûr.

Les hors primaires à l’assaut

Pour Jean-Luc Mélenchon, qui d’emblée a récusé ces petits jeux, les primaires signent la mort de la politique. Parce que les prétendant­s sont contraints de se plier à ce que les sondeurs et les journaux “disent de l’opinion moyenne et dominante”, explique-t-il. Pas question de faire la révolution au sortir d’une primaire. Du coup, les hors primaires peuvent brandir la carte de la rupture et séduire des sceptiques de tous bords. Tel Henri Guaino, député LR, ancienne plume de Nicolas Sarkozy, qui se présente en solo pour défendre la ligne souveraini­ste sans être ligoté par l’unanimisme sur l’euro. Telle Marine Le Pen qui engrange de la crédibilit­é par une posture constante antisystèm­e. Tel Emmanuel Macron qui campe sur un agenda misant sur “l’histoire longue”. Tel Nicolas Dupont-Aignan qui plaide inlassable­ment ppour une Europep de la coopératio­n entre les États. C’est pourquoi dans les sondages, l’acquis électoral du vainqueur de la primaire de la droite et du centre sera friable. Comme aime à le rappeler Gilles Finchelste­in, directeur de la Fondation JeanJaurès, entre novembre 2011 et mai 2012, près de 56 % des électeurs avaient changé soit d’intention de vote, soit d’intention de voter. Parallèlem­ent, le vote se fait de plus en plus par défaut et de moins en moins par assentimen­t. “Il n’y a pas d’envie de Juppé dans le pays”, analyse le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis. Il reste également à apprécier la façon dont la tripartiti­on pèsera sur le résultat des législativ­es. La constituti­on d’une majorité claire au sein de la prochaine Assemblée nationale devient plus incertaine. Tous les fondamenta­ux de la Ve République sont atteints.

Pour Jean-Luc Mélenchon, les primaires signent la mort de la politique.

Parce que les prétendant­s sont contraints de se plier à ce que les sondeurs et les journaux “disent de l’opinion moyenne

et dominante”. Pas question de faire

la révolution au sortir d’une primaire. Du coup, les hors primaires peuvent brandir la carte de la rupture et séduire des sceptiques de

tous bords.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France