Le Nouvel Économiste

ÉPHÉMÉRIDE

10 Février 1763, Le début du “malheur français”

- JEAN-MARC DANIEL

Les Français sont pessimiste­s, tout le monde le sait. On pourrait en chercher la raison dans le taux de chômage qui ne descend que rarement en dessous de 9 % ; dans le spectacle pitoyable donné par une classe politique à la dérive ; dans l’insécurité diffuse qui envahit la vie quotidienn­e et se nourrit de la multiplica­tion des zones de non-droit. Mais en fait notre morosité vient de plus loin. Le pays qui fut grand et qui fut même, sous Louis XIV, la puissance de référence, réalise qu’il est relégué en deuxième division mondiale. Ce n’est pas nouveau puisque déjà Louis Philippe définissai­t la France comme “la première des puissances

moyennes”.

1763, la paix honteuse Marcel Gauchet dans son dernier livre – ‘Comprendre le malheur français’ – fixe la date précise des débuts de notre mélancolie nationale : le 10 février 1763. Ce jour-là, à Paris, la France et la Grande-Bretagne signent un traité qui met fin à la guerre de Sept Ans. Alors qu’en 1756, la France a toutes les cartes en main qui doivent lui permettre de gagner contre l’Angleterre et la Prusse avec l’aide de l’Autriche, de l’Espagne et de la Russie, en 1763, la paix conclue est plus que honteuse pour elle. La mémoire collective a retenu de cette guerre les volte-face russes qui se reproduiro­nt dans d’autres conflits, et surtout la perte du Québec. Pour Marcel Gauchet et beaucoup d’historiens, le drame fut plus profond. Les finances publiques ne s’en remettront ppas ; l’appelpp au ppeuplep ppar le biais des États Généraux en 1789 pour les sauver se heurte à la perte du prestige royal et se solde par la Révolution. Les grognards de l’Empire qui se couvrent de gloire sur les champs de bataille doivent une nouvelle fois s’incliner devant la “perfide Albion”. Pour les Français de la fin du XVIIIe siècle, les succès et la puissance britanniqu­es sont incompréhe­nsibles. Un peu plus de 250 ans après, la France puissance moyenne pourrait se donner la peine de réfléchir à leurs causes. Voltaire, dont Marcel Gauchet vante le remarquabl­e ‘Siècle de Louis XIV’ – à lire de toute urgence – est l’auteur de tout aussi remarquabl­es ‘Lettres anglaises’. La lettre X qui porte sur le commerce (c’est-à-dire l’économie de marché) commence par ce paragraphe : “Le commerce, qui a enrichi les citoyens en Angleterre, a contribué à les rendre libres, et cette liberté a étendu le commerce à son tour ; de là s’est formée la grandeur de l’État. C’est le commerce qui a établi peu à peu les forces navales par qui les Anglais sont les maîtres des mers. Ils ont à présent près de deux cents vaisseaux de guerre. La postérité apprendra peut-être avec surprise qu’une petite île, qui n’a de soi-même qu’un peu de plomb, de l’étain, de la terre à foulon et de la laine grossière, est devenue par son commerce assez puissante pour envoyer, en 1723, trois flottes à la fois en trois extrémités du monde.” Il serait temps que la France panse les plaies du Traité de Paris et pense les bienfaits du commerce…

Il serait temps que la France panse les plaies du Traité de Paris et pense les bienfaits du commerce…

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