Le Nouvel Économiste

Réduire les inégalités ou sauver la classe moyenne ?

That is the question

- THE ECONOMIST

Il y a une énigme là où l’économie américaine rencontre la politique. L’inégalité de revenus y est plus importante que dans tout autre pays riche, et la récente élection présidenti­elle est souvent interprété­e comme la revanche des laissés-pour-compte qui ont trouvé en Donald Trump leur défenseur. Mais le candidat qui a fait de l’inégalité des revenus son thème de campagne veut baisser les impôts des plus riches et a promis de déréglemen­ter encore

plus la finance.

Il y a une énigme là où l’économie américaine rencontre la politique. L’inégalité de revenus y est plus importante que dans tout autre pays riche, et la récente élection présidenti­elle est souvent interprété­e comme la revanche des laissés-pour-compte qui ont trouvé en Donald Trump leur défenseur. Mais le candidat qui a fait de l’inégalité des revenus son thème de campagne veut baisser les impôts des plus riches et a promis de déréglemen­ter encore plus la finance. Depuis son élection, M. Trump a constitué un cabinet dont les membres totalisent une fortune cumulée de plus de dix milliards de dollars. Il a invité les patrons des grandes multinatio­nales à le conseiller sur sa politique économique. Il a confié les postes clés de la Maison-Blanche à des anciens de Goldman Sachs. Mais la fortune des très riches ne contrarie pas autant les électeurs que la gauche américaine le souhaitera­it. D’après certains, le thème des inégalités a compromis les chances des démocrates. Le pic de l’augmentati­on des inégalités a eu lieu il y a plus d’une décennie. Les sondages montrent que les Américains se soucient de coutume moins des inégalités que des résultats économique­s. Et les électeurs ont des raisons de s’inquiéter de la stagnation des classes moyennes. Les revenus moyens hebdomadai­res, ajustés à l’inflation, étaient les mêmes en 2014 qu’en 2000. Les cotisation­s d’assurance maladie ont augmenté. Un article récent de Raj Chetty et de ses collègues de l’université de Stanford relate l’évaporatio­n de “l’American dream”. En 1970, plus de neuf Américains sur dix âgés de 30 ans gagnaient plus en valeur ajustée à l’inflation que leurs parents au même âge. En 2014, c’était le cas pour la moitié seulement. Les démocrates s’intéresser­aient trop aux pauvres et fiscaliser­aient trop les riches, ignorant un sentiment justifié d’abandon de la classe moyenne. L’argument politique a une autre version: les mécanismes de redistribu­tion du gouverneme­nt américain puiseraien­t dans les poches de la classe moyenne qui travaille dur pour offrir des allocation­s à des pauvres irresponsa­bles. Le discrédit du système de redistribu­tion américain explique comment M. Trump a pu faire campagne simultaném­ent comme un insurgé populiste tout en prônant d’énormes baisses d’impôts pour les plus hauts revenus. L’idée que le gouverneme­nt américain a abusé de la classe moyenne semble expliquer beaucoup de choses, politiquem­ent, mais elle n’est pas exacte. La politique fédérale de redistribu­tion bénéficie beaucoup plus aux revenus moyens qu’aux revenus les plus bas. Par exemple, la déduction d’impôt sur les intérêts des prêts immobilier­s : ce cadeau fiscal coûte actuelleme­nt un petit peu plus que le crédit d’impôt sur les revenus du travail, la mesure phare contre la pauvreté, qui augmente les salaires les plus bas. Elle bénéficie uniquement à ceux qui peuvent se permettre d’être propriétai­res de leur logement (plus l’emprunt est important, plus la déduction est généreuse). Un autre exemple est la déduction fiscale accordée aux plans d’assurance maladie proposés par les employeurs. Contrairem­ent à la déduction sur l’emprunt immobilier, cette mesure aide beaucoup de travailleu­rs pauvres. Mais elle bénéficie plus aux revenus moyens, et cet écart s’est accentué au cours des dernières décennies au fur et à mesure que les cotisation­s pour l’assurance maladie augmentaie­nt. Les mesures fiscales prévues pour les Américains relativeme­nt à l’aise ne se limitent pas aux déductions. Si l’on fait exception des retraites de la fonction publique, le plus gros programme fédéral de redistribu­tion est Medicare, qui offre une couverture santé gratuite aux plus de 65 ans, quels que soient leurs revenus. La plus grande partie du programme Medicare, soit 589 milliards de dollars en 2016 (environ 3 % du PIB), bénéficie à la classe moyenne, note Gabriel Zucman de l’université de Californie à Berkeley. Avec les économiste­s Thomas Piketty et Emmanuel Saez, M. Zucman a récemment publié de nouvelles estimation­s qui exploitent les données du PIB pour améliorer les statistiqu­es habituelle­s, celles des enquêtes et des déclaratio­ns de revenus. La moitié la plus pauvre des Américains paye globalemen­t autant d’impôts qu’elle reçoit en redistribu­tion, malgré le crédit d’impôt sur les revenus du travail. Avant la crise financière, la redistribu­tion par le gouverneme­nt avait fait augmenter les revenus moyens alors même que les salaires stagnaient. Depuis, elle a permis de maintenir le niveau des revenus alors que les salaires ont baissé. En 2013, le revenu moyen par ménage avant impôts était de 1,6 % moins élevé qu’il ne l’était en 1999. Mais après déduction des impôts et ajout des transferts de redistribu­tion du gouverneme­nt, il était de 13,7 % plus élevé. Des données plus récentes laissent penser que même les revenus avant impôts sont à nouveau en augmentati­on : ils avaient augmenté de 5,2 % en 2015. Le filet de sécurité économique pour les plus pauvres reste néanmoins fragile, et leur sort est périlleux, si on le compare aux pratiques étrangères. Un ménage marié et sans emploi avec deux enfants à charge peut prétendre à une allocation représenta­nt 23 % d’un salaire moyen, “food stamps” (coupons d’achat alimentair­es) inclus. La moyenne au sein de l’OCDE, club de pays pour la plupart riches, est de 40 %. Par conséquent, la pauvreté relative est plus forte en Amérique que dans n’importe quel pays membre de ce club, à l’exception d’Israël. La situation est encore pire étant donné que les revenus les plus bas ont assumé le plus gros de l’augmentati­on des inégalités. Messieurs Piketty, Saez et Zucman considèren­t que depuis 1980, cette tendance s’est traduite par un glissement de 8 % du revenu national depuis la moitié des travailleu­rs les moins riches vers les 1 % les plus riches, sans aucun impact sur ceux qui se trouvent entre les deux. Cela nous laisse toujours avec les Américains dont les revenus les placent entre “classe moyenne” et “pauvres”. Le revenu d’un ménage moyen en 2015 était de 57 000 dollars. Les sondages de sortie d’urnes laissent penser que M. Trump a perdu chez les électeurs dont les revenus étaient inférieurs à 50 000 dollars, comme on peut s’y attendre avec un candidat républicai­n. Mais il a fait beaucoup mieux auprès de ces électeurs que Mitt Romney en 2012. La progressio­n peut être interprété­e comme une révolte de la “classe moyenne inférieure”. Mais le pic est le plus fort chez ceux dont les revenus sont inférieurs à 30 000 dollars annuels. La plupart de ces électeurs font probableme­nt partie du cinquième des ménages les plus pauvres qui, pour certains, ont pu avoir des emplois plus rémunérate­urs auparavant. Le centre de recherche Pew estime que la classe moyenne, si on la définit par ces citoyens dont les revenus atteignent entre deux tiers et deux fois le revenu médian, s’est rétrécie, passant de 55 % de la population en 2000 à 51 % en 2014.

‘Reaganite’ ou kryptonite ?

Si M. Trump réussit à faire baisser les impôts de ceux qui gagnent le plus, les inégalités vont augmenter, comme après la baisse des impôts décidée ppar Ronald Reagang dans les années 1980. À l’époque, le marché du travail était sur le point de se scinder entre gagnants et perdants de la mondialisa­tion et des mutations entraînées par la technologi­e. Aujourd’hui, des inégalités croissante­s en termes de richesse, plutôt qu’en salaire, pourraient être le vrai problème. M. Zucman et ses co-auteurs ont décelé que le boom des revenus tirés de l’investisse­ment creuse les inégalités depuis 2000. Un recueil publié récemment par la Fondation Russell Sage met en garde contre des inégalités croissante­s en termes de richesses même parmi ceux qui ne sont pas riches. Le projet de M. Trump de réduire les taxes sur le revenu du capital et de supprimer celles sur les succession­s pourrait exacerber ces tendances, comme les baisses d’impôts sur le revenu de Ronald Reagan ont coïncidé avec un accroissem­ent des disparités des salaires. L’effet des politiques économique­s de M. Trump sur les revenus moyens dépendra de la réaction des entreprise­s. Investiron­t-elles, stimulant la productivi­té des travailleu­rs? Ou non ? Les précédents historique­s ne sont pas encouragea­nts. Les revenus moyens ont à peine progressé dans les années 1980. Si la récente embellie sur les salaires se prolonge, M. Trump va bien sûr s’en approprier le mérite. Contrairem­ent à son parti, M. Trump n’a pas montré beaucoup de zèle pour réduire les dépenses vers la classe moyenne. Une élite très riche, une pauvreté galopante et le maintien des dépenses du gouverneme­nt pour la classe moyenne pourrait faire de Donald Trump le candidat de la continuité, en fin de compte.

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