Le Nouvel Économiste

La ruée vers le nord

Les grands projets et nouveaux équipement n’ont pas vocation pour autant à faire de Saint-Denis, Saint-Ouen, et Aubervilli­ers le XXIe arrondisse­ment parisien

- PAR LUCAS HOFFET

Adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, le projet de loi sur les statuts de la ville de Paris prévoit un rapprochem­ent des quatre premiers arrondisse­ments de la capitale, qui ne seraient plus représenté­s que par un seul maire. La capitale ne compterait plus alors que 17 arrondisse­ments. Trop peu ! Pour résoudre ce problème, pourquoi ne pas lorgner le nord, et plus précisémen­t sur les trois villes – SaintOuen, Saint-Denis et Aubervilli­ers – qui vont concentrer dans la décennie à venir un nombre important de grands projets, renouvelan­t profondéme­nt ces territoire­s ? Deauville, Boulogne, la Défense, et même Bruxelles si l’on en croit Benjamin Leclercq dans un article paru sur le site Slate. fr, le XXIe arrondisse­ment de Paris a le visage changeant. Mais ces derniers temps, le centre de gravité s’est déplacé au nord, plus précisémen­t vers le territoire de la Plaine Commune, cette communauté d’agglomérat­ions née au début des années 2000 et devenue par la suite établissem­ent public territoria­l de la métropole du Grand Paris.

Une décennie d’aménagemen­t

Bien que le nom de Paris2024 figure sur le dossier de la candidatur­e pour l’accueil des Jeux Olympiques de 2024, personne ne s’y trompe, c’est le départemen­t de la Seine-Saint- Denis qui hébergera en grande partie la réunion sportive. En effet, le village olympique, d’une taille de plus de 45 hectares, sera implanté à cheval sur Saint- Ouen et SaintDenis, non loin du Stade de France, pièce centrale du dispositif. Dispositif renforcé par l’arrivée du super- métro, qui verra Plaine Commune irriguée par trois lignes du “chantier du siècle”, les 15, 16 et 17. Ce qui promet un bouleverse­ment d’ampleur, notamment du fait des nouveaux quartiers qui seront construits autour de ces gares. Au-delà des infrastruc­tures de transport qui feront de la Plaine Commune l’un des territoire­s hors Paris les mieux desservis en matériel roulant lourd, deux autres projets majeurs d’équipement vont y voir le jour. Le Campus Condorcet, ce pôle d’excellence en sciences sociales, sera implanté à Aubervilli­ers. Réunissant un certain nombre d’écoles prestigieu­ses – l’EHESS, les Chartes, trois université­s ou encore l’Ined et le CNRS –, le Campus Condorcet sera appelé à devenir la plus grande faculté européenne dédiée aux sciences sociales. Première ouverture prévue en 2019. Côté Saint- Ouen, c’est l’Hôpital Grand Paris Nord qui sortira de terre. Campus hospitalo-universita­ire, il remplacera deux autres hôpitaux vieillissa­nts, Bichat (Paris XVIIIe) et Beaujon ( Clichy), et hébergera la Faculté de médecine de Paris- Diderot, le tout sur un même site. D’un côté sera établie la structure hospitaliè­re qui abritera les activités médico-chirurgica­les, de l’autre, les activités d’enseigneme­nt des deux sites universita­ires de médecine actuels (Villemin et Bichat) et les activités de recherche d’excellence des unités mixtes portées par l’université Paris-Diderot et l’Inserm. Ces deux derniers projets ont en commun de récupérer des activités qui jusque-là se déployaien­t en grande partie dans Paris intra-muros. Cette caractéris­tique n’est pas anodine. Nicolas Rio, docteur en Sciences politiques et consultant-chercheur pour la coopérativ­e Acadie, étudie de près le phénomène de métropolis­ation. Il reconnaît que s’il existe de nombreux projets d’équipement­s tout autour de la capitale, la concentrat­ion des chantiers à venir sur le territoire de la Plaine Commune n’a pas d’équivalent en termes de proportion. “La raison évidente vient de la disponibil­ité foncière importante qui découle du passé industriel de ce territoire, et qui n’est plus disponible à Paris.” Pour autant, la capitale a besoin de ces équipement­s et de bénéficier des retombées. “Le fait que la capitale porte les JO, même si en réalité ils seront organisés en Seine-Saint-Denis, est motivé par l’effet d’entraîneme­nt sur l’ensemble de la métropole du Grand Paris qu’auront les Jeux. C’est pour ça que Paris mobilise et investit sur la Plaine Commune. De même pour l’Hôpital Nord et le Campus Condorcet.”

Centralité contre périphérie

Mais les communes réunies au sein de l’établissem­ent territoria­l ne forment pas pour autant un ensemble homogène. Bien au contraire. Depuis les élections municipale­s de 2014 et le basculemen­t de la mairie communiste de SaintOuen vers le centre-droit, les politiques publiques menées par SaintDenis et l’exécutif audonien prennent des chemins pour le moins divergents. Patrick Braouezec, ancien maire de Saint-Denis et président (Front de gauche) de Plaine Commune depuis 2005, a choisi de privilégie­r comme axe de développem­ent la métropolis­ation s’appuyant sur le concept de centralité. “Chaque commune se positionne désormais à l’échelle de la métropole. Le concept d’arrondisse­ment se révèle alors désuet. On ne se construit plus en fonction de Paris mais en tant que centralité de la métropole. L’idée de Saint-Denis est de dire: nous ne sommes pas la périphérie mais une entité propre.” Ainsi Plaine Commune s’estelle montrée critique envers l’embourgeoi­sement des Parisiens et refuse-telle le phénomène de gentrifica­tion. “Saint-Denis a pratiqué une politique de réduction des loyers pour faire en sorte que les prix restent bien inférieurs à ceux pratiqués dans Paris intra-muros, et que ses habitants les plus populaires ne soient pas repoussés plus loin.” Mais cette ambition portée par Saint- Denis et par Patrick Braouezec n’est pas celle de SaintOuen et de son maire UDI William Delannoy, qui défend un rapprochem­ent avec la capitale. Le prolongeme­nt de la ligne 14 du métro parisien devrait avoir un impact plus fort en termes de diffusion de population. Tandis que les lignes 15, 16 et du Grand Paris Express relieront des banlieues entre elles, le Meteor (ligne 14) donnera un accès direct au coeur parisien. “L’impact sur l’évolution du profil de la population sera donc bien plus important à Saint- Ouen du fait de la ligne 14 qu’ailleurs en Seine- Saint- Denis” prédit Nicolas Rio. Si devenir un arrondisse­ment de la capitale a un jour été un objectif, notamment pour certaines villes de l’Ouest, cette notion ne signifie plus grand-chose aujourd’hui. La métropole dans son aspect territoria­l (et non institutio­nnel) a fait bouger les lignes. L’idée est de réitérer le modèle du Stade de France de la fin des années 1990, opération emblématiq­ue de l’aménagemen­t dans ce départemen­t, mais en l’amplifiant. Plaine Commune et ses agglomérat­ions ne sont pas vouées à devenir un arrondisse­ment supplément­aire de la capitale, pas plus qu’elles n’ont le désir de demeurer éternellem­ent sa banlieue. Le concept de centralité ardemment défendu et son succès seront eux mesurables dans 10 ans, une fois les chantiers terminés, et le départemen­t remodelé.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France