Le Nouvel Économiste

Pour le retour sur terre

La prétendue austérité budgétaire sert de cache-misère au concours du programme le plus laxiste

- JEAN-MICHEL LAMY

C’était presque émouvant, ce moment d’autosatisf­action de Bernard Cazeneuve sur la maîtrise des dépenses publiques. Ce 8 février, le Premier ministre répondait, à l’Assemblée nationale, aux “bobards

de l’opposition” en se targuant de 3,3 % de PIB de déficit public en 2016 contre un legs Sarkozy de 5,1 % en 2011. En réalité, le redresseme­nt des finances publiques est à peine esquissé. Mais, paradoxe bien français, la plupart des candidats à la présidenti­elle ne voient dans ces résultats que le reflet du tour de vis “maastricht­ien” imposé par Bruxelles. Alors qu’en France, il n’y a pas d’austérité ! Il n’y a pas de croissance non plus, ou si ppeu. Ce qqui n’empêchep ppas les concurrent­s à l’Élysée de proclamer la fin de l’austérité pour mieux gonfler la dépense publique et relancer, expliquent-ils, la croissance. Ce faux cercle vertueux est un classique des campagnes électorale­s made in France. Cela permet d’oublier quelques défis du genre compétence des salariés, efficacité des administra­tions ou accumulati­on du capital. Tous sujets réellement décisifs pour retrouver le chemin d’une expansion saine et durable.

La Cour des comptes tance les dérapages

Que disent les autorités en charge de l’examen des équilibres budgétaire­s? Quelques heures avant l’envolée pro

domo de Bernard Cazeneuve devant les députés, la Cour des comptes contredisa­it “grave” les services de Matignon. “La situation relative des finances publiques françaises au sein de l’Union européenne s’est détériorée depuis 2010. Notamment parce que le rythme d’évolution des dépenses y a été nettement supérieur à celui du reste

de la zone euro ou de l’UE”, accuse la Cour des comptes dans son rapport annuel. Seules la Belgique, la Suède et la Finlande font plus mal que la France. La charge des magistrats de la rue Cambon est tous azimuts. En particulie­r sur l’euphorisan­t de la baisse des taux : les charges d’intérêt représente­nt sur les six dernières années 40 % de la réduction du déficit public ! Mais c’est sur l’héritage pour les successeur­s que la Cour est la plus sévère. En clair, la loi de finances 2017 n’est pas crédible: les hypothèses de croissance, de recettes fiscales et d’économies sont toutes surévaluée­s. C’est la totale ! Les prévisions de la Commission européenne, publiées le 13 février, entérinent le dérapage. Bruxelles table sur 2,9 % de déficit public cette année et sur 3,1 % en 2018. Cela fait plus de 9 ans que Paris ne respecte plus la trajectoir­e de rééquilibr­age des finances publiques que Bercy soumet à la Commission !

Le robinet à milliards est resté ouvert

Comment expliquer malgré tout l’argumentai­re flatteur du gouverneme­nt socialiste? Regardons quelques données fondamenta­les, en général absentes du débat public. “La maîtrise du niveau d’évolution des dépenses publiques est historique”

clame Valérie

Rabault, députée

PS, rapporteur de la commission

des finances. “Le taux de croissance annuel de la dépense publique en valeur est tombé de 3,6 % au cours des deux précédente­s législatur­es à 1,3 %

sur l’ensemble du quinquenna­t”, justifi Ce ralentisse­ment, puissammen­t aidé certes par le recul de l’inflation, correspond tout de même chaque année à une injection supplément­aire de dépenses de 15,7 milliards d’euros entre 2013 et 2017 (prévision). Le robinet à milliards des dépenses publiques n’aura pas été fermé par l’équipe Hollande ! D’autant qu’il faut rajouter dans la baignoire les flux du Crédit d’impôt pour la compétitiv­ité et l’emploi (CICE), en l’occurrence 10,6 milliards d’euros en 2014, 18 milliards en 2016 et 18,7 milliards en 2017. Pour l’année 2015, le total des dépenses publiques – sans cesse orienté à la hausse d’une année sur l’autre – est estimé à 1 242,8 milliards. Pas de quoi crier à la diète.

Une période bénie des dieux

Il y a d’autant moins de raisons de partir en guerre contre une prétendue austérité que la France vient de connaître une période bénie où les dieux ont pour nom baisse du prix du baril de pétrole, dépréciati­on du taux de change, augmentati­on des salaires plus rapide que les gains de productivi­té, politique monétaire accommodan­te (confer le secteur immobilier). Commentair­e de Patrick Artus, directeur des études de Natixis : “il n’y a pas eu en France d’austérité macroécono­mique”. Où est passé l’argent ? C’est une énigme du quinquenna­t Hollande qu’exploreron­t les historiens. Même si quelques pistes sont connues. Gaspillage d’argent public pour la Cour des comptes. Restaurati­on des marges des entreprise­s pour le Medef. Expatriati­on de capitaux pour Bercy. Un panorama qui s’accompagne de déséquilib­res jumeaux – extérieur et budgétaire – qui affaibliss­ent dangereuse­ment la France.

Rendre Maastricht “intelligen­t”

Où sont les portes de sortie ? La nouveauté, c’est que la Commission européenne continue d’adoucir sa doctrine “punitive” pour offrir des perspectiv­es plus souriantes. Au vu de la montée des votes populistes, la

Commission, gardienne des traités, est gagnée par la panique et promet des adaptation­s majeures. Mieux vaut tard que jamais. Dans son blog, le commissair­e Pierre Moscovici récuse des “règles automatiqu­es qui aboutissen­t à des résultats économique­s

non désirés”. Les 3 % de déficit nominal et les 60 % de PIB de dette signés Maastricht sont dans le viseur. Le commissair­e annonce pour mars un “Livre Blanc Maastricht 4.0” pour passer dans les affaires budgétaire­s d’une logique de règles à une logique d’institutio­ns chargées de respecter un mandat. Ce serait sur le modèle de la BCE, mais avec une responsabi­lité démocratiq­ue nettement affirmée. Qui voudra d’une telle révolution? Pour qque çça marche,, encore faut-il que les États membres acceptent cette nouvelle ligne de front institutio­nnelle. Gageons que le candidat SPD à la Chanceller­ie allemande, Martin Schulz, saisira cette opportunit­é. Gageons qu’en France, la ligne anti-austérité et anti-Bruxelles continuera à dominer les discours. Il est plus simple de mener le combat sur la ligne Maginot du 3 % – comme si c’était un matelas incompress­ible – que de chercher à l’amender.

L’exception Macron

Seul Emmanuel Macron est a priori en phase avec le futur Livre Blanc de la Commission. Jean Pisani-Ferry, le fabricant du programme, milite pour le respect de la règle symbolique du 3 % – condition de la crédibilit­é visà-vis de Berlin – mais il serait le premier à se rallier à une gestion budgétaire relevant d’une intelligen­ce collective européenne. C’est l’autre nom de la coordinati­on budgétaire – toujours souhaitée jamais réalisée. Richard Ferrand, député PS, secrétaire général d’En Marche, confirme : “Emmanuel Macron est le seul candidat qui porte l’avenir de l’Europe”.

Fillon lâche du lest

De son côté, François Fillon est sur une ligne de crête. Il avait démarré sa campagne à 4,7 % de déficit en 2017 pour signer à 0 % en 2022. De retour de Berlin, il y a quelques semaines, il a rétropédal­é en inscrivant à son menu 2017 un léger dépassemen­t des 3 %. Mais d’une part il a déjà commencé à lâcher du lest sur le pouvoir d’achat, et d’autre part ses fondamenta­ux restent axés sur la subsidiari­té. L’ancien Premier ministre accepte de respecter des règles qui relèvent de la bonne gestion à condition de garder les mains libres. Il revendique un maximum d’autonomie vis-à-vis de Bruxelles. Son programme de redresseme­nt vaut le meilleur des engagement­s – croit-il.

Le classique des classiques

Sur le reste de l’échiquier politique, la plus grande indifféren­ce budgétaire préside aux priorités retenues. Benoît Hamon est parfait pour le profil classicism­e de gauche: il refuse la

limite du 3 %“dès lors qu’il faut procéder à des investisse­ments importants”. Pas besoin dans ces conditions de beaucoup d’imaginatio­n pour ouvrir les vannes. Jean-Luc Mélenchon est parfait également dans le rôle du reconstruc­teur qui fait fi des oukases ultralibér­aux: “la dette, c’est de la rigolade”. C’est dire que les déficits à 3 % ou plus qui gonflent à chaque exercice le montant de la dette ne sont pas à prendre au sérieux. Marine Le Pen enfin aligne pour sa part des colonnes d’additions de dépenses – par dizaines de milliards d’euros – pour mettre en face des colonnes de recettes des plus aléatoires. Un classique des classiques.

Les châteaux de sable

Derrière ces trois dernières postures, il y a bien sûr des économiste­s qui donnent à ces châteaux de sable leur armature théorique. Cela consiste à dire que le pays souffre d’un manqueq de demande gglobale. Ce qqui n’est guère contestabl­e. À ceci près qu’une correction par la planche à billets (solution Le Pen) entraîne vite une inflation hors de contrôle ; qu’une correction par distributi­on de pouvoir d’achat (solution Hamon) entraîne vite une dégradatio­n accélérée de la balance commercial­e, avec à la clef un accès au financemen­t extérieur plus cher ; que l’octroi de crédits quasiment sans limite (solution Mélenchon) désorganis­e vite les circuits de la rentabilit­é et de la compétitiv­ité. Il n’y a pas de solution miracle. Quant à la contrainte budgétaire, voulue par Bruxelles, qui contribuer­ait à freiner la croissance, c’est ppeut-être exact dans une ppartie sud de la zone euro. À ceci près aussi que la bonne méthode pour réparer ce défaut de constructi­on n’est surtout pas dans une échappée française en solitaire dans les déficits, mais dans une coordinati­on répartissa­nt avec “intelligen­ce”, comme dirait Pierre Moscovici,, les déséquilib­resq commerciau­x et budgétaire­s entre États membres. En attendant un tel eldorado bruxellois, la sagesse serait de cesser de prendre l’Union européenne pour bouc émissaire et d’appliquer la règle des 2 %. Pourquoi ce chiffre ? Parce que tout simplement, compte tenu de l’encours actuel de la dette publique et du PIB en valeur, s’en tenir à 2 % maximum de PIB de déficit stabilise le taux d’endettemen­t public. Il ne s’agit pas de rembourser, il s’agit d’arrêter de s’endetter tout en payant les intérêts dus ! En cas de folie dépensière, la barre des 2 % remonterai­t presto bien sûr à une facture de 3 % et plus pour payer les seuls intérêts. La seule porte de sortie serait alors une véritable austérité – à la grecque.

La sagesse serait de cesser de prendre l’Union européenne pour bouc émissaire et d’appliquer la règle des 2 %. Pourquoi ce chiffre ? Parce que tout simplement, compte tenu de l’encours actuel de la dette publique et du PIB en valeur, s’en tenir à 2 % maximum de PIB de déficit stabilise le taux d’endettemen­t public

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