Le Nouvel Économiste

Les trolls de brevets, nouvelle plaie juridique

Les intermédia­ires surnommés “patent trolls” sont au coeur de deux procès de haut vol entre Apple et Nokia

- RICHARD WATERS, FT

Google et Apple sont les deux entreprise­s les plus importante­s dans le monde, et les gagnants indéniable­s de l’essor des smartphone­s. Dans leur sillage se trouve le fabricant de téléphones Nokia, qui a été vendu à Microsoft et a finalement fait faillite. Mais quand il s’agit de se prémunir contre l’arsenal de brevets que Nokia avait déposés durant ses années au sommet, les poids lourds américains de la technologi­e veulent passer pour des victimes de pratiques injustes et anticoncur­rentielles. Cette ironie plutôt délicieuse date de la semaine dernière, lorsqu’Apple a déposé une plainte antitrust privée contre deux sociétés qui ont agi comme garantes du portefeuil­le des brevets de Nokia. Apple accuse Nokia de profiter du système juridique à des fins frauduleus­es, en fractionna­nt ses brevets et en les confiant à des entreprise­s spécialisé­es. En cette période de rhétorique en surchauffe en matière de propriété intellectu­elle, Nokia est devenu le plus détestable des animaux : un “patent troll” ou troll de brevets. Il y a quatre ans, Google s’est attaqué au même arrangemen­t en déposant une plainte devant les régulateur­s européens. Il accusait la société finlandais­e et Microsoft de “comploter” pour augmenter les prix des smartphone­s et de contourner les autorisati­ons de brevets essentiell­es au bon fonctionne­ment des marchés technologi­ques. Aujourd’hui, il est tentant de considérer tout cela comme une bataille entre entreprise­s très riches. Mais l’affaire met en évidence une question importante pour l’ensemble de l’industrie de la technologi­e. Il s’agit des Patent Assertion Entities, ou PAE (sociétés de gestion de brevets), sociétés spécialisé­es créées pour acheter et faire respecter les droits de propriété intellectu­elle. Selon certains, ces mercenaire­s n’ont aucun scrupule à profiter d’un cadre juridique fragile pour exiger des redevances excessives, et bouleverse­nt l’équilibre délicat entre les inventeurs et les entreprise­s qui tirent profit de leurs inventions dans le secteur de la technologi­e. Certains aspects des mesures d’applicatio­n des brevets sont plus désagréabl­es que d’autres. Dans une étude récente, la Federal Trade Commission américaine approuve globalemen­t ce qu’elle désigne sous le terme de “portefeuil­le PAE” – les entreprise­s qui achètent de gros volumes de brevets –, car elles remplissen­t une fonction économique utile et plus de la moitié d’entre elles partagent des bénéfices avec les inventeurs. Elles sont certes plus disposées à recourir aux actions en justice que les entreprise­s de technologi­e qui ont, elles, des relations industriel­les à préserver, et elles ont l’expertise et les capitaux nécessaire­s pour se lancer dans des batailles judiciaire­s. Mais cela ne les rend pas mauvaises en soi. Une deuxième question, plus sérieuse, est de savoir si les PAE se livrent à une guerre asymétriqu­e. En tant qu’entités juridiques d’exception, qui ne possèdent aucune entreprise d’exploitati­on, elles peuvent intenter des poursuites sans crainte d’être poursuivie­s en retour. Elles pourraient également servir de sociétés écran aux véritables propriétai­res de brevets, et éviter ainsi les pressions que pourraient exercer les avocats des entreprise­s qui ont originelle­ment déposé les droits de brevet. Ces effets secondaire­s, bien que désagréabl­es, semblent acceptable­s s’ils sont annulés par les avantages de l’externalis­ation des droits légaux. Mais il y a d’autres conséquenc­es, plus pernicieus­es, qui peuvent être plus difficiles à avaler. Le premier est le secret entourant certaines PAE. Lorsque le bénéficiai­re ultime d’une action en justice est caché, il est impossible pour les accusés de se défendre par leur propre action légale. Les PAE peuvent également recourir à des tactiques douteuses, par exemple, diffuser des brevets par le biais d’entités juridiques différente­s, puis obliger une entreprise comme Apple à acheter plusieurs licences pour la même technologi­e. Cette pratique est connue dans le secteur comme le “cumul des redevances”. Une autre préoccupat­ion est de savoir si certaines entreprise­s ont utilisé des PAE pour échapper à leurs obligation­s de maintenir des normes ouvertes au secteur. Quand elles possèdent des brevets dans la tech qui jouent un rôle dans les normes industriel­les, des compagnies comme Nokia acceptent de limiter l’agressivit­é avec laquelle elles font faire valoir leurs droits. Mais lorsque les brevets sont détenus par une entreprise sans lien de dépendance, ces contrainte­s peuvent ne pas s’appliquer. Les manoeuvres judiciaire­s d’Apple auraient plus de poids si Apple n’avait pas été accusé de s’opposer aux méthodes courantes du secteur en ce qui concerne les normes technologi­ques. Dans l’une des plaintes, Nokia accuse le fabricant de l’iPhone de refuser d’octroyer une licence pour un ensemble de brevets utilisés dans la norme de compressio­n vidéo H.264, même si de nombreuses autres entreprise­s de tech ont accepté ces mêmes termes. Il est également peu probable que les régulateur­s européens de la concurrenc­e défendent des groupes tech américains qui font parallèlem­ent à Bruxelles. Alors que les montants en jeu augmentent et que les agents chargés de la protection des brevets font maintenant partie du paysage juridique, un suivi plus attentif de leurs stratégies aurait dû avoir lieu.

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