Le Nouvel Économiste

Éloge de la transparen­ce

Le parler-vrai est rarement un instrument de conquête politique. Chacun à leur façon, Hollande et Fillon s’y essaient

- JEAN-MICHEL LAMY

Michel Rocard n’est pas le seul à avoir dû s’effacer pour le poste suprême devant plus démagogiqu­e que lui au plan économique. Raymond Barre, pourfendeu­r du microcosme, est également resté à la pporte du ppalais de l’Élysée. Quant à Pierre Mendès France, il n’aura connu sous la IVe République que sept mois de présidence du Conseil pour refuser d’amender sa parole et ses comporteme­nts.

François Hollande est devenu son propre mémorialis­te avant la fin du quinquenna­t. Il dévoile dans un livre* tous les ressorts de son action et confie de superbes analyses sur les grands acteurs de la vie publique. Le ton est juste, le trait acéré, la pédagogie digeste. Tout est décortiqué, brut de décoffrage. Sur ce registre, le président de la République est le meilleur. C’est du “Alain Duhamel” puissance 1 000 ! Ulcérés, les élus du PS et les profession­nels du commentair­e politique ont tous décrié comme indigne cet exercice de transparen­ce démocratiq­ue. Quelques dérapages mis à part, c’est pourtant le plus percutant des Manifeste pour une candidatur­e de vérité. À ceci près que ceparp ler-vrai est devenu un boomerang anti-Hollande. François Fillon, le vainqueur de la primaire de la droite et du centre, se situe égalementg dans la tradition ppolitique du parler-vrai. À peine arrivé à Matignon, il faisait ses classes, de Corse,, avec le célèbre “jje suis à la tête d’un État en situation de faillite” . Aujourd’hui, n’étant plus au coeur du pouvoir, il est dans une configurat­ion radicaleme­nt différente de celle de l’hôte de l’Élysée. Mais le défi d’une parole libre reste : il va connaître une guerre de tranchée de cinq mois sur ses propositio­ns.

Un président qui n’imprime plus

C’est encore plus grave pour François Hollande. Il ne pparvient pplus à imprimerp dans l’opinion. À cause de son caractère indécis sans doute, il n’a réussi ni à justifier, ni à vendre le changement de cap par rapport à un engagement de campagne, à gauche toute, dit “discours du Bourget”. Du coup, son parler-vrai “post-Bourget” est inaudible. Le plus paradoxal est que son livre-vérité* aurait très bien pu servir de propédeuti­que à la pensée “post-Bourget”. Las,, cette “arme-vérité” est retournée contre l’Élysée par les opposants de tout poil aux fins de disqualifi­cation définitive du président. Il faut dire que de Claude Bartolone à Jean-Marc Ayrault, tout le monde en prend pour son grade! Après lecture du texte, Manuel Valls a fait part de “son désarroi et de son doute” sur une nouvelle candidatur­e du pprésident de la République.q À qquoi,, selon ‘Le Monde’,’ l’Élysée réplique queconcoup rir à la présidenti­elle n’a rien à voir avec un salon littéraire ou l’émission ‘Apostrophe­s’pp sur les livres. C’est la guerre froide au sommet de l’État. En fait, François Hollande a dit aux deux interviewe­rs trop de vérités qui ne sont pas bonnes… à entendre par toutes les oreilles. Le parler-vrai correspond toujours à une prise de risque, en société comme en politique. En son temps, cela n’avait guère porté chance à son porte-drapeau emblématiq­ue, Michel Rocard. Le “favori” Fillon devrait aussi se rappeler ce ggrand brûlé de la conquête de l’Élysée!

Tout cela ne décourage pas François Hollande. Il est dans la place et il continue imperturba­blement son Tour de France, de long en large du territoire, pour expliquer sa vérité, le sens de son quinquenna­t, sa capacité à être le seul en mesure de rassembler un PS fragmenté entre autres sur les choix de politique économique. Comment François Hollande défend-il son quinquenna­t ? “On avait fait, le 11 janvier 2013, l’accord signé entre le patronat et les syndicats réformiste­s sur l’accord interprofe­ssionnel, puis ensuite il y a eu les retraites avec l’allongemen­t de la durée des cotisation­s sans remettre en cause l’âge légal du départ, après il y a eu le pacte de responsabi­lité sur la baisse des charges, puis la réforme de la formation pprofessio­nnelle”,f , rappellep le chef de l’État. C’est un verf sant réussi du quinquenna­t. Seulement voilà, François Hollande abandonne tout surmoi. Du parler-vrai puissance 1 000 ! Dans “le livre”, il téléphone, en présence des journalist­es, à Pierre Gattaz, président du Medef, gratifié au passage d’un “brave bougre”, pour qu’il use de son influence auprès des députés de droite pour éviter le blocage de l’article 2 de la loi travail – celui qui donne la primeur à l’accord d’entreprise. On connaît la suite, le texte est passé à l’Assemblée nationale grâce au 49.3 (adoption sans vote sauf motion de censure). Au final, l’accord collectif négocié au niveau de l’entreprise prend le pas sur l’accord de branche pour plusieurs sujets liés au temps de travail. C’est une avancée vers le monde réel qui contourne les 35 heures. Qu’est-ce qui ne marche pas alors dans la descriptio­n du dessous des cartes que donne François Hollande ? Dans la gestion au quotidien, il a cherché à ne mécontente­r personne et s’est mis tout le monde à dos. Le pouvoir socialiste a ainsi laissé passer nombre de mesures qui ont découragé et braqué l’entreprene­ur. Alors que son état d’esprit social-démocrate le préparait à réussir les transition­s économique­s nécessaire­s.

Quels enseigneme­nts pour François Fillon ?

N’en déplaise aux apparences, l’actuel président de la République et le tout nouveau président des LR (Les Républicai­ns) sont de fait embarqués sur le même bateau baptisé “politique de l’offre”. Simplement le premier a navigué avec un moteur de Twingo et le second promet un moteur de Porsche. Le parallélis­mep ppeut se poursuivre. À l’actuel chef de l’État, il est reproché de faire des cadeaux aux entreprise­s, à son successeur – si c’est François Fillon – il sera en plus reproché de faire des cadeaux aux riches. Le député de Paris a, il est vrai, rédigé son livre-programme ‘Faire’ sans passer par la médiation de journalist­es. Et primaire aidant, il a déclamé à haute voix ses intentions réelles devant le forum médiatique. François Fillon y a déployé son mantra, “la France veut la vérité et des actes”, et son fil rouge, “je veux débureaucr­atiser la France”. Quels sont les enseigneme­nts pour François Fillon ? Il résume son programme en “travailler un peu plus et dépenser un peu moins”. Une mentalité de boutiquier qui conviendra­it à la France de 2017 ? Pierre Gattaz tend une perche : “s’il a la confiance des entreprene­urs, c’est gagné”. Manière de dire qu’il l’a a priori. Le point le plus critique est sans doute son objectif de revenir à une taxation forfaitair­e des revenus du capital au taux de 30 %. Alimenter en fonds propres les entreprise­s n’a jamais eu bonne presse en France. Comment en cinq mois en convaincre une majorité d’électeurs ? Ce délai va se transforme­r en guerre de tranchée sur ses positions, alors que sa “grande” stratégie était de décider de dix grandes mesures en trois mois (durée légale du temps de travail, âge de la retraite, seuils sociaux, prestation sociale unique individual­isée, fiscalité favorable à l’investisse­ment… entre juin et septembre 2017). Au rebours du candidat Hollande, l’ancien Premier ministre de Sarkozy aura tout dit avant de ses vraies intentions. Mais le parler-vrai a priori présente autant de risques que le parler-vrai a posteriori. Les références historique­s ne sont guère encouragea­ntes. Michel Rocard n’est pas le seul à avoir dû s’effacer pour le poste suprême devant plus démagogiqu­e que lui au plan économique. Raymond Barre, pourfendeu­r du microcosme, est égalementg resté à la pporte du palais de l’Élysée. Quant à Pierre Mendès France, il n’aura connu sous la IVe République que sept mois de présidence du Conseil pour refuser d’amender sa parole et ses comporteme­nts. Sur France 2, François Fillon a assuré qu’il ne toucherait pas à la cohérence de son projet.

Qu’est-ce qui ne marche pas chez François Hollande ?

(*) ‘Un président ne devrait pas dire ça…’, de Gérard Davet et Fabrice Lhomme.

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