Le Nouvel Économiste

Brexit : la Grande-Bretagne saute dans l’inconnu

Avant de conclure quelque accord que ce soit pour entériner son départ de l’Union européenne, le Royaume-Uni doit affronter quatre défis de taille

- MARTIN WOLF, FT

Le texte proposé par le gouverneme­nt britanniqu­e pour entériner le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne contient une phrase étonnante : “Le parlement est resté souverain durant la durée de notre adhésion à l’Union européenne, mais ne l’a pas toujours vécu comme tel”. Le gouverneme­nt a absolument raison. Comme je l’ai écrit durant la campagne du référendum, le parlement britanniqu­e est toujours resté souverain, et sa capacité à déclencher le Brexit le prouve. Quel pays sain d’esprit couperait ses liens avec ses principaux partenaire­s commerciau­x et abandonner­ait sa place stratégiqu­e dans les institutio­ns de son continent pour alléger un sentiment de dépendance dont son propre gouverneme­nt dit qu’il n’avait pas lieu d’être ? C’est pourtant ce que veut le gouverneme­nt.

Naturellem­ent, il souhaite un

divorce à l’amiable : “Nous voulons continuer à commercer avec l’UE de façon aussi libre qu’il est possible, à coopérer pour la sécurité de nos pays, à promouvoir les valeurs partagées par l’Union européenne et le RoyaumeUni,, le respectp des droits humains et de la dignité, la démocratie, l’État de droit, que ce soit en Europe ou ailleurs dans le monde, à soutenir l’Europe comme une voix importante au plan mondial et à favoriser la circulatio­n entre le Royaume-Uni et l’Europe”. Poussé par la volonté de contrôler l’immigratio­n et de se libérer de la Cour européenne de justice, deux désirs censés émaner de la “volonté du peuple”, le gouverneme­nt projette de quitter le marché unique et l’union douanière. Alors, peut-il parvenir à un accord ? Et par ailleurs, quelle pourrait en être l’issue ? Avant de conclure quelque accord que ce soit, le Royaume-Uni doit affronter quatre défis de taille.

Tout d’abord, le manque de temps.

L’article 50 pprécise qque “les traités deviendron­t caducs pour l’État en question à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait, ou, le cas échéant, deux ans après la notificati­on ((…)) à moins qque la Commission européenne, en accord avec l’État membre concerné, ne décide à l’unanimité de prolonger cette période”. Les probabilit­és d’obtenir un sursis sont minces. Le temps imparti est donc de deux ans. Dans les faits, c’est encore moins. Les entreprise­s auront besoin d’orientatio­ns une bonne année avant l’échéance. Et Un passage de l’état de membre de la zone économique européenne à un simple FTA pourrait induire une énorme réduction des échanges commerciau­x. Ils pourraient diminuer d’un quart dans le secteur des services comme dans

celui des biens par conséquent, le pouvoir de négociatio­n de la Grande-Bretagne va rapidement diminuer.

Deuxièmeme­nt, des intérêts divergents. Comme l’écrivait le grand général prussien Helmuth von Moltke, aucun plan de bataille ne résiste à la confrontat­ion avec l’ennemi. Une vérité qui s’appliquera très certaineme­nt aux plans du Royaume-Uni. Il négocie avec la Commission européenne, 27 pays et le Parlement européen. Tous ont des “lignes rouges” différente­s. La nécessité de conclure un accord est moins urgente pour eux que pour la Grande-Bretagne. Beaucoup voudront en profiter pour montrer que quitter l’Europe coûte cher. Ils comprendro­nt que plus les négociatio­ns traînent, plus la possibilit­é pour eux d’installer leurs activités économique­s en Grande-Bretagne leur tombera du ciel.

Troisièmem­ent, des priorités différente­s. La Commission, qui mène les négociatio­ns, veut définir les termes du divorce avant de passer au futur cadre des relations. Le RoyaumeUni veut que rien ne soit signé tant que tout n’est pas signé. Très logiquemen­t, il n’acceptera pas un divorce avant que les modalités de l’avenir et la transition soient définies. Les dissension­s sur la façon de procéder pourraient vite ensabler le processus.

Quatrièmem­ent, l’argent. Il y a toujours eu des frictions sur ce point du côté britanniqu­e. Mais la Commission a calculé que la GrandeBret­agne doit 60 milliards d’euros. Un rapport du Center for European Reform relève que “nous sommes bien en deçà du trésor de 350 millions d’euros par semaine annoncés par les partisans du Brexit lors de la campagne du référendum”. Cette somme réclamée pourrait se transforme­r en pierre d’achoppemen­t. Cinquièmem­ent, la complexité. Outre les questions d’argent, le divorce devra statuer sur les engagement­s en cours (comme le financemen­t de la recherche scientifiq­ue), les droits des citoyens, et sur des problèmes d’intendance, comme par exemple les procès pour atteintes à la concurrenc­e. Londres a choisi l’accord commercial post-Brexit le plus complexe qui soit : un accord de libre-échange sur mesure, le FTA, avec en option l’ajout d’unions douanières sectoriell­es et une “équivalenc­e renforcée” pour le secteur de la finance, ce qui est illégal aux termes des règles de l’Organisati­on mondiale du commerce. La complexité qui va en découler pourrait se révéler paralysant­e. Pour résumer, les probabilit­és de ne pas parvenir à un accord dans les délais impartis sont élevées. L’article 50 avait été rédigé, selon toute vraisembla­nce, pour qu’il soit impossible à déclencher. Mais il suppose qu’un accord en phase avec les aspiration­s du gouverneme­nt britanniqu­e soit atteint. Que signifiera­it cela pour le RoyaumeUni, et surtout pour ses échanges commerciau­x ? Il y a deux points d’une importance capitale. Le premier est basé sur les recherches empiriques, sur ce qu’Angus Armstrong, du National Institute for Economic and Social Research (NIESR), appelle “la loi d’airain des accords économique­s” : “Le commerce entre deux pays diminue globalemen­t de moitié quand la distance géographiq­ue qui les sépare double”. Deuxièmeme­nt, les droits de douane sont des barrières beaucoup moins menaçantes pour le commerce que les réglementa­tions. C’est une évidence pour les services, mais elle reste vraie pour l’industrie. C’est pourquoi un examen empirique attentif indique qu’un passage de l’état de membre de la zone économique européenne à un simple FTA pourrait induire une énorme réduction de ces échanges commerciau­x. Ils pourraient diminuer d’un quart dans le secteur des services comme dans celui des biens. Les barrières de distance et de réglementa­tion, les accords avec les “pays de l’Anglo-sphère” ne peuvent contrebala­ncer ce déficit. Selon Monique Ebell, du NIESR, ils ne pourraient compter que pour 5 % dans le volume des échanges du Royaume-Uni. Parce que ces pays se trouvent loin, et parce que les barrières de la réglementa­tion resteront probableme­nt élevées. Par ailleurs, si ces réglementa­tions sont assouplies, des questions complexes d’harmonisat­ion et de compatibil­ité des différents régimes vont émerger. Le Royaume-Uni s’est engagé à devenir la “Global Britain”, une GrandeBret­agne mondialisé­e. Y parvenir est un rude challenge. Il est vrai que sur le court terme, les conséquenc­es économique­s sont bien moins graves qu’annoncées. Dans sa préface au ‘white paper’ du Brexit, Theresa May prétend que les Britanniqu­es sont en train de se réconcilie­r. Mais la partie “exit” du Brexit n’a pas encore commencé. Le Premier ministre a raison, la majorité des partisans du “Remain” (Rester) espère que la mouture du Brexit de Mme May fonctionne­ra. Il s’agit de notre pays à tous. Cependant, la plupart d’entre nous pensent toujours que le chemin sur lequel s’est engagé le Royaume-Uni va profondéme­nt contre ses intérêts. Il nous faut espérer avoir tort.

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