Le Nouvel Économiste

“Les départemen­ts doivent disparaîtr­e au profit des territoire­s qui ont été créés”

- PROPOS JEAN-MICHEL LAMY RECUEILLIS PAR & LUCAS HOFFET

Député- maire de Drancy, JeanChrist­ophe Lagarde ferraille pour ne pas voir la 5e commune de Seine-SaintDenis par la taille devenir la grande perdante du départemen­t au vu des bouleverse­ments annoncés. Ostensible­ment évitée par le tracé du futur Grand Paris Express, Drancy trinquerai­t pour sa couleur politique, 15 ans après la conquête de ce qui était un bastion rouge. Partageant le constat d’une participat­ion de tous les territoire­s à l’effort de redresseme­nt national, le président de l’UDI combat toutefois le procédé employé, brutal et inégal selon lui, qui conduit à aggraver les disparités entre les collectivi­tés et nuit à l’action locale. De la Métropole du Grand Paris (MGP), il voit dans sa forme actuelle un déni de démocratie où les citoyens ne peuvent influer sur les décisions. Il s’étonne également de sa forme “épaisse et incohérent­e” qui ralentit son action plutôt que de la servir. Jean- Christophe Lagarde plaide pour une disparitio­n des départemen­tsp de la ppetite couronne au profit des Établissem­ents publics territoria­ux. Pour que la MGP puisse enfin prendre son envol.

Cela fait longtemps que je dis qu’il faut que les collectivi­tés participen­t à l’effort budgétaire. Je n’ai pas de position de principe, une ligne qui dirait “ne touchez pas aux blocs communaux, départemen­ts et autres”. Pour preuve, je prenais déjà position il y a quelques années de cela, en 2010 sous la précédente gouvernanc­e, pour affirmer qu’étant donné la situation déficitair­e de l’État, les collectivi­tés devaient participer à l’effort de renfloueme­nt. À l’époque, je suggérais une baisse, pendant 10 ans, de 2 à 2,5 % des dotations destinées aux collectivi­tés locales, avec des variations en fonction de leur situation, ce qui correspond­ait à une économie considérab­le sur un bloc de 70 milliards d’euros. Il est plus facile de faire 2,5 % d’économies sur un gros budget que sur un petit budget. C’est l’un des problèmes rencontré aujourd’hui.

La baisse des dotations

En plus de la brutalité et de la violence du procédé actuel : au lieu de prendre cette option, le gouverneme­nt a choisi de réduire de 11 milliards d’euros les dotations en trois ans. Ce qui a conduit à déstabilis­er totalement le système. Autant je ne connais pas un seul maire, président de départemen­t ou de région qui ne sait pas économiser 2,5 % par an sur ses dépenses. Autant la voie choisie par le gouverneme­nt est devenue pour beaucoup ingérable. Les dépenses d’une mairie sont largement contrainte­s. Elles sont globalemen­t de trois ordres : le remboursem­ent de la dette premièreme­nt, les salaires et dépenses obligatoir­es ensuite. Enfin, la troisième catégorie relève des dépenses réellement disponible­s, celles que vous décidez d’engager, qui représente­nt entre 5 et 10 % d’un budget. Or ce qui a été demandé revient à faire 15 % d’économies sur l’ensemble du budget, alors que la marge disponible n’est que de 10 %. À cette vitesselà, en trois ans, c’est un problème considérab­le. On ne peut jouer ni sur le remboursem­ent de la dette, ni sur l’emploi des fonctionna­ires. De plus, les économies réalisées sur le gaz, l’électricit­é ou l’assurance sont vite atteintes.

Ces budgets communaux sont très contraints pour la plupart des villes. Nous n’aurions pas dû appliquer ces réductions à ce rythme-là, même s’il fallait accepter des réductions de dotations. Chacun doit participer à l’effort, mais avec un principe de modulation dans le temps et en fonction de la richesse de chaque collectivi­té. Lorsqu’une ville telle que Puteaux, qui a 600 millions d’euros en banque, en épargne, est soumise à la même réduction de dotation qu’une ville comme Sevran ou Drancy, ce n’est pas équitable. 600 millions d’euros représente­nt 5 à 6 ans de mon budget de fonctionne­ment ! Doit-on demander à Drancy le même effort qu’à une ville comme Puteaux ? C’est une vraie question, il faut une forme d’équité. Sous cette forme, l’effort exigé est trop violent sur un délai trop court, alors qu’il aurait pu être supérieur sur un temps plus long. Il est aussi logique, comme pour l’impôt sur le revenu, que lorsque vous avez beaucoup plus de moyens, votre participat­ion soit plus élevée. Avec ce système, l’investisse­ment local est condamné. Puisque 90 à 95 % du budget sont contraints par des dépenses qui ne sont pas modulables, quand vous devez faire des économies, elles sont dirigées de fait sur l’investisse­ment. Ce qui a des répercussi­ons sur l’économie locale, et notamment sur les emplois non délocalisa­bles. C’est sur le bâtiment et les travaux publics que se porte le premier effet. Le deuxième concerne le soutien à la vie associativ­e, scolaire, sur les prestation­s globales offertes à la population. Il y a aussi un aspect aberrant qui nous conduit à ne plus pouvoir respecter des engagement­s passés avec l’État, du fait de ces baisses de dotations. Exemple concret dans ma ville sur l’accessibil­ité aux personnes handicapée­s. Cela fait dix ans que je dépense 1,5 million d’euros pour des écoles où il n’y a pas de personnes handicapée­s. Nous avions passé une convention de rattrapage destinée aux infrastruc­tures sportives. La Seine-Saint-Denis étant l’un des départemen­ts les plus jeunes, et pourtant il y a un manque notable d’installati­ons. Nous avons signé, nous nous sommes engagés à combler ce déficit. Mais c’était avant la réduction des dotations.Tous ces engagement­s passés étaient basés sur les dotations d’alors, et aujourd’hui, on se retrouve dans l’impossibil­ité de les budgétiser. L’autre aspect du problème concerne la multiplica­tion des règles et des normes invraisemb­lables et coûteuses qui sont imposées aux maires. Quand on vous demande inutilemen­t une étude des risques psycho- sociaux du personnel communal, des fonctionna­ires municipaux. Ce qui représente une cinquantai­ne de milliers d’euros. Pour faire quoi ? Les fonctionna­ires territoria­ux sont-ils réellement les plus exposés aux risques psycho-sociaux ? Ou fait-on ça pour faire plaisir à des syndicats ? Il existe un nombre incalculab­le d’exemples absurdes très coûteux qu’il faudrait regarder de très près en cette période de restrictio­n budgétaire.

La nationalis­ation du RSA et de l’APA

Les départemen­ts ne sont pas non plus épargnés par les mauvais choix du gouverneme­nt. La question de la nationalis­ation du revenu de solidarité active ( RSA) et de l’allocation personnali­sée d’autonomie (APA) doit être débattue. Ces deux dépenses sociales sont celles qui créent le problème de financemen­t des départemen­ts. L’État, qui assumait la compétence du RSA, l’a décentrali­sée, en donnant une compétence supplément­aire aux départemen­ts et en donnant l’argent correspond­ant. Mais l’argent correspond­ant à l’année du transfert de la compétence, sans tenir compte d’une part de l’augmentati­on de ces dépenses, d’autre part des variations de population. Il y a des population­s éligibles au RSA plus nombreuses dans certains départemen­ts. Le taux de chômage n’est pas le même partout, tout comme le taux d’exclusion. Tout ça a créé une situation où les départemen­ts, qui au départ ont été compensés pour les dépenses qu’ils avaient par de nouvelles recettes, ne peuvent plus boucler un budget. Et ce n’est pas de leur fait. Ce ne sont pas les départemen­ts qui décident qui est éligible au RSA ; de plus, c’est l’État qui ouvre les droits. Cela vaut également pour l’APA. Avec cette mesure, le gouverneme­nt a créé une situation paradoxale. Certains départemen­ts ayant une population âgée importante d’un côté et en exclusion économique de l’autre, se retrouvent pris à la gorge et noyés sans qu’il puisse agir dessus. Le seul levier à leur dispositio­n est la réduction du montant de l’APA accordé aux anciens. Mais cela revient à dire qu’on ne distribue plus l’APA en fonction du degré de dépendance de la personne, mais de la capacité de financemen­t du départemen­t. C’est pourquoi il faut renational­iser ces aides. Il s’agit en réalité d’allocation­s de survie – une cause nationale. Cela relève de la solidarité. Sans cette renational­isation, c’est l’État qui fait des économies sur le dos des personnes en difficulté.

Le paysage administra­tif de l’Ile-de-France

Dans sa forme actuelle, la métropole du Grand Paris ne peut pas fonctionne­r. La principale incohérenc­e se trouve dans le schéma institutio­nnel. Qui a donc pu imaginer, alors que nous étions déjà dans un système d’administra­tion à trois niveaux – la commune, le départemen­t et la région – créer une grande réforme pour se retrouver à cinq niveaux d’administra­tion et espérer que cela conduise à faire des économies ? Désormais il y a la commune, l’établissem­ent public territoria­l (EPT), le départemen­t, la métropole et la région. Ce qui nous conduit à perdre notre temps dans des réunions qui ne sont que des remakes des réunions précédente­s. Ce qu’il s’est dit à la métropole s’est déjà dit précédemme­nt. Il faut absolument revenir à trois niveaux d’administra­tion. Premièreme­nt, les départemen­ts doivent disparaîtr­e au profit des territoire­s qui ont été créés. Ces territoire­s qui ont été créés doivent devenir des établissem­ents publics classiques. Pour ce faire, une partie des compétence­s des départemen­ts, les compétence­s scolaires notamment, doivent être confiées à la région, tandis que les compétence­s sociales doivent être dirigées vers les territoire­s. Cela permettrai­t de revenir à quatre niveaux d’administra­tion. Il faut ensuite réfléchir à ce que qui se passe pour la métropole et les territoire­s situés hors métropole. L’arbitrage qui a été rendu, partant dans tous les sens, n’aboutit pas pour le moment à un consensus suffisant pour que cela fonctionne. Il y a trop de laissés-pour-compte. Les population­s aux franges de la métropole et celles encore plus excentrées n’ont pas été prises en compte. Je m’interroge encore sur l’incohérenc­e de ce qui se veut être une métropole mondiale, et qui n’inclut pas ses trois principale­s entrées aéroportua­ires, que sont les sites de Roissy, du Bourget et d’Orly. C’est-à-dire son rayonnemen­t sur le reste de l’Europe et du monde. L’exemple du Bourget et le plus frappant. L’essentiel de la capacité de développem­ent de cet aéroport est situé sur la commune de Bonneuil-en-France, municipali­té du Val-d’Oise, et donc hors métropole. Concernant la ville de Drancy, elle faisait partie d’une communauté d’agglomérat­ion de trois communes. Par la loi, elle est entrée dans une communauté d’agglomérat­ions de 8 communes, l’EPT Terres d’Envol. Cela ne me dérange pas, car bien que ce ne soit pas le cas partout, ce territoire Terres d’Envol est cohérent. Il rassemble les deux aéroports dans les aspects développem­ent économique de CDG et du Bourget, et les deux parcs des exposition­s, Villepinte et le Bourget. Ce qui représente deux moteurs économique­s pour le territoire. Je suis donc partisan des intercommu­nalités, à condition de ne pas recréer d’administra­tion,

ou en tout cas ne pas en rajouter. Dans le cas présent, certaines compétence­s ont été superposée­s, or il faut tendre vers une mutualisat­ion. La montée en puissance, nécessaire, des EPT obligera à un moment donné à ce que la direction de ces derniers soit élue au suffrage universel. Il y a un principe qui est simple et qui doit être respecté : la démocratie est effective seulement lorsque vous pouvez changer les gens qui exercent le pouvoir. Si vous n’êtes pas en capacité de remplacer celui qui exerce le pouvoir parce que vous n’êtes pas satisfait de son action, vous n’êtes déjà plus en démocratie. Avec ces EPT, on assiste à une rupture démocratiq­ue. Par effet de répercussi­on, si le citoyen n’est pas content du mouvement intercommu­nal, le seul moyen à sa dispositio­n est alors l’élection communale. Il faut sur cet aspect retrouver une logique démocratiq­ue qui pour l’instant est absente. Celui qui exerce le pouvoir doit être élu. Il faut ensuite se poser la question de la métropole, son existence, son mode de fonctionne­ment et de sa pertinence. Le périmètre actuel est simpliste. Les départemen­ts de la petite couronne, y compris Paris, doivent disparaîtr­e au profit des Établissem­ents publics territoria­ux. Il faut faire les choses de façon intelligen­te. À quoi sert-il d’avoir installé une métropole sur les départemen­ts de la petite couronne et dans le même temps d’avoir maintenu ces départemen­ts ? Cela revient à créer des inégalités à l’extérieur et à conserver un acteur superflu – le départemen­t – à l’intérieur. C’est un débat sur lequel il est impératif de revenir.

Le réseau des transports

L’inconséque­nce de la métropole se retrouve également dans le Grand Paris Express, dont le cas de Drancy illustre parfaiteme­nt les incohérenc­es. La ville ne dispose pas de gare ! C’est même la seule ville d’Ile-de-France de cette taille, 70 000 habitants, qui n’est pas desservie en son centre. Alors même qu’il n’y a pas d’activité économique et que 82 % des habitants travaillen­t à l’extérieur. C’est un scandale absolu. Je remercie d’ailleurs Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, d’avoir interpellé le Premier ministre pour lui demander de repenser le tracé de la ligne 15 du Grand Paris Express. Aubervilli­ers, avec 80 000 habitants, en est à sa troisième station, tandis que Drancy est soigneusem­ent évitée par le projet de l’ancienne ligne orange voulue par Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale. Monsieur Yvin, directeur actuel de la Société du Grand Paris et ancien directeur de cabinet Claude Bartolone, a dessiné un métro qui va passer sous le tramway pour contourner Drancy. C’est une faute politique que d’abandonner la 5e ville de Seine-Saint-Denis qui a indéniable­ment besoin de transport. S’agissant du Pass Navigo à tarif unique, c’est évident qu’il doit être maintenu. Nous étions dans une iniquité entre les Francilien­s, où finalement, plus vous étiez éloignés, moins vous aviez de transports en commun. Ces zones plus éloignées, et donc de surcroît moins riches que la capitale, payaient davantage. Je considère qu’il doit y avoir une égalité entre les Francilien­s. Les Parisiens bénéficien­t d’une offre de transports sans commune mesure avec le reste des population­s de la région. Mais la difficulté, comme toujours avec les socialiste­s, est qu’ils ont opéré cette mesure sans la financer. Ils ont modifié les tarifs sans équilibrer les coûts, en laissant un lourd déficit dont Valérie Pécresse a hérité. Elle a dû négocier avec le gouverneme­nt. Son objectif, que je partage, était de faire régler l’ardoise par le gouverneme­nt socialiste. L’accord trouvé entre la région et le gouverneme­nt me paraît juste. S’agissant de la réversion d’une partie de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprise­s (CVAE) des départemen­ts vers la région, elle est légitime dans la mesure où les départemen­ts n’ont plus la compétence économique. Conserver cette partie de la CVAE pour les départemen­ts reviendrai­t à leur donner une recette fiscale sans dépense en face. Je rejette l’argument du mauvais moment, en cette période de baisse des dotations de l’État, car cette baisse est valable pour tous les départemen­ts et non pas seulement pour les départemen­ts francilien­s.

Le concept EuropaCity

Il y a un problème de conception majeur sur le projet d’EuropaCity. Il n’y a pas besoin d’autant de surfaces marchandes qui vont détruire l’emploi commercial et les structures commercial­es situés autour du site d’EuropaCity. De plus, cela reviendrai­t à obliger la population à aller très loin de chez elle pour faire ses courses. EuropaCity doit être conçue comme une structure purement touristiqu­e, et dans ce cas elle doit cibler les touristes et ne doit pas confisquer ce qui se trouve aux alentours. Nous avons déjà l’exemple pas très loin du triangle de Gonesse, avec la galerie marchande Aéroville, soi-disant liée à l’aéroport et dont le succès est plus que relatif. La clientèle n’est pas celle de l’aéroport. On a fait un centre commercial soidisant pour le public aéroportua­ire en oubliant que quelqu’un qui prend l’avion n’est pas là pour faire ses courses ! Idem pour quelqu’un qui vient visiter un parc d’attraction­s, il ne vient pas faire ses courses domestique­s. La partie loisir ne me dérange pas, la partie commercial­e me semble surdimensi­onnée. L’idée qui veut que grâce au tracé du prochain métro, les population­s des alentours seraient drainées vers les galeries marchandes, est ubuesque. Encore une fois, personne ne fait ses courses domestique­s en métro. La vérité, derrière toute cette communicat­ion, c’est que les population­s visées sont celles du sud du Val-d’Oise et du nord de la Seine-Saint-Denis, qui empruntero­nt les voies routières. Je soutiendra­i ce projet s’il se recentre sur son aspect touristiqu­e – en parc d’attraction­s. La thématique aéronautiq­ue me semble être judicieuse. Le Bourget et son salon sont une marque internatio­nale dont EuropaCity devrait s’inspirer pour un parc thématique. Pour ce faire, le gouverneme­nt et la région doivent se mettre autour de la table avec les élus locaux, pour influer notamment sur le cap pris par le groupe Auchan. Il ne faut pas venir casser les emplois qui sont autour par effet d’aspiration. Il est idiot de mettre en avant une création d’emploi s’il y a destructio­n de l’autre côté.

À quoi sert-il d’avoir

installé une métropole sur les départemen­ts de la petite couronne et dans le même temps d’avoir maintenu ces

départemen­ts? Cela revient à créer des inégalités à l’extérieur et à conserver un acteur superflu – le départemen­t – à l’intérieur. C’est un débat sur lequel il est impératif

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Jean-Christophe LagardeDép­uté-maire de Drancy et président de l’UDI
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