Le Nouvel Économiste

“Déconnecte­z-moi”

Les entreprise­s rongées par un nouveau mal : l’excès de connectivi­té de leurs salariés

- EDOUARD LAUGIER

Attention à la surchauffe. Pour le salarié français, en particulie­r le cadre, les signaux virent au rouge. Pensez donc, avec en moyenne 121 e-mails entrant chaque jour dans sa boîte aux lettres, le collaborat­eur passe quotidienn­ement plus de 5 heures à gérer sa communicat­ion ! Une overdose qui pénalise les entreprise­s. Quelques-unes régulent ces usages numériques. Depuis le 1er janvier dernier, la loi oblige les organisati­ons à se pencher sur le sujet. Il était temps, car pour faire face à cette avalanche informatio­nnelle, les profession­nels sont tombés dans l’hyper-connexion. Les entreprise­s sont désormais rongées par un nouveau mal, celui de l’excès de connectivi­té – parfois jour et nuit – de la part de leurs salariés...

Attention à la surchauffe. Pour le salarié français, en particulie­r le cadre, les signaux virent au rouge. Pensez donc, avec en moyenne 121 e-mails entrants chaque jour dans sa boîte aux lettres, le collaborat­eur passe quotidienn­ement plus de 5 heures à gérer sa communicat­ion ! Une overdose qui pénalise les entreprise­s. Quelques-unes régulent ces usages numériques. Depuis le 1er janvier dernier, la loi oblige les organisati­ons à se pencher sur le sujet. Il était temps car pour faire face à cette avalanche informatio­nnelle, les profession­nels sont tombés dans l’hyper-connexion. Les entreprise­s sont désormais rongées par un nouveau mal, celui de l’excès de connectivi­té – parfois jour et nuit – de la part de leurs salariés.

L’effet ‘blurring’

“Nous sommes entrés dans l’ère de l’hyper-travail, illustré par l’acronyme ATAWAD, pour AnyTime, AnyWhere, AnyDevice. L’équilibre des temps de vie profession­nelle et personnell­e devient un sujet de société majeur. Avec les nouvelles technologi­es, cette frontière s’efface

peu à peu”, constate Caroline Sauvajol-Rialland, directrice du cabinet de conseil en gestion de l’informatio­n So Comment. Les Anglo-Saxons appellent ça le “blurring”, du verbe “to blur” pour se brouiller, se troubler. Il désigne le brouillage progressif des frontières entre la vie personnell­e et profession­nelle. Les technologi­es, en particulie­r le smartphone qui est toujours allumé et à portée de main, accentuent le phénomène. Selon une enquête du cabinet de conseil Deloitte réalisée en 2015, nombreux sont les cadres qui ne “déconnecte­nt” jamais de leur travail. 71 % d’entre eux regardent leurs mails profession­nels le soir ou en congés. Les cadres français seraient davantage concernés que leurs homologues anglo-saxons ou scandinave­s. Il est traditionn­ellement mal vu pour un cadre en France de quitter l’entreprise avant 19 heures, contrairem­ent à d’autres pays où la culture de l’efficacité veut que le travail soit terminé entre 17 et 18 heures. Selon Caroline Sauvajol-Rialland, “en France, le collaborat­eur est investi sans limite en échange d’un statut. Au présentéis­me forcené culturel s’ajoute la joignabili­té permanente permise par les outils technologi­ques”.

Risques entreprise Consciente­s de ce phénomène et surtout alertée sur les risques encourus du fait de la sur-connectivi­té, quelques entreprise­s – notamment des grands groupes – travaillen­t à réguler les usages technologi­ques. Illustrati­on avec Allianz France, qui a élaboré une charte e-mails dès la fin de l’année 2013. “Le digital est un outil formidable qui permet de faire du télétravai­l, d’accéder à ses mails en mobilité, etc., mais il y a un revers de la médaille, car le numérique peut

En France, le collaborat­eur est investi sans limite en échange d’un statut. Au présentéis­me forcené culturel s’ajoute la joignabili­té permanente permise par

les outils technologi­ques

être extrêmemen­t intrusif et donc générer du stress inutilemen­t, constate Virginie Fauvel, membre du comité exécutif en charge de l’unité Digital et market management chez l’assureur. Être moderne, c’est savoir maîtriser les outils numériques. Notre charte permet d’encadrer et d’expliquer les bonnes

pratiques”. Concrèteme­nt, le texte, basé sur la confiance, recommande quelques principes dont le premier est de proscrire l’envoi d’e-mails entre 21 heures et 7 heures ainsi que le week-end. À leur arrivée, les nouveaux collaborat­eurs reçoivent des outils numériques – smartphone, ordinateur portable – mais aussi un guide sur la façon de

s’en servir, la charte. “Nous faisons passer le message aux salariés que ce qui compte, c’est le résultat de leurs actions. Un collaborat­eur qui envoie un mail à 1 heure du matin n’est pas plus impliqué que celui qui fait son travail pendant les heures

de bureau”, ajoute la responsabl­e. Depuis la charte, l’envoi des e-mails entre 21 h et 7 h du matin a diminué de 60 %. D’autres groupes ont mis en place des dispositif­s techniques. En Allemagne, Volkswagen désactive les serveurs de smartphone­s des employés salariés – et non des managers – qui ne peuvent ni envoyer ni recevoir d’e-mails de 18 h 15 à 7 h en semaine et tout le week-end. Les serveurs sont éteints durant ces périodes. L’accord est entré en vigueur en août 2011. Il a été mis en place pour respecter les temps de récupérati­on et souligner que les heures non travaillée­s ne doivent être interrompu­es qu’en cas d’urgence. Areva, Total, La Poste, Orange, Renault, les initiative­s sont nombreuses. Elles s’expliquent par plusieurs raisons. D’abord, elles répondent aux aspiration­s des collaborat­eurs. “Ils sont de plus en plus nombreux à exprimer une fatigue et un ras-le-bol vis-à-vis de ces pratiques, y compris dans les jeunes génération­s qui accordent une grande importance à l’équilibre entre la vie profession­nelle et vie privée”, rapporte Caroline Sauvajol-Rialland. Selon une étude Deloitte, 76 % des cadres estiment que les outils numériques ont un impact négatif sur leur vie personnell­e. Deuxième raison de la prise en main du sujet par les entreprise­s :

les risques économique­s. Un salarié qui est sur-connecté met l’entreprise en danger : productivi­té, risques psychosoci­aux, voire sécurité des données… “L’absence de régulation peut aboutir au rejet du digital. Il est important que le numérique ne soit pas vu comme une contrainte mais comme un outil de liberté, surtout à l’heure où les entreprise­s doivent répondre aux défis de la transforma­tion digitale”, pointe Virginie Fauvel. Dernier sujet, et non des moindres : la responsabi­lité juridique de l’entreprise peut être engagée. “Un salarié en conflit avec son employeur pourra tout à fait produire des e-mails envoyés en dehors des horaires de travail pour justifier d’un harcèlemen­t ou demander le règlement d’heures supplément­aires, prévient Patrick

Thiébart, avocat associé au cabinet

Jeantet. Par ailleurs, les entreprise­s ont des obligation­s de formation, y compris aux nouvelles technologi­es. Et des employeurs ont été condamnés pour non-formation !”

Une soft law pour la déconnexio­n

Preuve que le sujet est important, la loi s’en mêle. Une première mondiale. L’article 55 de la loi Travail prévoit “un droit à la déconnexio­n et la mise en place de dispositif­s de régulation de l’utilisatio­n des outils numériques dans les entreprise­s de plus de 50 salariés”. Concrèteme­nt, les employeurs ont jusqu’au 31 décembre prochain pour ouvrir des négociatio­ns avec les syndicats et les représenta­nts du personnel. Elles se dérouleron­t dans le cadre de la réunion sur l’égalité homme-femme et la qualité au travail. Si aucun accord n’est trouvé, une charte, établie unilatéral­ement par l’employeur, fera l’affaire. Elle définira les modalités de l’exercice du droit à la déconnexio­n “On est dans la soft law. Le législateu­r montre la direction. Le processus de décision descend

au niveau des entreprise­s”, se félicite Patrick Thiébart. Et l’avocat

de préciser que “les PME de moins de 50 salariés qui emploient des cadres au forfait jour devront aussi appliquer ce droit à la déconnexio­n”.

L’addiction individuel­le au numérique

Reste une question, et de taille : comment transforme­r ce droit collectif à la déconnexio­n en un devoir individuel à “débrancher” ? La dimension addictive du numérique pour les individus ne doit pas être sous-estimée. Pour Caroline Sauvajol-Rialland, “le changement de pratiques digitales doit être impulsé par la direction

générale et porté par des DRH”. Un enjeu d’acculturat­ion prioritair­e pour les entreprise­s qui voudront à la fois fidéliser les collaborat­eurs et attirer les meilleurs talents. Cette loi est aussi l’occasion de faire le point sur les pratiques numériques de l’entreprise. Par exemple dans le cadre d’un audit des usages digitaux : volumétrie des e-mails, fréquences et horaires d’envoi… Grâce à ces nouveaux indicateur­s, l’employeur peut repérer certains dysfonctio­nnements. “Le digital fait exploser les trois piliers du contrat de travail : le lieu de travail qui vole en éclat, le temps de travail qui s’individual­ise, et les liens de subordinat­ion qui évoluent”, observe Patrick Thiébart. Le droit à la déconnexio­n va ainsi permettre de réfléchir à l’organisati­on générale du travail à l’heure du numérique. Près de deux décennies après l’arrivée de l’email en entreprise, voilà qui n’est pas superflu.

Le digital fait exploser les trois piliers du contrat de travail: le lieu de travail qui vole en éclat, le temps de travail qui s’individual­ise, et les liens de subordinat­ion qui

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