Le Nouvel Économiste

Fillon-Macron, Macron-Fillon

Les convergenc­es de fond de leur programme économique l’emportent largement sur les divergence­s de moyens

- JEAN-MICHEL LAMY

À en croire le moment électoral présent, derrière Marine Le Pen, ils ne sont que deux à pouvoir prétendre au ticket pour le second tour de la présidenti­elle. Ce combat entre François Fillon et Emmanuel Macron va se jouer entre une droite qui se radicalise et un centre qui cherche à s’élargir sur sa droite et sur sa gauche. Ce positionne­ment politique commande l’image que l’on projette sur leurs programmes respectifs. Quand l’un martèle qu’il est hors de question de vendre de la “camomille”, l’autre joue l’air de l’esprit de conquête. Français, si vous saviez… Ces opposition­s sont largement factices, pour la bonne raison que François Fillon comme Emmanuel Macron ont calé leurs projets sur le respect des connaissan­ces établies concernant le fonctionne­ment de l’économie. C’est ce qui les rassemble au-delà des clivages partisans, c’est aussi ce qui les distingue de la cohorte de tous les autres candidats à la présidenti­elle. Notamment du trio Le PenMélench­on-Hamon : tous, avec des tonalités diverses, sont en rupture avec la bienséance européenne et l’intérioris­ation des normes indispensa­bles à la survie de la zone euro. L’aventure, c’est l’aventure, disait le cinéaste. Mais si elle est monétaire, la comédie politique tourne vite à la tragédie économique. A priori, ni Fillon ni Macron ne sont sur une telle trajectoir­e. Ni planche à billets, ni croyance vaine en la vertu des déficits ! Leur socle commun reste l’appartenan­ce aux règles de l’économie de marché sans chercher à tout casser en utilisant “de nouveaux outils”. Leurs différence­s oscillent entre la thérapie de choc à la Fillon autour de mesures chocs immédiates, et la reconstruc­tion progressiv­e à la Macron autour d’un contrat de transforma­tion.

Le registre des convergenc­es

Où sont les convergenc­es les plus apparentes ? La plus emblématiq­ue concerne le taux de croissance. Les deux candidats font preuve de réalisme en retenant des hypothèses allant de 1,5 % à 1,8 % en 2022, en fin de période. Un mieux par rapport au quinquenna­t Hollande mais rien de bouleversa­nt. Parallèlem­ent, le duo campe à l’allumage sur la ligne des 3 % de PIB de déficits publics, pour arriver en 2022 à 0 % côté Fillon et à 1 % côté Macron. La dimension sociale recèle aussi un vrai rapprochem­ent. Le “duo” privilégie les accords d’entreprise et accepte l’inversion des normes inclue dans la loi El Khomery pour les horaires et l’organisati­on du travail. C’est majeur pour un fonctionne­ment “fluidifié”. Les deux concurrent­s partagent également l’instaurati­on d’un prélèvemen­t forfaitair­e unique de 30 % sur les revenus du capital. Fini l’alignement de la taxation du capital sur le travail ! C’est une mesure favorable à l’acte d’investir. Tout comme un IS (impôt sur les sociétés) promis à 25 % d’ici 2022. Par ailleurs, la conversion du crédit d’impôt CICE en baisse de charges patronales figure aux deux menus. Ensuite, il y a des actions qui participen­t de la même logique mais d’intensité diverse. Le programme Fillon table toujours sur la suppressio­n de 500 000 emplois publics en 5 ans – ce qui est à peu près unanimemen­t considéré comme infaisable – alors qu’Emmanuel Macron mise sur 120 000 postes de fonctionna­ires en moins. Une option qui suffit pour la gauche à le disqualifi­er : c’est un “libéral”. D’autant qu’il rajoute la suppressio­n de l’ISF sur la partie investie en actions ! Qu’il le maintienne sur la partie immobilièr­e au nom de la lutte contre la rente foncière ne le fera pas revenir en grâce. Fillon est sur ce point radical en tirant un trait complet sur l’ISF. Pour le versant économies sur la dépense publique, le candidat LR (Les Républicai­ns) met sur la table 100 milliards d’euros alors que celui d’En Marche propose 60 milliards. François Hollande aura pour sa part engrangé entre 2012 et 2017 un score d’économies d’environ 40 milliards. Attention, à chaque fois ce ne sont que des économies par rapport à la tendance naturelle de la progressio­n des dépenses publiques évaluée à quelque 20 milliards par an (un chiffrage incertain à cause de multiples paramètres). Ces objectifs témoignent en tout cas de la volonté commune de contenir au maximum la part du public dans le PIB.

Le registre des divergence­s

N’exagérons pas non plus. Des divergence­s de nature existent. François Fillon est seul sur le créneau d’une hausse de deux points du taux normal de TVA. Seule originalit­é, elle est baptisée TVA “compétitiv­ité” et non plus “sociale”. Le but est de ponctionne­r la consommati­on pour diminuer les charges sur le coût du travail. C’est “de droite”. Emmanuel Macron préfère en revanche gonfler la CSG de 1,7 % parce qu’elle touche tous les types de revenus. C’est “de gauche”. Le même balancemen­t idéologiqu­e se retrouve lorsque le leader LR recourt à la politique du coup de poing en faveur de la compétitiv­ité des entreprise­s à hauteur de 40 milliards d’euros (25 milliards d’euros de moins pesant directemen­t sur la production, 10 milliards reversés via l’IS, 5 milliards d’allégement via l’ISF). Pour sa part, le leader d’En Marche préfère donner la priorité à l’investisse­ment public avec une enveloppe de 50 milliards sur le quinquenna­t. L’OFCE applaudira. Libéralism­e contre étatisme ? Ce serait réducteur, malgré une incontesta­ble part de vérité.

Le registre des propositio­ns novatrices

Qu’est-ce qui va faire la différence entre les deux challenger­s ? Chacun a ses propositio­ns novatrices. Côté droit, on retrouve les marqueurs classiques. En tête : l’abrogation complète des 35 heures. “Il me semble être le seul à vouloir clairement lever ce verrou. Pas pour des raisons idéologiqu­es mais tout simplement parce qu’il est temps de donner aux entreprene­urs et aux salariés

le pouvoir de négocier entre eux”, a assuré le vainqueur de la primaire de la droite et du centre devant la CPME. Le passage par paliers à la retraite à 65 ans traduit une vraie déterminat­ion. Ensuite, la “différence” viendra du halo autour d’un droit du travail plus lisible. Doublement des seuils sociaux, libre présentati­on au premier tour des élections profession­nelles, instance unique pour la représenta­tion du personnel fixée par la loi, possibilit­é de référendum… font partie d’un paquet qui modifierai­t en profondeur le paysage syndical dans l’entreprise. Mais la question de l’acceptabil­ité sociale est posée. Emmanuel Macron se détache en brandissan­t une assurance chômage prise en charge par l’État. Ce point final mis au paritarism­e vise à élargir la garantie à toutes les population­s, y compris les indépendan­ts et les autoentrep­reneurs. C’est un signal moderniste d’adaptation au monde nouveau du salariat. Si l’âge du départ en retraite et le montant des pensions restent inchangés pendant cinq ans, le candidat annonce la fin des régimes spéciaux et un bouleverse­ment : “un euro versé pour cotisation ouvrira aux mêmes droits quel que soient votre secteur ou votre statut”. Là encore, d’aucuns verront dans ces engagement­s un vrai risque sur l’acceptabil­ité sociale et le masque de l’immobilism­e. Le leader d’En Marche s’est taillé en revanche un franc succès en promettant que 4 Français sur 5 ne paieront plus la taxe d’habitation : “10 milliards d’euros, en plus des exonératio­ns existantes, y seront consacrés par an. Cela est pleinement intégré dans le cadrage budgétaire et cela ne remettra pas en cause l’autonomie fiscale des collectivi­tés locales”. Les critiques sont tombées en rafale. Quid de la taxe foncière ? Quid des modificati­ons de fiscalité par les collectivi­tés ? L’innovation, surtout en matière fiscale, a toujours un coût à soigneusem­ent maîtriser.

Le penchant pour la politique de l’offre

Pour parodier Charles Pasqua, les programmes n’engagent que ceux qui les écoutent. Emmanuel Macron avait d’ailleurs indiqué que ce n’était pas le coeur de son projet. Au plan économique, l’important c’est la doctrine de référence. Les deux leaders sont à l’évidence convaincus que la France souffre d’un manque de compétitiv­ité. En ce sens, leur panoplie d’allégement­s de charges – via en particulie­r la poursuite du CICE – et leurs orientatio­ns fiscales témoignent de leur penchant pour la politique de l’offre. Mais il est beaucoup plus appuyé chez Fillon, qui revendique la notion de choc qui change tout. “Je propose des changement­s radicaux, il n’y a plus à tergiverse­r”, tel est son mantra. De son côté, Emmanuel Macron a été sensible à l’argumentai­re “de gauche” sur la nécessité de maintenir à flot une politique de la demande suffisante sous peine de tomber dans l’anémie. Il est dans la continuité social-libérale. Cela se traduit par une stratégie d’investisse­ment public et de soutien au pouvoir d’achat des ménages. Ainsi, le candidat entend supprimer les cotisation­s maladie et chômage des salariés pour leur procurer un supplément de salaire net (250 euros par an au niveau du Smic) et allouer 100 euros de plus par mois à la prime d’activité.

Une campagne très émotionnel­le

Que valent tous ces beaux calculs devant une campagne présidenti­elle très émotionnel­le ? François Fillon avait beaucoup misé sur un profil de probité mâtiné d’un tempéramen­t de notaire de province chasseur de gaspillage­s. Tout s’est effondré avec le “Fillongate”. Sa capacité à enclencher la confiance grâce à une thérapie sans pareille est écornée. Avant même les mésaventur­es judiciaire­s, son programme était rejeté dans les sondages par une majorité de Français. Le candidat a d’ailleurs largement revu sa copie en matière de santé au point de diluer un réel message réformiste. Dans cette conjonctur­e, la tentation des “Filloniste­s” d’en rajouter sur les registres sécuritair­es sera très forte. N’est pas Trump qui veut ! Emmanuel Macron est attendu sur sa façon de parler à la France périphériq­ue, et pas seulement à celle des métropoles intégrées à la mondialisa­tion. Il y a des gestes en ce sens. Il y aura une prime de 15 000 euros pour les embauches en CDI des habitants des 200 quartiers prioritair­es de la politique de la ville. C’est un système “d’emplois francs” concernant directemen­t les habitants. Accessoire­ment, il est permis de se demander pourquoi certaines zones rurales n’en bénéficier­aient pas. Tous ces épisodes programmat­iques s’apparenten­t pour beaucoup à des fumigènes. Parce que le recul persistant de la désindustr­ialisation reste inscrit dans les statistiqu­es de compétitiv­ité. Les “chocs” proposés ne sont pas suffisants pour rétablir la parité du coût du travail avec par exemple l’Espagne. Alors programme le plus abouti contre programme le plus innovant ? C’est sur le métier que l’on juge le charpentie­r. De ce point de vue, le contexte de l’élection et le jeu des alliances seront déterminan­ts.

François Fillon comme Emmanuel Macron ont calé leurs projets sur le respect des connaissan­ces établies concernant le fonctionne­ment de l’économie. C’est ce qui les rassemble au-delà des clivages partisans, c’est aussi ce qui les distingue de la cohorte de tous les autres candidats à la

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