TRUMP POWER
Le “meilleur des mondes” trumpien
La présidence des États-Unis est une institution dont le pouvoir premier est la déstabilisation. Elle est efficace lorsqu’elle agit à contre-emploi, déplace les lignes, assemble de nouvelles coalitions électorales, surprend, va à contre-courant de la doxa. Lyndon Johnson prit son Sud natal à contre-pied pour faire adopter les deux plus grands textes de protection des droits civiques, le Civil Rights Act de 1964 et le Voting Rights Act de 1965 ; Ronald Reagan obtint du Congrès à la fois une baisse massive des impôts et une hausse notable du budget de la Défense, en totale contradiction avec l’orthodoxie budgétaire de son parti. De fait, rares sont les grands présidents américains qui n’aient renversé l’ordre établi, pris l’establishment à revers ou persisté dans l’adversité, quitte à mettre en péril leur avenir politique.q Barak Obama l’a montré avec l’adoption de la réforme de la santé. LesÉtatsp Unis ne sont pas un héritage dont le président serait un prudent, vertueux ou habile gestionnaire. La continuité est la marque d’une présidence ordinaire, la rupture celle d’une présidence transformatrice. Donald Trump, délibérément, par caractère, a choisi de pousser ce principe jusqu’à l’absurde. Sa campagne fut marquée par la rupture avec tous les codes, qu’il s’agisse de la communication, du lexique, du calendrier, du financement mais aussi du dialogue avec les électeurs. Puis la période de transition ellemême rompit avec la tradition, avec un président élu qui se croyait déjà investi, sans pour autant endosser l’habit et le décorum qui vont avec la fonction. Enfin, le discours inaugural lui-même fut une reprise de son discours de campagne, une dystopie noire et inquiétante dans laquelle le peuple américain est livré sans défenses aux forces du mal d’un appareil ppolitiqueq corrompup et inefficace et aux menaces d’États voyous et d’organisations terroristes.
L’anti-chambre du chaos
Là où ses prédécesseurs pansaient les plaies partisanes de la campagne et rassemblaient, au moins pour les premiers cent jours, Donald Trump divise, tempête, dénonce et place le patriotisme au sommet de son panthéon des valeurs, s’érige devant les élites américaines assemblées sur les marches du Capitole comme le défenseur et la voix du peuple contre ces mêmes élites. En politique intérieure, c’est un pari risqué mais qui a au moins pour Trump le mérite de modifier à son profit le rapport de force avec un Congrès qui ne lui doit rien. En politique extérieure, la déstabilisation est l’antichambre du chaos. L’Otan est obsolète, l’ONU dysfonctionnel, la politique de la “Chine unique” une vieillerie, l’Alena une agressiong pplanifiée contre les travailleurs américains, la création d’un État palestinien une utopie, l’Union européenne un asservissement par les élites des peuples du Vieux continent; et puis il y a la Chine que l’on pourrait contenir par l’envoi de quelque flottille ou menacer de tarifs douaniers punitifs pour qu’elle vienne à résipiscence; il y a la Russie enfin, dont l’aventurisme en Crimée, les mouvements envers les pays baltes ou encore le soutien inconditionnel à Bachar El Assad ne sont que détails face à l’avenir radieux de la relation américano-russe. De fait, tous les paradigmes stabilisateurs de l’ordre mondial sont remis en question. Tout est désormais possible dans le “meilleur des mondes” trumpien mais il n’existe qu’une certitude : Donald Trump est le maître du chaos. * Vincent Michelot, professeur des universités, spécialiste de l’histoire politique, signe ici son premier article dans la nouvelle chronique américaine que publie dorénavant chaque semaine le nouvel Économiste en partage avec Anne Toulouse, journaliste franco- américaine auteur d’un essai remarqué Dans la tête de Trump. Cette chronique a deux voix, celle de l’universitaire et celle de la journaliste, vise par des éclairages complémentaires à suivre la présidence Trump
La continuité est la marque d’une présidence
ordinaire, la rupture celle d’une présidence transformatrice. Donald Trump, délibérément, par caractère, a choisi de pousser ce principe jusqu’à
l’absurde