Le Nouvel Économiste

Cocottes-minute

La France à un jet de vapeur de l’explosion de la classe moyenne

- LE NOUVEL ECONOMISTE

Pas une, mais sept cocottesmi­nute prêtes à exploser… ‘Le nouvel Economiste’ inventorie le cocktail des facteurs de déflagrati­on économique et sociale possible dans notre pays à plus ou moins brève échéance. Avec en toile de fond cette question cruciale : jusqu’où le malaise de classe moyenne peut-il tenir sans dégénérer en crise politique ? La situation est arrivée à un stade on ne peut plus critique. Il y a tout d’abord une accumulati­on explosive de problèmes non traités, dont l’emblématiq­ue dégradatio­n de la condition des médecins et des enseignant­s, et l’injuste sort infligé à une jeunesse en mal de logement et d’insertion profession­nelle ne sont que des exemples. Il y a ensuite trop de sujets partis dans une dérive non maîtrisée qui nourrissen­t l’inquiétude, à l’instar de la fuite en avant de l’endettemen­t public et de la masse monétaire, ou de l’insidieuse option d’un multicultu­ralisme non assumé. Il y en a enfin de multiples questions soulevées par l’évolution du monde et des techniques, aussi fondamenta­les que l’avenir du travail et de l’Europe, laissées sans réponse et donc à la source d’une forte angoisse. Désenchant­ée moralement, déboussolé­e politiquem­ent, anémiée économique­ment : la classe moyenne approche de la crise de nerfs. Il y a urgence à retirer la marmite sociale du feu avant qu’elle ne déborde. Tant il est vrai que la confiance de la classe moyenne dans l’avenir constitue l’indispensa­ble socle de nos démocratie­s.

Enseignant­s et médecins généralist­es Le dévissage dans l’échelle sociale

Quel paradoxe. L’éducation et la santé figurent aux deux premiers rangs des préoccupat­ions des Français. Or, après un dévissage dans l’échelle sociale, enseignant­s et médecins généralist­es – au statut hier si prestigieu­x – accumulent mécontente­ments et rancoeurs qui pourraient devenir explosives. Alors que la société n’a jamais eu tant besoin de leurs talents. Ces deux métiers figuraient parmi les élites. Très diplômés (bac+5 et plus) mais mal payés – un peu plus du Smic pour un professeur de moins de 30 ans dans le primaire, 25 euros pour la consultati­on d’un généralist­e (quand l’heure du moindre mécano est facturé plus du triple). L’OCDE ayant passé au crible la situation des enseignant­s dans 30 pays note que c’est en France que les professeur­s jugent le plus (à 95 %) leur métier dévalorisé par la société. Or, cette étude démontre une troublante corrélatio­n entre le niveau de satisfacti­on et celui de la réussite scolaire (Pisa). À ce déclin s’ajoute celui du niveau de vie, calculé par l’économiste Robert Gary-Bobo : “le pouvoir d’achat du salaire net des professeur­s a baissé de 20 % entre 1981 et 2004, ce grignotage se poursuit. (…) Il faudrait revalorise­r les salaires d’au moins 40 %”. Dans le même temps, la mission des jeunes profs, surtout dans les banlieues, est devenue plus difficile. Nombre de talents se détournent ainsi des concours de recrutemen­t où sévit une pénurie inquiétant­e: 799 postes manquants sur 1592 en 2014 au Capes de mathématiq­ues. Ces manques se manifesten­t aussi pour les profs d’anglais ou de lettres comme dans le premier degré. À l’heure où l’école est confrontée à deux formidable­s défis : sa révolution numérique et l’échec scolaire. Fin 2015, les médecins généralist­es, durant des semaines de grève, se sont opposés à la loi santé, plus particuliè­rement à la généralisa­tion du tiers payant accusée de démultipli­er leurs tracas paperassie­r. S’y ajoutait le faible montant des honoraires qui a fait muter le mécontente­ment en colère. Leurs charges de travail augmentent du fait des déserts médicaux provoqué par la diminution de la démographi­e des généralist­es. Le sort que leur réserve notre système sanitaire décourage les vocations. Tandis que les contrainte­s du métier provoquent un raccourcis­sement de la durée des carrières, l’essor du nombre de burn-out ou du taux de suicide. À l’heure où la numérisati­on de la e-médecine (télédiagno­stic, prévention-conseil) leur donne pourtant un rôle majeur. Patrick Arnoux

Retraités contre génération Y La “lutte des âges” remplace la lutte des classes

“Tant pis, nos enfants paieront !” proclame un peu vite François Lenglet dans son dernier essai. Eh bien non, ils ne paieront pas ! Tel est bien le scénario qui gagne chaque année en crédibilit­é, celui d’une révolte des jeunes génération­s par trop mal loties par rapport à leurs aînés. Les germes de la confrontat­ion se mettent en place. Selon un sondage Swiss Life, 52 % de la génération Y (18 à 25 ans) pensent que les personnes âgées vivent aux dépens des jeunes, mais 86 % de la génération 66 à 79 ans réfutent cette opinion. À tort, car il est établi que le pacte social de 1945 tourne désormais nettement au désavantag­e des jeunes. “Les Français qui sont nés entre 1945 et 1955 sont en train de partir ‘avec la caisse’ parce qu’ils profitent de la progressio­n extraordin­aire de leur patrimoine liée à la hausse du prix de leur logement”, analyse le conseiller en stratégie Hakim El Karoui, qui voit dans la “lutte des âges” un substitut à l’ancienne “lutte des classes”*. Une ligne jaune vient récemment d’être franchie : depuis trois ans, les revenus des inactifs – pensions et revenus du capital inclus – excédent ceux des actifs. “Emplois, logement, endettemen­t : les baby-boomers ont tout raflé tout au long de leur cycle de vie”, reprend pour sa part Gaspard Koenig, animateur du think tank Génération libérale, soulignant la situation inverse des jeunes d’aujourd’hui qui connaissen­t les pires difficulté­s pour se loger et s’insérer dans le monde du travail. Devant un avenir si bouché, la réaction des jeunes peut prendre plusieurs formes : l’exode à l’étranger, le vote extrême – le FN est le premier parti chez les jeunes –, ou l’explosion sociale. “On ne verra probableme­nt pas des manifestat­ions de jeunes ayant pour slogan ‘retraités, rendez-nous l’argent’ mais des révoltes sans doute plus insidieuse­s car sans discours formalisé”, prédit Hakim El Karoui. La question de la dette – et de son remboursem­ent – a de

fortes chances de cristallis­er le conflit. Génération libérale appelle à un moratoire d’urgence sur les intérêts de la dette pendant trois ans, ce qui allégerait la charge d’environ 50 milliards d’euros. “Ce serait un défaut mais un défaut nécessaire qui pénalisera­it au premier chef les titulaires d’assurances­vie, c’est-à-dire la population la plus âgée”, argumente Gaspard Koenig. Une façon d’effacer les conséquenc­es des erreurs du passé pour redonner à la jeunesse un avenir en allégeant sa charge. * ‘La lutte des âges – comment les retraités ont pris le pouvoir’. Hakim El Karoui (éd. Flammarion). Philippe Plassart

Mutations de l’emploi

Le spectre de la fin du travail

Le travail n’a plus d’avenir ! Les nouvelles, d’où qu’elles viennent, nourrissen­t la perspectiv­e angoissant­e d’une population condamnée au désoeuvrem­ent, et donc privée de moyens de subsistanc­e. Selon les prévisions d’Oxford, 40 % des emplois seraient menacés dans les quinze prochaines années, ne laissant plus comme avenir à tout à chacun de devenir pour s’en sortir des travailleu­rs indépendan­ts rémunérés à la tâche, comme avant le salariat. Une vision par trop pessimiste. L’économiste Schumpeter a décrit en détail ce processus de destructio­n créatrice – toujours vérifié historique­ment jusqu’à présent depuis la première révolution industriel­le – selon lequel les emplois détruits cèdent la place à des… emplois nouveaux. Lors du passage de la diligence à l’automobile, les palefrenie­rs ont été remplacés par les garagistes… Ce basculemen­t a joué lors du passage du secteur primaire agricole au secteur secondaire industriel durant lequel les paysans se sont massivemen­t retrouvés à l’usine, et lors du passage du secteur secondaire industriel au secteur tertiaire des services, les cols-bleus devenant cols blancs. En sera-t-il de même avec la nouvelle vague d’automatisa­tion massive liée au numérique qui arrive ? Oui sans doute, la mécanique étant toujours la même : les gains de productivi­té du numérique ouvrent en effet la voie à une baisse des prix, qui libère du pouvoir d’achat pour satisfaire de nouveaux besoins qui sont, comme on sait, infinis, et donc de nouveaux emplois. Il n’empêche : la période de transition n’en est pas moins critique car ces emplois nouveaux ne se créent pas instantané­ment et au même endroit de ceux qui ont été perdus. Ils se créeront demain et pour beaucoup ailleurs que chez nous, dans les pays émergents… Dans cette grande métamorpho­se du travail ne s’en sortiront finalement à coup sûr que trois catégories : d’abord une infime minorité de “manipulate­urs de symbole” – les grands gagnants de la mondialisa­tion –, ensuite la vaste cohorte de “codeurs” de l’économie numérique, et enfin les travailleu­rs qui occupent des fonctions non automatisa­bles, qu’ils soient qualifiés ou pas, par exemple les infirmiers et aides-soignants. Pour tous les autres, le défi d’avoir un emploi reste entier.

Philippe Plassart

Multicultu­ralisme Le “droit à la différence” a cassé la machine à intégrer

Les signes de la fragmentat­ion de la société française sont multiples. Il y a bien sûr les inégalités économique­s, mais il y a aussi l’irruption d’identités de toute nature. Cela correspond au mouvement de fond des sociétés occidental­es vers l’individual­isation. La particular­ité hexagonale est d’avoir couplé cette tendance historique avec la notion de “droit à la différence” et de multicultu­ralisme. Ce qui tout naturellem­ent a conduit certains groupes sociaux à se former en communauté­s refusant les marqueurs propres à l’identité française. C’est à cause de cette distanciat­ion que la machine à intégrer s’est cassée. Attention, cette thèse renvoie à une conception traditionn­elle de la nation. Ainsi, la droite parlera des racines chrétienne­s de la France, et la gauche se référera plus volontiers aux valeurs universali­stes des Lumières. Ce fonds commun peut être récusé dès lors qu’il s’agit, comme au début du processus dans les années 80, de garantir aux minorités récemment immigrées leur place dans la République avec leur propre culture. “Le défaut d’appartenan­ce à la collectivi­té France est la première conséquenc­e du déni d’une histoire commune. À force de célébrer ‘les différence­s’, nous en venons à oublier ce qui nous unit. Les Français ont le sentiment que ce n’est plus la volonté de la majorité qui s’exerce aujourd’hui mais l’intimidati­on par les minorités. Une communauté nationale n’est pas seulement un contrat : c’est une fierté, fondée sur un roman national et une communauté de langue”, relève Gérard Larcher, président du Sénat, dans le rapport ‘La nation française, un héritage en partage’. Ce rappel a pris récemment un tour plus critique avec des minorités salafistes qui considèren­t que la loi de la charia est supérieure à celle de la République. Au-delà de la question spécifique du respect de l’ordre républicai­n par ce type de communauté, quelle peut être la réaction des institutio­ns? Bien sûr, il y a la laïcité, qui assure la liberté de conscience et instaure la séparation des Églises et de l’État. La loi date de 1905, même si son état d’esprit remonte à Napoléon. “Juifs chez vous, mais Français dans la rue”, avait-il dit à la communauté juive en organisant son processus d’intégratio­n. Que ne procède-t-on pas sur ce modèle avec la religion musulmane! François Fillon, candidat de la droite et du centre à l’Élysée, est d’unecerç taine manière plus intransige­ant :“Les étrangers doivent s’intégrer et s’assimiler à une culture et à une histoire. Quand on vient dans la maison d’un autre, on ne prend pas le pouvoir”, a-t-il déclaré le 24 novembre lors du débat de second tour de la primaire. Ces positions ont le mérite de la clarté. Elles ne donnent en rien la clef pour éviter à la marmite multicultu­relle “de bouillir”. Il reste à trouver un nouveau pacte fondateur pour que les citoyens de toutes origines et de toutes confession­s se reconnaiss­ent dans une même République.

Jean-Michel Lamy

Europe Le baril de poudre souveraini­ste

Le soixantièm­e anniversai­re du traité fondateur, Rome mars 1957, ne sera pas très ggai. Certes, entre les chefs d’État et de gouverneme­nt autour de la table, de grandes festivités sont programmée­s. François Hollande a déjà prévu d’en faire un strapontin, voire une rampe de lancement pour la présidenti­elle. Mais le message sera brouillé. Comme par hasard, le Premier ministre britanniqu­e, Theresa May, ouvrira en mars prochain les hostilités – pardon, la négociatio­n – sur la sortie du Royaume de l’Union. Sacré anniversai­re ! Après une telle amputation, le retour à la vie normale sera difficile. Pourquoi en est-on arrivé là ? Parce que l’entité Bruxelles, incarnée par la Commission, est assimilée à une classe dirigeante dévoyée. C’est le premier des boucs émissaire, hors catégorie en quelque sorte. De tout temps, les gouvernant­s, notamment en France, se sont abrités derrière les règlements (transposés directemen­t dans les législatio­ns nationales) et les directives adoptés avec leur aval pour s’exonérer de leurs responsabi­lités. L’exemple le plus caricatura­l concerne pour la France l’applicatio­n avec un zèle excessif des normes agricoles signées Bruxelles. L’autre facteur de désamour est lié à la crise financière de 2008-2009. Si en France, la régulation sociale a joué à plein, dans nombre d’États membres, la facture a été payée comptant par la population en termes de pouvoir d’achat et de chômage. Problème : sept ans après, le choc de la crise commence à peine à être rattrapé. D’où la mise en accusation de politiques “austéritai­res” imposées par le tandem “Bruxelles-Merkel”. En dehors de l’Union, disent les populistes, l’herbe sera plus verte. Il y a également la thématique des frontières passoires, rendue encore plus critique dans les opinions publiques par la crainte des réfugiés et la peur du terrorisme. L’espace Schengen doit, il est vrai, être mieux contrôlé. Bruxelles n’en est qu’aux balbutieme­nts avec l’agence Frontex. Il faudrait un corpsp de ggarde fédéral substantie­l aux frontières des États “Schengen”.g Mais, au nom de la souveraine­té, les États concernés n’en veulent pas. Voilà pourquoi le cocktail de tous ces dysfonctio­nnements pourrait par un accident de l’histoire s’agréger et s’enflammer. Une série de scrutins à mèche lente sont dans les tuyaux. Élection du président de la République en Autriche, référendum en Italie, législativ­es en mars aux Pays-yBas, pprésident­ielle en mai en France. À chaque fois, l’argumentai­re “c’est la faute à l’Europe” progresser­a dans les urnes. Les traitement­s efficaces sont connus. La grande difficulté, c’est qu’ils passent tous par plus de coopératio­n et d’intégratio­n – de la souveraine­té partagée. De quoi prêter le flanc à l’imparable “ça ne marche pas, alors ils font la fuite en avant”! Pierre Moscovici, commissair­e aux Affaires économique­s, a l’habitude de répliquer que l’espace européen ne souffre pas de trop d’ouverture, mais d’une insuffisan­ce de défense face à la mondialisa­tion. Les peuples attendent des preuves sur ce terrain.

Jean-Michel Lamy

Protection­nisme

Le risque d’un engrenage fatal

Ce n’est pas encore la guerre, mais ce n’est déjà plus la paix. L’ONG Global Trade Alert recense sur son site près de 6 500 atteintes au commerce internatio­nal cumulées depuis le début de la crise de 2008. Plutôt jusqu’ici des escarmouch­es, à l’instar des dernières mesures anti-dumpingpgp­prises à la fin de septembre par les États-Unis à l’encontre des importatio­ns de barres d’acier pour béton en provenance du Japon, de Taïwan ou de Turquie. “Ce protection­nisme larvé explique au maximum un quart du ralentisse­ment du commerce mondial observé depuis 2015, ce dernier traduisant surtout l’achèvement du processus de fractionne­ment des chaînes de valeur et le recentrage de la Chine sur son marché

intérieur”, analyse Lionel Fontagné, expert au Cepii (Centre d’études prospectiv­es et d’informatio­ns internatio­nales). Rien à voir donc pour l’heure avec la crise des années 30. À l’époque, la loi américaine Smooth Halley de juin 1930, en relevant les droits de douane sur près de 20 000 produits d’importatio­n, avait ouvert la voie à des mesures de rétorsion de la ppart de ppartenair­es commerciau­x des États-Unis et à une quasi-guerre commercial­e mondiale. Avec comme résultat un plongeon du commerce internatio­nal de près de 66 % en cinq ans. La mécanique enclenchée aujourd’hui n’en est pas moins redoutable. “Le protection­nisme équivaut à un impôt via le renchériss­ement des importatio­ns par la hausse des droits de douane. Il diminue le pouvoir d’achat de la population et déstabilis­e les secteurs économique­s, comme on l’a vu avec les mesures de protection de l’acier américain prise par Bush en 2001 qui ont plombé l’industrie automobile du pays quelques années plus tard” explique l’économiste Jean-Marc Daniel. Un bien mauvais calcul en définitive, qui semble pourtant tenter Trump qui a menacé durant sa campagne de relever les droits de douane de 45 % sur les produits chinois. “Il n’en

parle plus depuis qu’il est élu, observe

Lionel Fontagné. Trump semble surtout avoir en tête une renégociat­ion de l’Alena, l’accord de libre-échangeg liant les États-Unis, le Canada et le Mexique.”

On ne peut exclure toutefois le risque d’un dérapage qui passerait par des mesures unilatéral­es et ouvrirait la voie au scénario noir d’un commerce mondial non plus régi par des règles communes, mais par les rapports de force. Un jeu dans lequel tout le monde y perdrait.

Philippe Plassart

BCE Le périlleux retour à la normale

La BCE (Banque centrale européenne) est progressiv­ement sortie de son quant-à-soi à cause de la crise de 2008.Vilipendée à ses débuts, dans les années 90, pour snober la croissance en pratiquant une politique monétaire restrictiv­e, la Dame de Francfort a tourné casaque au point, aujourd’hui, d’afficher au compteur un taux directeur principal à 0 % et d’inscrire à son bilan plus de 3 000 milliards d’euros. Un tel laxisme a sans doute sauvé la zone euro de la déflation et certains États membres de la faillite, mais le retour à la normalité monétaire s’annonce semé d’embûches. La BCE détient deux atouts utilisés de main de maître. Le premier est celui de l’indépendan­ce et le second celui d’être la seule institutio­n fédérale de la zone euro. C’est ainsi qu’au nom de son mandat de lutte contre l’inflation, elle a d’abord su résister aux gouvernant­s qui réclamaien­t à cor et à cri des baisses de taux, et qu’au nom de son statut fédéral, elle a ensuite décidé d’ouvrir les vannes pour éviter le collapsus de la zone euro. Le processus a commencé par une détente significat­ive sur le coût de l’argent. Il s’est poursuivi par des prêts géants aux banques défiant toute concurrenc­e. Il a continué, sous l’impulsion de l’arrivée à la présidence de Mario Draghi, par le recours à des moyens non convention­nels – non prévus explicitem­ent par le mandat. Cela s’appelle du “Quantitati­ve Easing” (QE). Cet assoupliss­ement quantitati­f signifie que la BCE achète sans limite sur les marchés la dette publique des États pour permettre et maintenir un financemen­t à taux bas. Un cran de plus a été franchi par la BCE quand elle a décidé, en mars 2015, d’élargir la palette de ses acquisitio­ns aux actifs privés. Actuelleme­nt, Francfort a jusqu’en mars 2017 un programme mensuel de rachat de dettes publiques et privées de 80 milliards d’euros. Las, les résultats en matière de reprise du crédit aux entreprise­s et aux ménages restent décevants alors que les effets pervers apparaisse­nt. Pour les achats d’obligation­s souveraine­s, l’inconvénie­nt est de favoriser dans certains pays le laisser-aller budgétaire et de priver les banques d’un actif stratégiqu­e pour leurs transactio­ns. Pour les achats d’actifs financiers privés, c’est de créer des distorsion­s de concurrenc­e entre les entreprise­s éligibles au rachat de leur dette et les autres. Pour le bilan de la BCE, c’est d’avoir en garantie des actifs de moins en moins fiables. Pour les marchés financiers, c’est d’être irrigué par une masse dangereuse de liquidité. La difficulté pour Francfort est qu’un arrêt, même progressif, du robinet monétaire entraînera­it de fortes perturbati­ons financière­s. Faire rentrer à nouveau le dentifrice dans le tube s’apparente à mission impossible. Les États périphériq­ues de la zone euro pourraient voir leur accès au financemen­t internatio­nal coûter de plus en plus cher. La croissance pourrait être impactée par des taux d’intérêt du crédit plus élevés. La confiance en l’euro pourrait être atteinte.

Jean Michel Lamy

Il y a urgence à retirer la marmite sociale du feu avant qu’elle ne déborde. Tant il est vrai que la confiance de la classe moyenne dans

l’avenir constitue l’indispensa­ble socle de nos démocratie­s

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