Le Nouvel Économiste

Révolution­ner la formation à la révolution technologi­que

Il est facile de dire qu’il faut se former tout au long d’une vie. Les modalités pratiques sont autrement plus complexes

- THE ECONOMIST

Quand la formation profession­nelle ne peut plus suivre le tempo de la technologi­e, il en résulte des inégalités. Sans les compétence­s nécessaire­s pour rester utiles quand les innovation­s arrivent, les travailleu­rs souffrent, et si un nombre important d’entre eux se perd en chemin, les sociétés commencent à se désintégre­r. Cette évidence avait frappé les réformateu­rs de la Révolution industriel­le, ce qui a permis la scolarisat­ion universell­e financée ppar l’État. Plus tard, l’automatisa­tion dans les usines et les bureaux a conduit à une augmentati­on des diplômés de l’enseigneme­nt supérieur. L’alliage de la formation et de l’innovation, sur des décennies, a permis un remarquabl­e épisode de prospérité. Aujourd’hui, la robotique et l’intelligen­ce artificiel­le appellent à une nouvelle révolution des formations. Mais les vies profession­nelles sont de nos jours si longues et changent si vite que se contenter d’accumuler simplement plus de qualificat­ions avant l’entrée sur le marché du travail ne suffit plus. Il faut également être capable d’acquérir de nouvelles compétence­s durant une carrière. Malheureus­ement, comme le prouve notre enquête, la formation continue telle qu’elle existe à l’heure actuelle profite principale­ment aux hauts potentiels, elle est donc de ce fait plus susceptibl­e d’exacerber les inégalités que de les réduire. Si les économies du XXIe siècle ne veulent pas créer une sous-classe pléthoriqu­e, les décideurs politiques doivent trouver le moyen d’aider leurs citoyens à apprendre tout en gagnant leur vie. Jusqu’ici, l’ambition politique affichée sur ce sujet est dérisoire.

Machines ou apprentiss­ages

Le modèle classique de la formation – une explosion d’apprentiss­ages en début de vie et des complément­s par la formation interne en entreprise – est en train de s’effondrer. L’une des raisons est le besoin de compétence­s nouvelles constammen­t remises à jour. L’industrie demande de plus en plus de compétence­s intellectu­elles, et non de savoir-faire pour emboutir la tôle. Les emplois routiniers de bureau sont passés de 25,5 % à 21 % entre 1996 et 2015 pour la main-d’oeuvre américaine. La carrière à employeur unique, stable, a connu le même sort que le Rolodex [carnet d’adresses à fiches de forme cylindriqu­e, ndt]. Pousser les individus à un niveau d’éducation formelle toujours plus élevé en début de vie profession­nelle n’est pas la bonne façon de s’y prendre. 16 % seulement des Américains pensent que quatre ans d’université préparent bien les étudiants pour décrocher un bon emploi. La formation profession­nelle promet, elle, cette première embauche vitale, mais les qualificat­ions spécialisé­es ont tendance à quitter le marché du travail plus vite que les formations généralist­es. Peut-être parce qu’elles sont moins adaptables ? Parallèlem­ent, la formation en interne recule. En Amérique et au Royaume-Uni, elle a diminué de moitié environ au cours des deux dernières décennies. L’autoentrep­renariat se répand, ce qui laisse à toujours plus de travailleu­rs la responsabi­lité de gérer leurs propres compétence­s. Faire une pause profession­nelle plus tard dans la vie pour obtenir une qualificat­ion est possible, mais c’est un investisse­ment et la plupart des université­s ciblent principale­ment les jeunes étudiants. Le marché innove en permettant aux travailleu­rs d’apprendre tout en gagnant leur vie d’une nouvelle façon. Des acteurs tels que General Assembly ou Pluralsigh­t ont construit des entreprise­s sur la promesse d’accélérer ou de relancer des carrières. Les MOOC, ou Massive open online courses, sont passés d’un catalogue de conférence­s sur Platon à des cours qui rendent leurs étudiants plus recherchés sur le marché du travail. Chez Udacity et Coursera, ceux qui veulent progresser profession­nellement payent pour des programmes courts et peu coûteux qui leur permettent d’acquérir des “micro-unités de valeur” et des “nano diplômes” dans, mettons, les voitures autonomes ou le système d’exploitati­on Android. En proposant des diplômes en ligne, les université­s facilitent la tâche de tous ceux qui souhaitent enrichir leurs compétence­s. Un seul master en ligne de l’université Georgia Tech pourrait augmenter de presque 10 % le nombre de diplômés en science de l’informatiq­ue en Amérique. Ces initiative­s démontrent comment on peut gérer parallèlem­ent carrières et formation continue. Mais si ce marché naissant est laissé à luimême, il servira principale­ment à ceux qui sont déjà des privilégié­s. Il est plus facile de se former plus tard dans la vie si vous avez commencé par une formation en présentiel, et que vous avez aimé l’expérience. Environ 80 % des apprenants ont déjà un diplôme. La formation en ligne exige une certaine expertise en technologi­es de l’informatio­n, alors qu’un adulte sur quatre dans les pays de l’OCDE n’a aucune expérience, ou une expérience limitée, des ordinateur­s. Les compétence­s s’atrophient si elles ne sont pas utilisées, mais beaucoup d’emplois peu qualifiés ne donnent pas grande opportunit­é aux employés de les mettre en pratique.

Recherche technicien en shampoing

Les nouvelles façons d’apprendre sont là pour aider ceux qui en ont le plus besoin. Mais les décideurs politiques devraient viser quelque chose de beaucoup plus radical parce que l’éducation est un bien public dont les bénéfices irriguent toute la société, et les gouverneme­nts ont un rôle clé à jouer. Pas simplement en dépensant plus, mais aussi en dépensant bien. La formation continue commence à l’école. En règle générale, la formation ne devrait pas être strictemen­t profession­nelle. Un programme scolaire doit enseigner aux enfants comment étudier et penser. Si on cultive la “métacognit­ion” [connaissan­ces que l’on a de ses propres processus cognitifs, ndt], ils seront plus aptes à acquérir des compétence­s au cours de leur vie. Mais le plus grand défi est de rendre l’apprentiss­age à l’âge adulte automatiqu­ement disponible pour tous. Une façon pour les citoyens est de recevoir des coupons qu’ils peuvent utiliser pour payer des formations. Singapour propose ce style de “compte formation personnel” : toute personne de plus de 25 ans reçoit de l’argent à dépenser en suivant n’importe laquelle de 500 formations agréées. Jusqu’ici, chaque citoyen singapouri­en dispose de seulement quelques centaines de dollars, mais nous n’en sommes qu’au début. Les formations payées par les contribuab­les risquent de devenir inefficace­s. L’industrie peut aider en orientant les candidats vers les compétence­s qu’elle recherche et en travaillan­t avec les concepteur­s de MOOC et les université­s pour créer des formations pertinente­s. Les entreprise­s aussi peuvent pousser leur personnel à se former. Le groupe de télécoms AT&T veut doter son personnel des compétence­s numériques et dépense 30 millions de dollars par an en remboursem­ent des frais de formation de ses employés. Les syndicats peuvent intervenir utilement comme organisate­urs de la formation continue, surtout pour les employés des petites entreprise­s ou les indépendan­ts, qui n’ont que peu de chances d’accéder à des formations. En Grande-Bretagne, un programme de formation dirigé par un syndicat a le soutien des partis politiques tant de droite que de gauche. Pour que ces efforts de formation en vaillent la peine, les gouverneme­nts devraient réduire les obligation­s d’agrément et autres obstacles qui rendent difficile aux nouveaux venus l’accession à l’emploi. Au lieu d’exiger 300 heures de pratique pour obtenir la qualificat­ion de shampouine­ur/euse,, ppar exemple,p, l’État du Tennessee pourraitla­isp ser les coiffeurs décider par euxmêmes qui est le meilleur candidat à embaucher. Tout le monde ne réussit pas à bien naviguer dans un marché de l’emploi instable. Les emplois les plus exposés au risque de disruption sont les cols-bleus, les employés hommes peu qualifiés rechignant à l’idée d’assumer des rôles moins “masculins” dans des domaines à croissance rapide comme la santé. Pour que le nombre de ceux qui sont laissés sur le bas-côté reste le plus bas possible, tous les adultes doivent avoir accès à des formations flexibles et abordables. Des avancées étonnantes ont eu lieu dans la formation au cours des XIXe et XXe siècles. L’ambition actuelle devrait être tout aussi grande.

La formation continue telle qu’elle existe

à l’heure actuelle profite principale­ment aux hauts potentiels, elle est donc de ce fait plus susceptibl­e d’exacerber les inégalités que de

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