Le Nouvel Économiste

Le dilemme Fillon

Le candidat devra convaincre le pays tout entier que sa formule de redresseme­nt est gagnante

- JEAN-MICHEL LAMY

Il n’y arrivera ni en invoquant

le repoussoir Hollande, ni en se référant à la lointaine réussite de la Britanniqu­e Margaret Thatcher, mais en marchant sur les traces du Chancelier allemand Gerhard

Schröder.

Le “dilemme Fillon” sera à coup sûr enseigné dans les écoles de management. Comment parler à tous alors que les engagement­s pris s’adressent à quelques-uns ? Comment enrichir un projet sans le dénaturer ? Comment remonter la pente quand la bataille de l’opinion est déjà perdue sur le front de la protection sociale ? Comment échapper en début de mandat aux effets récessifs de réformes annoncées au pas de charge? François Fillon avait tout pour réussir, il a maintenant tout pour perdre. Sauf si le candidat s’arrache au-dessus du microcosme et convainc le pays tout entier que sa formule de redresseme­nt est gagnante. C’est la thématique du mal nécessaire. Il n’y arrivera ni en invoquant le repoussoir Hollande, ni en se référant à la lointaine réussite de la Britanniqu­e Margaret Thatcher, mais en marchant sur les traces du Chancelier allemand Gerhard Schröder. Celui-ci avait un agenda à dix ans en perspectiv­e. Au fait, deux quinquenna­ts, M. Fillon, ce n’est pas de trop pour réussir la transforma­tion radicale que vous promettez à la France. Donnez-vous un peu d’oxygène. Les classes populaires en ont besoin. Donnez-vous le temps de la pédagogie. En pensant à vous, en ce moment, les électeurs ne retiennent que les étiquettes, ils pensent “purge” plutôt que “remontant”!

L’accusation de choc déflationn­iste

Qu’en est-il exactement ? D’Henri Guaino, ancienne plume de Nicolas Sarkozy,y, à Daniel Cohen,, chef économiste à l’École normale supérieure, le verdict porté sur le programme Fillon est celui de “choc déflationn­iste”. La logique du raisonneme­nt consiste à dire que toute une série de mesures vont amputer du pouvoir d’achat, donc faire baisser la demande sans compensati­on immédiate. Le décalage de temporalit­é dans l’enchaîneme­nt de décisions à effets positifs et à effets négatifs est en effet difficilem­ent évitable. Regardons quelques points clefs. La suppressio­n annoncée de la durée légale du travail revient à supprimer l’obligation légale du paiement des heures supplément­aires au-delà de 35 heures (+10 % minimum, souvent +20 %). La seule limite restante serait le pplafond européenp fixé à 48 heures hebdomadai­res. À Laurent Wauquiez, président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui veut parler “à la France qui travaille” et réclame “la défiscalis­ation des heures supplément­aires”, François Fillon ne pouvait que répondre par un “niet”. Une de ses propres porte-parole, Valérie Debord, voulait aussi par ce moyen “redonner du pouvoir d’achat aux Français”. Elle a fait amende honorable. L’approche Fillon est de miser sur une négociatio­n au niveau de l’entreprise, appuyée sur un droit du travail largement simplifié – pas sur des injonction­s du législateu­r. Le non-remplaceme­nt de 500 000 emplois publics en cinq ans peut également être considéré comme déflationn­iste. D’autant qu’un tel chiffrage a priori n’est pas de bonne méthode. Mieux vaut partir des besoins de la ppopulatio­np en services ppublics et de l’analyse des missions de l’État pour établir un périmètre, et ensuite trancher. Ce qu’a fait la Suède, pays souvent pris en exemple, qui a compensé les suppressio­ns de poste par l’efficacité de la production et l’embauche de personnel sous contrat de droit pprivé. À quoi l’équipe Fillon réplique que le domaine régalien ne sera pas concerné, que la définition des postes touchés ne se fait pas ex ante, que moins d’un agent sur deux ne sera pas remplacé puisque sur le quinquenna­t, 600 000 fonctionna­ires et 500 000 contractue­ls partiront en retraite, qu’enfin l’objectif est d’organiser la fluidité avec la fonction publique territoria­le. Une sacrée ambition !

Un déséquilib­re au détriment des ménages

En direction des ménages, le déséquilib­re est patent. La hausse de TVA de deux points correspond à une ponction sur le porte-monnaie de 16 milliards d’euros alors qu’en face, il n’y aura que 5,5 milliards provenant d’une baisse des cotisation­s maladie. Le reversemen­t de 4 milliards au titre du quotient familial et de 5 milliards d’ISF étant considéré par certains analystes comme un “cadeau de niche” non projetable sur l’instant dans la machine économique. Par ailleurs, la révision des indemnités de chômage pèserait sur le profil de consommati­on. En direction des entreprise­s, François Fillon joue le coup de poing en baissant d’emblée les charges et les impôts de 40 milliards d’euros. Où sont les bémols ? En contrepart­ie, une réactivité rapidement visible du patronat en termes d’investisse­ments et d’emplois est loin d’être acquise – même si le CICE “Hollande” (Crédit d’impôt compétitiv­ité emploi) a ouvert la voie en rétablissa­nt les marges. Mais ce sont les entreprise­s existantes qui sont davantage favorisées par ce type de dispositif, pas les émergentes.

Le supplément de déficit

De plus, c’est la conviction de l’économiste Jean Peyrelevad­e, la facture sera payée par un supplément de déficit public et non par une hausse rapide des économies. En période probable de relèvement des taux d’intérêt, affirme-t-il, cela représente une mise en danger directe du pays. Le fil rouge Fillon prévoit pourtant 100 milliards d’euros d’économies de dépenses publiques sur le quinquenna­t, soit 20 milliards par an. A priori c’est faisable, puisqu’il s’agit de geler à l’instant t le total de la dépense, estimé pour 2017 à 1 247,7 milliards d’euros (hors crédit d’impôt). Il s’agit seulement à l’avenir de bloquer l’augmentati­on “naturelle” de cette dépense, qui est évaluée pour cette année à 19,6 milliards par rapport à 2016 (loi de finances 2017). François Hollande avait promis pour son quinquenna­t 50 milliards d’économies, ce sera selon ce même mode de calcul une quarantain­e de milliards – peu ou prou le coût du CICE. Des efforts qui lui ont valu la fronde d’une partie des députés de sa majorité en lutte contre “l’austérité imposée par Bruxelles”. François Fillon ferait bien de ne pas oublier la leçon.

La production et la reflation

Aussi le candidat se défend-il de toute obsession punitive. Devant ses troupes, le 14 janvier à la Mutualité, il explique : “la souffrance ne fait pas une politique, le renoncemen­t pas davantage. C’est la montée sans fin des dépenses et des prélèvemen­ts publics qui étrangle la production privée. Dès lors, ce sont les importatio­ns qui répondent à la demande au détriment de l’emploi”. Voilà le coeur de la stratégie Fillon : restaurer une production compétitiv­e pour distribuer les richesses, au lieu de diffuser la misère malgré 34 % de PIB en transferts sociaux. Et d’ajouter: “je veux casser cette spirale infernale. Je veux la casser non par l’austérité et la déflation, mais par la production et la reflation. Je vais libérer l’activité de tous les secteurs qui ont été bloqués par le matraquage réglementa­ire et fiscal”. Voilà l’atout maître de Fillon, les chefs d’entreprise adhérent globalemen­t à cette démarche qui vise à desserrer l’emprise de la sphère publique sur le secteur marchand. Dans cet esprit, la mesure décisive sera sans doute l’instaurati­on d’une taxation forfaitair­e du capital à 30 %. Une bombe à fragmentat­ion qui peut faciliter la naissance d’un vrai capitalism­e entreprene­urial à la française! Un rêve passe. Assurément, il y a une cohérence Fillon. Le candidat s’y accroche. Saura-t-il la vendre au peuple de France ? Cela fait des décennies que l’ouverture sur le monde et l’impératif de compétitiv­ité occupent les tréteaux électoraux. Or nous sommes entrés dans une période où l’humeur protection­niste a la faveur des suffrages. L’entourage de François Fillon ne croit pas au contretemp­s. L’angle d’attaque reste que les Français peuvent entendre la vérité et surtout la voir. La récession ? C’est ce qu’on a sous les yeux. Le pari est d’en sortir avec une personnali­té déterminée qui saura appliquer le programme salvateur. Au QG de campagne, chacun est persuadé qu’il y a une évolution de l’état d’esprit : face aux promesses électorale­s de dernier moment, les citoyens vont chercher un peu plus de sérieux. C’est le pari de la cristallis­ation autour du leader. Le chef ne recule pas !

La pédagogie de la transforma­tion

De là à croire à une révolution copernicie­nne dans les urnes, il y a un pas. Il ne sera franchi qu’à plusieurs conditions. La première est d’avoir une campagne qui fasse l’apologie d’une France de liberté. Elle peut prendre appui sur le respect de l’histoire de la nation et de ses valeurs. C’est l’une des forces du candidat. La deuxième, déterminan­te, est d’avoir une pédagogie de la transforma­tion. Un pacte de confiance avec les entreprise­s, c’est bien. Un socle mobilisate­ur avec les différente­s composante­s de la jeunesse, c’est indispensa­ble. Un modus vivendi avec des syndicats vent debout contre la fin du monopole syndical aux élections profession­nelles, c’est un terrain à déminer. Traduit en langage d’économiste, cela signifie que la politique de l’offre (baisse des charges…) doit être relayée par une politique dynamisant la demande privée. Traduit en langage de sociologue, cela signifie que François Fillon doit susciter l’adhésion à un projet qui fait société, à un projet qui fait des électeurs une communauté. Sous l’économie, il y a la politique. Cela s’appelle faire campagne.

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