La botte secrète de Marine Le Pen
L’idée d’une monnaie commune en lieu et place de la monnaie unique reste une solution illusoire
Échange euro contre monnaie commune. Dans l’esprit de Marine Le Pen, c’est remplacer un instrument qui ne marche pas – la monnaie unique – par un outil au service de la souveraineté monétaire: la monnaie commune. Cela ressemble à un deal à la Donald Trump, mais c’est plutôt une énigme à la Simenon. Que va découvrir à la fin le commissaire Maigret ? Probablement la force d’entraînement d’un engrenage qui conduit au crime fatal – en l’occurrence un assassinat des fondamentaux de l’économie pris dans une tourmente d’inflation et de fuite des capitaux. C’est pourquoi face à de telles incertitudes, mieux vaut parier sur une réparation efficace de la zone euro. Autant pour des raisons économiques que géostratégiques. Démonstration.
La préférence pour la coopération
Certes, les avocats du Front national qui militent pour l’abandon de l’euro ne manquent pas d’arguments. Il y a pléthore ! Première surprise, la plaidoirie est toute trouvée dans les tiroirs de la gauche radicale farouchement opposée à la monnaie unique. Pour une raison simple : une sortie de l’euro serait un premier pas significatif vers le démantèlement du pouvoir des marchés financiers. Eh oui, aucune solution de remplacement de l’euro ne tient une seconde sans l’instauration immédiate d’un contrôle étroit du marché des capitaux. Pour une pensée marxiste, ce serait un début de victoire sur le capitalisme international. Le rapport de force politique est toujours au coeur des affaires monétaires. Cela se vérifie – c’est la seconde surprise – avec l’effet Trump. Le nouveau président américain entend donner un coup d’arrêt au libreéchange sans entraves, en tout cas à certains traités commerciaux, au profit d’une démarche économique protectionniste. Cet unilatéralisme, qui privilégie les accords bilatéraux au détriment des négociations multilatérales,, cadre tout à fait avec l’état d’esprit du Front national. À la place de l’Union européenne, “ce machin qui nous coûte cher”, le FN entend instaurer une coopérationp entre les États. Ce principe de coopération s’applique très directement au retour souhaité d’une sorte de SME (Système monétaire européen) en lieu et place de l’euro.
Le retrait de la zone euro
C’est le 4 février à Lyon que Marine Le Pen va dévoiler son programme économique pour la présidentielle. En général, les “élites” n’arrivent pas à croire que les candidats de “mouvance extrême” annoncent leurs intentions réelles et qu’ils s’y tiennent. C’est un grand tort. Ainsi Marine Le Pen annoncera qqu’une fois élue à l’Élysée, elle entamera avec Bruxelles une négociation de six mois pour obtenir l’indépendance monétaire (plus le rétablissement des contrôles aux frontières et le droit au patriotisme économique). En cas d’échec, ce sera le passage au référendum avec en haut de l’affiche le retrait de la zone euro. Ce sera lors de la campagne présidentielle le marqueur d’une différence de nature avec tous les autres projets. Le FN n’aura que l’embarras du choix pour justifier sa stratégie. Dans ‘L’euro est-il mort ?’ (Éditions du Rocher), sous la direction de l’économiste Jacques Sapir, la réponse est positive et la charge ravageuse. “L’Union soviétique paraissait puissante quelques mois avant sa disparition, tout comme il y a un an personne ne pensait que le Brexit fut possible”, relèvent les auteurs, pour qui la monnaie unique bride la croissance à cause de règles de finances publiques inadaptées aux cas de récession et de l’absence d’une véritable coordination budgétaireg entre les États en excédent et les États en déficit. Le prix Nobel Joseph E. Stiglitz est également une référence très prisée au FN. Il dénonce notamment une intégration économique qui favorise les divergences plutôt que la convergence. C’est un fait : à ce jour, Berlin a tiré davantage de bénéfices de la zone euro que les capitales du Sud. N’est-ce pas dû pourtant au génie commerçant propre à l’Allemagne et à sa tradition de qualité industrielle ? N’en doutons pas, il y a une part de vérité dans cette interrogation.
Les blocages des parités fixes
L’autre part de vérité tient au maintien de parités fixes entre les anciennes monnaies de la zone (la caractéristique principale d’une monnaie unique !). En empêchant l’ajustement par le taux de change – la dévaluation à l’ancienne –, l’euro oblige les économies en perte de compétitivité à recourir à la “dévaluation interne”. En clair, à pratiquer la déflation salariale en comprimant le coût du travail. En langage politique cela s’appelle l’austérité. La Grèce et l’Espagne connaissent, la France aussi dans une moindre mesure. Lors d’une réunion du Cercle des économistes, Agnès Bénassy-Quéré, présidente du Conseil d’analyse économique, a d’ailleurs acté ce biais déflationniste de la zone euro en parlant “d’étalon-or”.
Un euro, monnaie commune
Comment échapper à cette contrainte ? La première option est tout simplement de revenir aux monnaies nationales pour retrouver le droit de dévaluer. Bernard Monot, député européen, économiste du FN, explique: “la monnaie nationale est l’arme suprême du patriotisme pour la ré-industrialisation. Le péché originel du déclin de la France date de l’euro ! Mais attention, notre objectif est de rester dans un euro monnaie commune. Comme l’écu que nous avions jusqu’en 1999”. Quel est le schéma ? Il y aurait des euros-francs, des euros-lires, etc. ayant sous leur dénomination nationale une parité fixe, avec un euro convertible sur le marché des devises internationales. En revanche, la “parité fixe nationale” avec cet euro, sorte de panier de devises pour les transactions internationales, pourrait être ajustée en fonction de processus politiques et d’indicateurs économiques à déterminer. Il est même possible d’imaginer que l’euro-deutsche mark soit réévalué par rapport à l’eurofranc. Ce qui redonnerait de la compétitivité au made in France ! Un tel retour à un SME revisité par le FN ne séduirait ppas forcément nos partenaires. À supposer qu’ils le soient, les complications de gestion sautent aux yeux. L’histoire a montré que la coopération se heurte vite au mur des intérêts nationaux. De facto, ce SME serait sous la coupe d’une zone mark – comme avant.
La faille de la stratégie FN
Où est la faille du dispositif FN ? Dans l’hypothèse d’une arrivée au pouvoir de “Marine”, elle est dans une phase de transition de six mois qui s’accompagnerait pg inévitablement de déflagrationsg multiples. À commencer par la volatilité immédiate de tous les actifs financiers, suivie de départs massifs de capitaux. Pourquoi un épargnant garderait-il son argent dans un pays appelé à dévaluer fortement sa monnaie ? Ce qui entraînerait des faillites bancaires et de ggrandes difficultés pour l’État comme pour les grandes entreprises à lever des fonds sur les marchés internationaux. D’autant que face à ce vent de panique, un contrôle des changes et des capitaux devrait être décidé. Dans la foulée, on assisterait à une envolée des taux d’intérêt et de l’inflation – le tout débouchant sur une forte récession. Ce scénario-cauchemar n’a rien d’une rêverie au coin du feu. Une Banque de France redevenue “souveraine” ne pourrait rien empêcher. Le largage complet des amarres d’avec l’euro, sans ppassageg ppar le sas “sécurisant” d’un SME, serait alors inévitable. À court terme, la conséquence la plus visible serait bien la perte de l’avantage de taux d’intérêt très bas sur la dette publique. Que la BCE a su jusqu’à présent garantir à l’ensemble de la zone euro grâce tout simplement à une politique d’achats d’actifs publics sur les marchés. QQu’on ne l’oublie pas ! À moyen terme, laconsép quence la plus pénalisante serait une inflation qui ronge le pouvoir d’achat des salariés. Car les effets attendus de la dévaluation compétitive sont illusoires : les “partenaires commerciaux” répliquent eux aussi par la dévaluation. Au bout du compte, il ne reste que des prix à l’importation plus chers. Avant qu’une offre compétitive ne se reconstitue à l’abri de protections, le temps est long… Mieux vaut la concurrence pour aller de l’avant. C’est un fait d’expérience.
Faut-il ne rien faire ?
Bien sûr que non. La zone euro doit cesser d’être un monde chaotique plus ou moins soumis à “l’ordo-libéralisme” allemand. Sinon, la dimension “révolutionnaire” des propositions souverainistes l’emportera tôt ou tard. C’est un moment où l’histoire hésite. C’est un moment privilégié où les partis de gouvernement peuvent utiliser leur capacité de négociation dans un climat de confiance réciproque. Un déclic peut se produire. Une série d’élections sont programmées aux Pays-Bas en mars, en France en mai, en Allemagne en septembre, en Italie probablement à l’automne. Un tel renouveau gouvernemental peut pousser les dirigeants à adopter des décisions jusqu’ici différées. L’arrivée d’un Donald Trump à la Maison-Blanche qui croit au délitement de l’Union européenne pourrait même être un stimulant. N’est-ce pas Mme Merkel ?
Solidarité financière et solidarité budgétaire
Pour dégager du bourbier la zone euro, le chemin est connu. Il faut créer de la convergenceg économique entre les États. Le premier levier consiste à organiser une réelle solidarité financière entre les membres. Agnès Bénassy-Quéré estime qu’il faut faire évoluer la doctrine de la dette. Le renflouement ou la restructuration ne doivent plus être des tabous. Pour obtenir une telle mutualisation de fait, il s’agit de convaincre l’épargnant allemand de financer des investissements dans le reste de la zone euro plutôt que d’aller chercher ailleurs des pplacements pplus rentables. À charge pour les pays en manque de capitaux de savoir proposer au retraité d’Outre-Rhin des actifs financiers sûrs en nombre suffisant dans une économie saine ! Le second levier prend appui sur une solidarité budgétaire directe entre le Nord et le Sud. Mais la création d’une “capacité budgétaire” significative, propre à la zone euro,, se heurte au refus d’une pplus forte intégration. Aux États-Unis, le budget fédéral approche les 20 % du PIB, en Europe il est à peine de 1 %. Entre les deux, il y a place pour quelques ajustements ! “Il y a un risque qque çça ne ffonctionne jjamais si les États veulent garder leursouveq raineté”, regrette malgré tout Agnès Bénassy-Quéré. Plus que jamais, la parole est au politique qui convainc ou pas un électorat sur le bon choix.
Bernard Monot, député européen, économiste du Front national : “la monnaie nationale est l’arme suprême du patriotisme pour la ré-industrialisation. Le péché originel du déclin de la France date de l’euro ! Mais attention, notre objectif est de rester dans un euro monnaie commune.
Comme l’écu que nous avions jusqu’en 1999”