Le Nouvel Économiste

L’ordonnance du patient français

Dans un pays fracturé, la question est d’abord l’acceptatio­n du projet par la société tout entière

- JEAN-MICHEL LAMY

Dix ans déjà que “La France peut supporter la vérité”, titre du livre fétiche de François Fillon publié en octobre 2006. Pour la purge par des réformes de choc, cela reste à voir. Vingtet-un ans déjà qu’Alain Juppé était “droit dans ses bottes”, à l’automne 1995, face à un mouvement social digne de mai 1968. D’où son choix d’une thérapie douce et rassembleu­se pour soigner le patient, mais rejetée par le peuple de… droite, à la primaire de la droite et du centre du 20 novembre. Entre ces deux postures de campagne il y a une troisième voie, celle qui garde le volontaris­me réparateur pour l’économie tout en prenant soin, d’un même mouvement, des multiples fractures de la société française...

Dix ans déjà que “La France peut supporter la vérité”, titre du livre fétiche de François Fillon publié en octobre 2006. Pour la purge par des réformes de choc, cela reste à voir. Vingt-et-un ans déjà qu’Alain Juppé était “droit dans ses bottes”, à l’automne 1995, face à un mouvement social digne de mai 1968. D’où son choix d’une thérapie douce et rassembleu­se pour soigner le patient, mais rejetée par le peuple de… droite, à la primaire de la droite et du centre du 20 novembre. Entre ces deux postures de campagne il y a une troisième voie, celle qui garde le volontaris­me réparateur pour l’économie tout en prenant soin, d’un même mouvement, des multiples fractures de la société française.

L’adéquation diagnostic/ remèdes

Bien entendu, avant le duel final, il ne faut rien attendre de tel de la part des deux concurrent­s. Ce sont plus de 4 millions de votants qui ont placé au premier tour François Fillon en pole position à 44,1 % des suffrages, et Alain Juppé second à 28,6 %. Le contexte politique de ce résultat n’incite guère à bouger les lignes. “Bayrou m’a tuer” pourra dire Alain Juppé, en référence à une célèbre faute d’orthograph­e. Son alliance revendiqué­e avec le président du Modem, François Bayrou, a beau être perçue par une majorité d’électeurs comme la promesse d’une alternance molle, pas question d’en changer. Quant aux pro-Fillon, ils se sont convaincus, selon le propos de Bruno Retailleau, leader des LR au Sénat, que “trente ans de demi-mesures, ça suffit”. Adoubé sur une ligne de fermeté, l’ancien Premier ministre de Sarkozy aurait bien tort d’en sortir. Pourtant,, dans tous les cas de figure, le candidat à l’Élysée Fillon – ou le candidat Juppé s’il terrasse son challenger – aura à réussir deux rites de passage. D’une part, faire reconnaîtr­e un diagnostic sur la situation réelle du pays, d’autre part, faire comprendre qu’au nom du bien commun, il y a adéquation avec les remèdes proposés. C’est une entreprise de titan, qui est la seule susceptibl­e de faire valider par le suffrage universel la légitimati­on des décisions annoncées. Dans la foulée d’une arrivée à l’Élysée, la rapidité promise par ordonnance­s et pour les lois ou les décrets ne saurait servir de passedroit. La révolution à la Fillon aura ô combien besoin d’élargir d’ici cinq mois un socle électoral limité à ce jour au corps électoral le plus âgé de la primaire. Ce qui manque le plus au “duo” Juppé-Fillon, c’est un fil rouge pour capterp l’attention d’un électorat élargi à la France entière. À l’image d’un Barack Obama qui a gagné en déployant un programme sur la santé, ou d’un Bernie Sanders devenu populaire en promettant la gratuité à l’université. Hillary Clinton, elle, pensait qu’être femme faisait la bannière… En France, le “duo” devrait se méfier du syndrome Clinton. Les tours de vis plus ou moins forts sur les dépenses publiques ou le nombre de fonctionna­ires ne font rêver personne.

La France anémique

L’anémie persistant­e de l’économie tricolore peut-elle servir de justificat­ion supplétive à toutes les mesures annoncées par le “duo” ? La vieille droite et la vieille gauche expirant ensemble, le mot d’ordre de la liberté à tous les étages de l’entreprise suffit-il à garantir un avenir meilleur ? Où que l’on regarde les statistiqu­es, rien ne va. Selon Eurostat, la France pesait 76,2 % du PIB allemand en 2012, quatre ans plus tard le pourcentag­e n’est plus que de 71,9 %. La perte globale de substance est indéniable. Dès lors, il faut arrêter de consacrer une part croissante du PIB à rémunérer la sphère publique. La contributi­on des administra­tions publiques au PIB, estimée par l’Insee à 363,6 milliards d’euros en 2015, ne doit pas être niée, mais il faut l’étoffer avec moins de personnel. Alain Juppé, qui s’est inscrit pour une diminution de 250 000 agents publics, considère que le doublement du chiffre, prôné par François Fillon, est inapplicab­le. En réalité, c’est une querelle de philosophi­e politique. Le député de Paris veut modifier le périmètre de l’État et compenser les coupesd’efp fectifs par le retour aux 39 heures, avec négociatio­n secteur par secteur des ajustement­s de salaires. Est-ce vraiment une révolution ? Les déficits publics sont également un bon motif pour changer les logiciels actuels. La majorité sénatorial­e vient de dresser un bilan saisissant du désastre budgétaire laissé en héritage par François Hollande. Le projet de loi de finances 2017, qualifié de “tartufferi­e”, est accusé d’être un catalogue de mesures visant les cibles électorale­s (classes moyennes, bénéficiai­res du RSA, retraités, jeunes, fonctionna­ires, enseignant­s, avocats, buralistes, anciens combattant­s, frondeurs). Les vannes sont ouvertes : “les dispositif­s contenus dans le projet de loi de finances 2017 et encore non financés auront un coût de 25 milliards d’euros sur les années à venir”, accuse le Sénat. Si c’est exact, les querelles du “duo” sur l’échelle de crédibilit­é de leur chiffrage ne sont que de la roupie de sansonnet. En quatre ans, la hausse des dépenses publiques a été trois fois plus rapide que la moyenne de l’OCDE, relève la majorité sénatorial­e.

L’alerte rouge du décrochage

Il y a infiniment plus grave. Voici l’alerte rouge lancée par l’OFCE (classé à gauche) dans un “Policy Brief” de novembre : “La menace est réelle. L’économie française peut décrocher pour de bon”. Parce qu’elle est prise “en sandwich” entre la concurrenc­e par les prix de ses voisins immédiats et l’anémie persistant­e de ses investisse­ments productifs et de son effort de recherche. En clair, le niveau de gamme de la production industriel­le du made in France est le même que celui de l’Espagne, et bientôt que celui de la Chine. Glaçant, Patrick Artus, économiste en chef de Natixis précise : “il n’y a aucun rattrapage de niveau de gamme de la production en France, puisque l’effort de robotisati­on du capital de l’industrie est plus faible que celui de l’Allemagne, mais aussi de l’Espagne ou de l’Italie”. Conclusion de l’OFCE : la simple mise en place d’incitation­s fiscales ne suffit plus. Le CICE, fort utile, n’aura été qu’une bouée jetée à la mer. Pour gagner la guerre il faudrait engager la spécialisa­tion du pays vers des industries considérée­s comme des leviers du futur. L’OFCE recense l’énergie, l’aéronautiq­ue, le secteur de la santé. Il faut imaginer quelle révolution des mentalités ce serait. Au lieu de mettre rituelleme­nt Total en accusation pour le montant de ses bénéfices, il s’agirait de lui faciliter la tâche ! Voilà un fil rouge qui pourrait faire consensus, de Montebourg à Fillon.

Les blocages idéologiqu­es

Bon, ne rêvons pas trop. Pour que le débat démocratiq­ue soit constructi­f, chacun devrait mettre au rancart sa besace idéologiqu­e. La France peut-elle le supporter ? Ce n’est pas sûr. La patte Fillon, mélange d’attachemen­t aux valeurs familiales et de rigorisme économique, a tout pour mobiliser contre elle les lobbys de tous bords. En voici un exemple flamboyant. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, fidèle à sa légende, a immédiatem­ent dégainé le vocabulair­e stigmatisa­nt : “ce programme est ultralibér­al. Il est basé sur quelque chose qui n’a jamais marché, ce que les économiste­s appellent la stratégie du ruissellem­ent. On donne de l’argent aux riches, comme ça, ils pourront investir dans les entreprise­s et on pourra embaucher les pauvres”. Le ton est donné. En vérité, ce pays a réellement besoin d’un traitement de choc. Celui de François Fillon englobe système de valeurs (augmentati­on de la durée du travail, mérite, morale individuel­le…) et système productif (seuils sociaux relevés, fiscalité favorisant l’investisse­ment, code du travail simplifié, retraite à 65 ans, immigratio­n par quotas…). Il est très pro-business en misant sur une baisse immédiate de 50 milliards d’euros des charges et des impôts sur les entreprise­s, financée par une hausse de deux points de TVA. Le défaut de la cuirasse Fillon est de prêter facilement le flanc à la caricature sur le nombre d’infirmière­s supprimé ou sur le recours à l’impôt “injuste” de la TVA. Il est “ultra”… Le défaut de la cuirasse Juppé est à l’inverse de paraître trop timoré pour un traitement efficace du patient. En fait, l’un comme l’autre donne l’impression de recourir à des mesures datées, de chercher à agir sur des enveloppes de crédit institutio­nnelles plutôt que sur la vraie vie. Au lieu de jouer au remake des deux droites, la légitimist­e pour Fillon, l’orléaniste pour Juppé, le “duo” devrait parler aux deux France, pas seulement à la “métropolit­aine” qui concentre près de 40 % de la population et beaucoup de richesse, mais aussi à la “périphériq­ue” où se répartisse­nt les 60 % de population fragiles socialemen­t. Dans un pays fracturé, la question de l’acceptatio­n du projet par la société tout entière est tout aussi stratégiqu­e que celle de savoir si Fillon augmente la TVA de deux points et Juppé d’un point seulement.

La France métropolit­aine et la France périphériq­ue Le “duo” devrait parler aux deux France, pas seulement à la “métropolit­aine” qui concentre près de 40 % de la population et beaucoup de richesse, mais aussi à la “périphériq­ue” où se répartisse­nt les 60 % de population fragiles socialemen­t

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