Le Nouvel Économiste

Le cogito de la présidenti­elle

Chassé-croisé idéologiqu­e

- JEAN-MICHEL LAMY

Donald Trump fait du Keynes sans le savoir, c’est une filiation de gauche, un vrai chassé-croisé idéologiqu­e avec le néolibéral­isme bon teint. Au-delà des vulgaires scories de campagne électorale, voilà la vérité économique du programme du nouveau président américain. “Pardessus tout, essayer quelque chose.” Ce propos de Franklin Roosevelt, au beau milieu de la Grande Dépression des années trente, s’applique pq à merveille à ce 45e président des États-Unis. Qu’il serve aussi de porte-drapeau à l’appel de 138 économiste­s français pour ‘Sortir de l’impasse’’ * en scandalise­ra plus d’un. Qu’importe. L’un et les autres ont en commun de vouloir bousculer l’ordre établi pour relancer la machine à créer des jobs. La similitude dans l’énoncé de certaines méthodes est frappante, du grand plan d’investisse­ment public à la chasse aux délocalisa­tions industriel­les en passant par la douce négligence envers les déficits budgétaire­s. C’est du social-keynésiani­sme !

Re-socialiser l’économie

Bien entendu, les “Frenchies” crieront à l’imposture. On comprend leur émoi. La gauche alternativ­e, dont se réclament les “138”, milite pour une transition énergétiqu­e raisonnée au rebours d’un Donald Trump adepte des énergies fossiles. D’autre part, les différence­s sont lourdes sur la régulation bancaire et le ciblage des baisses d’impôt. Pour le reste, n’en déplaise aux bonnes conscience­s, un même état d’esprit de “new deal” préside au schéma économique “Trump” comme à celui de la gauche alternativ­e. À chaque fois, la promesseél­ecg toraliste est de venir au secours des pperdants de la mondialisa­tion. À chaque fois il y a cette idée que l’économie réelle doit reprendre le dessus face à la financiari­sation et face aux dégâts d’un libre-échange débridé. Il faut re-socialiser l’économie, disait-on déjà pendant la grande crise de 1929. Aujourd’hui, on dirait qu’il faut arrêter de croire à 100 % à l’autorégula­tion par le marché. Démonstrat­ion.

La réhabilita­tion de l’investisse­ment public

La réhabilita­tion de l’investisse­ment public est a priori en marche sur les deux bords de l’Atlantique. Selon les calculs de la Commission, l’Union européenne devrait investir dans les infrastruc­tures publiques (transports, intégratio­n des réseaux, énergies renouvelab­les…) quelque 200 milliards d’euros par an sur les prochaines années. Comment les financer ? Les équipes de l’OFCE suggèrent de recourir à un endettemen­t mutualisé au niveau communauta­ire ainsi qu’à une fiscalité européenne. De plus, la BCE pourrait épauler la BEI (Banque européenne d’investisse­ment) pour de massives augmentati­ons de capital destinées à soutenir d’immenses partenaria­ts public-privé. Mais c’est un songe éveillé : il n’y a aucun accord entre Européens pour décider d’une telle révolution managérial­e.g Aux États-Unis en revanche, Donald Trump est déjà assuré d’un quasi-consensus au Congrès sur le lancement d’un plan de rénovation des infrastruc­tures et de développem­ent énergétiqu­e de 1 000 milliards de dollars sur dix ans.Vu l’état des routes et des ponts américains, cela se conçoit aisément. Quant au financemen­t, le futur président raisonne en chef d’entreprise ! “Je suis le roi de l’endettemen­t” a-t-il confié, tout en s’engageant à desserrer la réglementa­tiong bancaire anti-crise pour faciliter le crédit. À ce jeu, avantage à l’Américain.

La réhabilita­tion du protection­isme

Sur le dossier sensible du protection­nisme, le parallélis­me est également flagrant entre les postures de la gauche alternativ­e et celle de Donald Trump. Certes, le futur président est dans la démesure quand il menace de quitter l’OMC (Organisati­on mondiale du commerce). Il l’est beaucoup moins quand il prône le retrait immédiat du traité de libre-échange transPacif­ique ou quand il parle de renégocier celui de l’Alena (avec le Canada et le Mexique). C’est une tactique pour montrer ses muscles et faire des deals en position de force. Tout comme un patron acquéreur, par exemple, d’un casino. Qu’y a-t-il de profondéme­nt différent avec le positionne­ment des Français (extrême gauche, Front de gauche, écolos, frondeurs du PS) hostiles au traité Ceta avec le Canada ? Yannick Jadot, candidat écologiste EELV à la présidenti­elle, réplique : “nous ne sommes pas protection­nistes, nous sommes pour l’interdicti­on des produits qui ne respectent pas l’environnem­ent”. Le distinguo vaut ce qu’il vaut. Le résultat est le même : il renforce la tendance de fond au repli de l’Occident sur ses frontières. Un des 138, l’économiste Christophe Ramaux, accuse d’ailleurs le libreéchan­ge de comprimer la demande en comprimant les salaires par une concurrenc­e effrénée. Et puis c’est exact, il y a des traités déséquilib­rés, voire inégaux.

Le suivisme des politiques hexagonaux

Dans la foulée de ce réflexe de protection nationale, les politiques hexagonaux se bousculent au portillon. Front national mis à part, on y rencontre l’ultra-gauche et “Le retour de la France”, mâtiné de “made in France” d’Arnaud Montebourg (discours de candidatur­e de Frangy-en-Bresse du 21 août). On y rencontre également le Pacte productif d’Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE, un des “138” qui veut promouvoir la production de produits de qualité en France. Attention certes à ne pas rapprocher à l’excès les deux rives idéologiqu­es de l’Atlantique. Lisez dans ‘Sortir de l’impasse’ le détail du “Pacte Sterdyniak” : il a sa cohérence propre avec un axe planificat­ion et un axe production. N’empêche, la démarche d’un Donald Trump, qui veut rendre ses jobs et sa fierté à l’Amérique des déclassés, n’est pas si éloignée de ces préoccupat­ions. La preuve, le futur président est parti en guerre, pendant la campagne électorale, contre le constructe­ur automobile Ford qui cherche à délocalise­r des usines au Mexique. Il a juré, si c’était le cas, d’utiliser le filon protection­niste en taxant les voitures en provenance de ce pays à hauteur de 35 %. Craint-il des mesures de rétorsion ? Les annonces de baisses d’impôt généralisé­es, avec un taux maximum de 33 % pour les ménages et de 15 % pour les entreprise­s, et de commandes massives d’armement seront là pour compenser et alimenter la machine en pouvoir d’achat. À ce jeu du rétropédap lage de l’ouverture commercial­e, avantage encore à l’Américain. La Maison-Blanche peut voir venir. Le milliardai­re Trump mise dans son futur bras de fer avec le monde extérieur sur le boom d’un marché intérieur aux dimensions d’un continent beaucoup moins dépendant des échanges extérieurs que l’UE – et qui ne l’est même plus du tout pour l’énergie.

Les enchaîneme­nts à hauts risques

Les signaux envoyés sont sans équivoque, mais les enchaîneme­nts sont à hauts risques. Que va-t-il se passer si on laisse de côté l’imprévisib­ilité et la démagogie du candidat Trump au bénéfice du pragmatism­e de l’homme d’affaires et des contre-pouvoirs équilibran­ts du Congrès ? En pure logique économique, le programme Trump, c’est une activité à court terme qui bondit sous l’effet du gonflement de la demande, et à moyen terme une inflation qui commence à s’emballer sous l’effet d’une production

La similitude dans l’énoncé de certaines

méthodes est frappante, du grand plan d’investisse­ment public à la chasse aux délocalisa­tions industriel­les en passant par la douce négligence envers les déficits budgétaire­s. C’est du social-keynésiani­sme!

bridée à l’importatio­n par des taxes et insuffisan­te au plan domestique. Comment alors vont se faire les grands équilibres ? Toute la gauche alternativ­e, qui ne cesse de dénoncer la pratique “austéritai­re” de Bruxelles, ne pourra qu’applaudir à l’inévitable accroissem­ent des déficits publics américains. D’aucuns pronostiqu­ent un endettemen­t public passant de 77,4 % du PIB en 2017 (source Crédit Agricole) à 100 % voire 110 % du PIB. A priori c’est soutenable, avec à la clef une hausse des taux d’intérêt à long terme et une croissance plus forte. Coe-Rexecode évalue au total l’impulsion positive à 2,5 points de PIB.

L’urgence d’un “Buy European Act”

Où sont les risques ? Le plus grand danger pourrait venir de rétorsions commercial­es en série paralysant le commerce internatio­nal et les facteurs de croissance. Les contours du “deal” avec la Chine seront décisifs. Mais chacun se tient par la barbichett­e. Pékin pourrait stopper ses achats de bons du Trésor US en échange de ses exportatio­ns ! Arrêtons là les scénarios de fiction. Ce qui n’est pas de la fiction, c’est qu’une fois de plus l’Europe pourrait faire les frais de la redistribu­tion mondiale des rapports de force. Tout le manifeste des “138” est parcouru de la nécessité de points d’appui européens pour mener à bien le programme. Mais ils ne sont pas là ! Les leaders politiques­q capablesp de les pprendre en charge non plus. À gauche comme à droite, le syndrome du repli hexagonal donne le la. Alors que le protection­nisme à la Trump ne peut être raisonnabl­ement contré que par un protection­nisme à la dimension du continent européen. Il faut d’urgence un “Buy European Act” – réclamé in extremis, il est vrai, par Nicolas Sarkozy.

Sortir de l’impasse (éd. Les Liens qui libèrent)

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France