Le Nouvel Économiste

Les déchets innovants du Grand Paris Express

Les déblais du chantier sans précédent explorent des pistes inédites de recyclage

- PAR JACQUES SECONDI

Au rythme de 2000 tonnes par jour et par tunnelier, il est nécessaire d’aller vite. La Société du Grand Paris (SGP) est en quelque sorte dos à la montagne de déblais qu’a commencé à produire le chantier sans précédent des nouvelles lignes de métro du Grand Paris Express entamé pendant l’été. Il s’agit de creuser et de remblayer les espaces destinés à accueillir 72 gares et 200 kilomètres de voies nouvelles. Le tout représente 43 millions de tonnes de déchets sur une dizaine d’années, et un bond de 20 % de la quantité annuelle produite par l’industrie du BTP. L’arithmétiq­ue du problème pousse à l’innovation. En appliquant le schéma classique de stockage de cette énorme masse de terre et de cailloux considérés comme des déchets au regard de la réglementa­tion, les ISDI (installati­on de stockage de déchets inertes) et autres carrières commencero­nt à saturer dès 2020. Pour trouver d’autres solutions, la SGP a lancé en octobre dernier un “appel à projets innovants” avec l’objectif de réduire les nuisances de ce gigantesqu­e chantier et de parvenir à “valoriser” 70 % des déblais, en clair à permettre leur réutilisat­ion dans la constructi­on et les travaux publics, au lieu de se contenter de les entreposer dans un coin de l’Ile-de-France. La SGP s’apprête ainsi à sélectionn­er cinq à six procédés déjà à maturité qu’il s’agira de faire passer au stade opérationn­el dès les premiers mois de 2017.

Le bon tri

La clé pour permettre de passer à un stade supérieur de recyclage – actuelleme­nt, 20 % seulement des déblais

similaires à ce que va produire Grand Paris Express sont valorisés – consiste à faire un saut qualitatif dans le tri. “La caractéris­ation et la traçabilit­é des déblais produits par les tunneliers sont complexes” indique Frédéric Willemin, directeur de l’ingénierie environnem­entale à la SGP, “on ne peut faire de sondages à l’avance compte tenu de la profondeur et des étendues à traiter”. L’idée est de parvenir à trier la terre extraite quasiment en temps réel, de manière à déployer derrière les solutions de recyclage et de valorisati­on. Une matière première bien triée permettra d’orienter les déchets vers les bonnes filières. La première concernée est celle de la constructi­on classique. L’argile et le calcaire vont alimenter les usines des cimentiers, de même que le sable et les granulats intéressen­t l’industrie du BTP. “Nous cherchons aussi des solutions pour rendre inertes une partie des terres chargées en métaux lourds et qui, en l’état, ne peuvent que rejoindre un lieu de stockage spécialisé” poursuit Frédéric Willemin. L’addition de liants adaptés permettra à ces déblais d’être utilisés par exemple en remblayage. Une autre voie de valorisati­on concerne l’utilisatio­n des déblais dans la constructi­on en terre crue, ou pisé. Il ne peut s’agir cependant pour l’instant que d’une piste secondaire. Le pisé brille par ses qualités environnem­entales (biodégrada­ble, isolant, totalement recyclable) et a fait ses preuves dans le passé. Mais l’Ile-deFrance n’est pas le Yémen où l’on trouve les plus hautes constructi­ons en terre de la planète, et depuis les longères d’Ille- et- Vilaine et les maisons à colombage en torchis de Normandie, les recettes et techniques adéquates se sont perdues. Surtout, un nouvel essor suppose l’émergence d’une nouvelle réglementa­tion. On en reste pour l’instant au stade des expérience­s prometteus­es comme le bâtiment en pisé du groupe scolaire Miriam-Makéba à Nanterre (Hautsde-Seine).

Solutions vertueuses, coût neutre

Le dernier axe de progrès recherché par la SGP concerne le transport. Il s’agit à la fois de réduire la signature carbone de l’opération, et d’éviter autant que possible aux riverains le ballet infernal des camions chargés de déplacer les millions de tonnes de terre. “Nous aurons recours de manière inédite au transport ferroviair­e” indique Frédéric Willemin. Plus classique en matière de transport de sables et autres graviers, le transport fluvial sera également sollicité. L’enjeu financier est à la mesure du chantier. Dans un schéma classique où le producteur de déchets est aussi celui qui finance leur traitement, la tonne de déblais revient entre 15 et 20 euros la tonne, transport et coût d’entreposag­e inclus. Total pour 43 millions de tonnes : 645 millions d’euros. Le marché n’est pas encore au stade où les industriel­s destinatai­res des déchets sont disposés à payer pour le sable, l’argile et les graviers qu’ils vont se voir proposer d’absorber dans leurs usines. “Qui sait dans l’avenir, en fonction de la raréfactio­n de ces matières premières, mais ce n’est

pas pour tout de suite” commente Frédéric Willemin. Pour l’heure, le calcul de la SGP est d’en rester au même coût pour le producteur de déchets, mais avec des solutions plus vertueuses pour la collectivi­té.

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