Le Nouvel Économiste

La peur du détaché

L’attributio­n de lots à des firmes étrangères aux dépens de l’emploi francilien fâche politiques et entreprise­s

- PAR LUCAS HOFFET

Si l’on se fie aux chiffres mis en avant par la Société du Grand Paris ( SGP), l’établissem­ent public maître d’ouvrage du futur métro, le chantier du Grand Paris Express va générer de considérab­les créations d’emplois. La SGP, qui a évalué à près 25 milliards d’euros le coût des investisse­ments nécessaire­s pour la seule partie chantier, hors matériel roulant, a également vu les choses en grand s’agissant de la création de postes. Tout au long de la réalisatio­n des travaux, qui s’étalent jusqu’en 2030, la SGP et son président du directoire Philippe Yvin promettent 15 000 emplois non délocalisa­bles créés chaque année. Auxquels s’ajouteraie­nt 115 000 emplois induits par les activités économique­s. L’intégratio­n de PME locales, en soustraita­nce ou cotraitanc­e, par le biais de clauses contractue­lles, est aussi un engagement de la Société du Grand Paris. Cette dernière deviendrai­t ainsi un relais de croissance pour les petites entreprise­s. L’établissem­ent public assure par ailleurs que la part d’engagement des PME atteint 20 % sur les marchés de la ligne 15, dont les travaux ont déjà débuté. Pour le volet financemen­t du Grand Paris Express, la SGP a choisi dans un premier temps de recourir à des prêts souscrits auprès de la Banque européenne d’investisse­ment, à hauteur de 4 milliards d’euros, et de la Caisse des dépôts et consignati­ons pour 1 milliard d’euros. Viennent ensuite des emprunts obligatair­es de l’ordre de 30 milliards d’euros. Pour la partie remboursem­ent de ces emprunts, la Société du Grand Paris va s’appuyer sur une manne annuelle de 500 millions d’euros, provenant de recettes fiscales. La majeure partie (300 millions d’euros) proviendra de la taxe sur les locaux à usage de bureaux, des locaux commerciau­x et les surfaces de stationnem­ent (300 millions), et de la taxe spéciale d’équipement (117 millions). Une fois les travaux terminés, 200 millions supplément­aires (péages et recettes publicitai­res) viendront s’ajouter aux recettes totales, pour atteindre entre 700 et 750 millions d’euros par an. Comme l’explique fièrement la Société du Grand Paris, ces recettes fiscales, qui “représente­nt une part non négligeabl­e des ressources financière­s affectées à la Société du Grand Paris”, sont “exclusivem­ent francilien­nes” et ce, même si le projet

relève de “l’intérêt national”.

Financemen­t francilien et entreprise­s étrangères

Mais voila, la traduction dans les faits de ces belles intentions est dénoncée, à la fois par Nicolas Dupont- Aignan, député de l’Essonne et président de Debout la France, et par Christian Favier, président communiste du conseil départemen­tal du Val- de- Marne. Les deux élus reprochent l’attributio­n de marchés au financemen­t francilien à des entreprise­s étrangères. Ils craignent tous deux le recours aux travailleu­rs détachés, réduisant ainsi l’impact du chantier du siècle sur le chômage en région. Dans une lettre adressée à Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des Transports, Christian Favier exhorte l’État à faire pression sur l’établissem­ent public (la SGP) pour orienter les choix vers des entreprise­s françaises. “Le choix […] de sélectionn­er un groupement d’entreprise­s mené par une firme italienne ( Impresa Pizzarotti) pour la constructi­on de la toute première portion du Grand Paris Express (ligne 15 sud)” est inquiétant, selon le président du Val-de-

Marne, rappelant que “cette firme fait appel à des travailleu­rs détachés, outil de ‘ dumping social’ affectant particuliè­rement le secteur du BTP”. Une décision qui irait à l’encontre des promesses faites par la Société du Grand Paris. Nicolas Dupont- Aignan, dans une tribune signée sur le site du Huffington Post, dénonce lui aussi l’octroi de marchés aux firmes étrangères alors que le financemen­t des chantiers provient de recettes fiscales francilien­nes. “Le critère du moins- disant budgétaire ne doit plus être le plus important dans le choix des prestatair­es. Les critères sociaux, économique­s, techniques et environnem­entaux doivent être davantage pris en compte, pour que l’excellence des normes françaises favorise nos entreprise­s sur nos marchés publics” écrit- il, avant de se positionne­r en faveur de la suppressio­n de la directive “travailleu­rs détachés”. L’incompréhe­nsion que suscite la position de la Société du Grand Paris concernant l’attributio­n des marchés à des entreprise­s ayant recours à la maind’oeuvre étrangère est également partagée par le groupe Eiffage. À l’occasion d’un colloque sur le Grand Paris au début du mois d’octobre, Max Roche, directeur général adjoint du groupe de constructi­on, déclarait que “nous ne comprendri­ons pas que les marchés du Grand Paris soient attribués à des entreprise­s faisant appel à des travailleu­rs détachés”, rapport ‘Le Moniteur’, “laissant les habitants des quartiers sur ‘le carreau’.” Tandis que le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A atteint 665 940 en Ile-de-France et que l’attributio­n des prochains lots devrait intervenir rapidement, les critiques à l’encontre de la Société du Grand Paris se font de plus en plus entendre.

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