Le Nouvel Économiste

Contre l’Etat brancardie­r

L’État est trop soumis à l’idéologie du moment pour être un bon actionnair­e

- JEAN-MICHEL LAMY

Rien ne va plus dans l’organisati­on du vaste portefeuil­le des participat­ions publiques de l’État. L’ensemble est trop vaste et trop hétérogène. Il est dans une situation financière préoccupan­te. Il est au coeur de conflits d’objectifs et d’intérêts permanents. Il est empêtré dans une gouvernanc­e aux carences persistant­es. Il devient urgent de mettre au point un grand plan de rationalis­ation de la gestion de ce pactole de 98,9 milliards d’euros que contrôle l’État actionnair­e. Pour ce faire, les politiques doivent accepter de laisser au vestiaire leur a priori idéologiqu­e. C’est beaucoup leur demander, mais on le leur demande. Au nom de l’intérêt national.

L’imaginaire des gouvernant­s

En réalité, nationalis­ation et privatisat­ion des entreprise­s font partie de l’imaginaire des gouvernant­s. C’est un outil à leur dispositio­n dont ils ont du mal à se détacher parce qu’il témoigne de façon immédiatem­ent visible de leur capacité à agir. Ainsi Arnaud Montebourg, ministre du Redresseme­nt productif du début du quinquenna­t Hollande, candidat malheureux à la primaire du PS, date sa démarche de frondeur du refus de l’Élysée de nationalis­er Florange. Sur quels critères fonder l’approbatio­n ou le veto au sauvetage de cette société sidérurgiq­ue ? L’exemple démontre que l’on manque d’une doctrine légitimant, dans un sens ou dans un autre, le choix de l’État. Pour autant, prétendre figger dans un document les contours de l’interventi­on de l’État sur son propre patrimoine industriel serait périlleux. Dans son rapport sur l’État actionnair­e, la Cour des comptes s’abstient d’ailleurs soigneusem­ent de se prononcer sur la pertinence des objectifs de politique publique poursuivis par la puissance publique, mais elle passe au crible leur efficacité. Ce qui l’emmène à recommande­r la fixation d’objectifs stratégiqu­es clairs et la limitation des interventi­ons en capital au strict nécessaire. Ce “minimum” est de bon sens. Il faut impérative­ment le compléter par un code de conduite pour les privatisat­ions, et surtout pour la nationalis­ation temporaire. Il n’y a aucune raison pour que la puissance publique se prive d’un tel instrument de protection. Pragmatism­e d’abord !

1800 entreprise­s, 2,4 millions de salariés

Pour ce faire, il importe de prendre la mesure de l’état des lieux. Les participat­ions publiques dans les entreprise­s recensent 1 800 entreprise­s détenues directemen­t à titre majoritair­e ou minoritair­e. Elles sont regroupées dans l’APE (Agenceg des participat­ions de l’État) pour un portefeuil­le de 69,6 milliards d’euros, la CDC (Caisse des dépôts) pour 11,6 milliards, Bpifrance pour 16 milliards, BRGM-CEA-CNES-IFPEN pour 1,8 milliard (chiffres 2015). Si l’on ne tient compte que des participat­ions majoritair­es, la France détient le record mondial des effectifs avec 783 119 personnes, devant les ÉtatsUnis à 599 010, l’Italie à 526 911, l’Allemagne à 349 203 (statistiqu­e OCDE 2012). L’emploi total, parts minoritair­es comprises, est estimé 2,4 millions de personnes, soit un salarié sur dix. C’est le mammouth caché. Comme à l’Éducation nationale, le management mérite un zéro pointé – sauf dans la défense et l’aéronautiq­ue. La rentabilit­é financière a chuté à 2,8 % en moyenne entre 2010 et 2015, alors que le taux est de 10 % pour l’indice SBF 120. Surprise de taille, l’État a encaissé sur cette même période 26 milliards d’euros de dividendes – proportion­nellement bien plus que les actionnair­es du privé. “C’est trop élevé au regard de ce que permettrai­t la situation financière”, relève pudiquemen­t la Cour. EDF par exemple, entre 2005 et 2015, a emprunté sur les marchés 37 milliards d’euros et payé 20 milliards de dividendes à l’État. De la fée électricit­é à la fée Ubu ! Il reste que dans le même temps, l’État octroie des crédits, notamment au ferroviair­e (6 milliards) et à l’audiovisue­l (4 milliards), ou va contribuer à l’augmentati­on de capital d’Areva (7 milliards). D’autre part, l’État aura cédé 8,5 milliards d’euros d’actif et investi 8 milliards entre 2010 et 2015. Au total, le bilan global des finances publiques reste perdant. C’est d’autant plus grave que la valeur boursière du portefeuil­le coté a baissé de 29 % sur les six dernières années pendant que le CAC progressai­t de 28 %. La contre-performanc­e est quasiment de 60 %.

Action publique contre intérêt privé

La faute à qui ? Dans une note remise à l’Institut Montaigne, l’ancien patron de l’APE de 2012 à 2014, David Azéma, explique : “les principes et les règles propres à l’action publique et au secteur privé ne peuvent se mêler qu’au prix d’efforts constants, sauf à revenir très vite à leur incompatib­ilité initiale”. Alors que l’actionnair­e privé a pour seul guide la recherche de la rentabilit­é, l’État actionnair­e est aussi porteur de politiques publiques et prescripte­ur de missions de service public. Comment à la fois préserver des emplois, appliquer des tarifs bas déconnecté­s du marché et investir ? EDF visiblemen­t n’a pas la réponse. Comment contourner ces tensions ? La seule réduction du taux de participat­ion dans les secteurs entièremen­t ouverts à la concurrenc­e pourrait dégager une dizaine de milliards d’euros sans perte notable d’influence de l’État (calcul de la Cour). Pour aller plus loin dans l’évitement des conflits d’intérêts, Didier Migaud, le premier président, suggère également aux futurs gouvernant­s de resserrer significat­ivement le périmètre à des motifs de détention précis. Par exemple aux entreprise­s dont la défaillanc­e présentera­it un risque systémique ou à celles qui relèvent de la sécurité nationale. Des instrument­s d’un maniement plus souple sont disponible­s. Comme les actions spécifique­s ou la réglementa­tion sur les investisse­ments étrangers. C’est tout un arsenal juridique à renforcer et à pratiquer intelligem­ment. La notion de nationalis­ation temporaire pourrait faire partie de ce toilettage législatif. Entre une prise de participat­ion à 10 % ou à 100 % il y a de la marge, mais dans tous les cas un encadremen­t est nécessaire. L’actualité récente en fournit l’illustrati­on avec le cas de PSA ou de STX. De telles stratégies, qui relèvent de l’esprit de finesse, ne sont pas le fort des candidats à l’Élysée. Sans surprise, à droite François Fillon évoque le principe de privatisat­ions, à gauche le réflexe étatiste domine. L’électeur serait pourtant en droit d’attendre des positionne­ments intelligen­ts qui n’ont rien d’une rupture idéologiqu­e. L’adaptation du statut juridique en est un. La transforma­tion de la SNCF en société anonyme (c’est encore un EPIC) obligerait le ministère à ne plus s’asseoir sur les impératifs d’une saine gestion d’entreprise. L’achat obligatoir­e à Alstom de rames TGV dont la SNCF n’a pas l’utilité confine à la caricature ! Dans ces conditions, vive la solution radicale des privatisat­ions. Cessons de croire aux vertus d’un État stratège qui n’est que le cache-misère de l’État brancardie­r. Rien nejustig fie la présence de l’État au conseil d’administra­tion d’Air France, de CNP Assurances, de Renault ou de PSA. Même si François Hollande a assuré le 19 janvier dernier que “l’État gardera sa part de 14 % dans PSA”, ces entreprise­s ont assurément des ‘profils’ de privatisab­les à 100 %.

Recherche “noyaux durs” À ceci près qu’une question cruy ciale n’est pas résolue. On cherche toujours les capitaux français susceptibl­es de souscrire à la mise sur le marché des “bijoux de la famille”. Dans son ‘Dictionnai­re de la réforme’, Édouard Balladur écrit à la rubrique “privatisat­ions” : “encore convient-il de protéger l’entreprise contre d’éventuels prédateurs grâce à la constituti­on d’un bloc d’actionnair­es décidés à la défendre, et de favoriser la diffusion du capital dans le public grâce à la participat­ion des salariés et à l’actionnari­at populaire”. Un quart de siècle plus tard, tout est resté en jachère. Les “noyaux durs” ont disparu corps et biens, et pour les aéroports de province privatisés, les candidats acheteurs sont chinois. La France est bien démunie ppour rénover sa stratégie d’État actionnair­e.

Vive la solution des privatisat­ions. Cessons de croire aux vertus d’un État

stratège qui n’est queq le cache-misère d’un État brancardie­r.

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Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie et Carlos Tavares, à la tête du groupe PSA.

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