Le Nouvel Économiste

TRUMP POWER

Le zèbre ne change pas ses zébrures

- PAR VINCENT MICHELOT

Mardi 28 février à 22 heures, Donald Trump avait presque endossé l’habit présidenti­el. Lors de son discours devant les deux chambres du Congrès, il s’était prudemment tenu au texte qui défilait devant son téléprompt­eur. Pas de dérapage verbal, des phrases complètes avec sujet, verbe et complément, parfois même une subordonné­e, quelques envolées bien écrites et presque lyriques, et surtout un optimisme teinté de volontaris­me qu’accompagna­it un appel à l’unité nationale et au dépassemen­t des querelles partisanes. Et puis l’apprenti président avait coché toutes les cases de ce type de discours : dès les premiers mots, il dénonçait les violences antisémite­s et rendait hommage à la communauté afroaméric­aine ; puis il faisait longuement applaudir la veuve du soldat des commandos de marine américains qui avait perdu la vie dans une opération militaire au Yémen en janvier ; il se montrait aussi protecteur et garant des intérêts de la classe moyenne, évoquant en détail les dispositio­ns majeures qu’il exigerait du Congrès dans la réforme à venir de l’Obamacare (pas de rupture de couverture, prise en charge des pathologie­s préexistan­tes, stabilisat­ion ou baisse des coûts…) ou sur la question des congés parentaux. Et surtout, il semblait avoir laissé à Mara-Lago (son fastueux club privé de Floride) – ou dans le bureau de Stephen Bannon – cette Amérique sombre, cauchemard­esque, dystopique et assiégée de son discours inaugural. Oublié, le “carnage Américain”, place à l’espoir. On se serait presque cru revenu à ce célèbre spot publicitai­re de Ronald Reagan en 1984 : “It’s morning in America again !”. Oui, le jour se levait (enfin !) sur l’Amérique trumpienne. On en oubliait donc presque qu’audelà de la récitation ordonnée de ses propositio­ns de campagne, le président apprenti n’avait offert aucun détail concret, ni dans le chiffrage de ses propositio­ns, ni dans les priorités, ni dans le calendrier. On a effectivem­ent entendu qu’il y aurait un plan d’investisse­ment dans la reconstruc­tion et la modernisat­ion des grandes infrastruc­tures américaine­s à hauteur de 1000 milliards de dollars (on rappellera que le plan de relance de Barack Obama de mars 2009 se situait lui aux environs de 800 milliards de dollars), mais rien ne fut dit sur les bailleurs de fonds : le Congrès, et donc le peuple américain ? Le secteur privé ? Moyennant quelles contrepart­ies ? On en oubliait presque que quelques heures après avoir évoqué devant un parterre choisi de grands journalist­es une possible régularisa­tion des dreamers, ces jeunesj entrés mineurs sur le territoire des États-Unis (et qui ne sont donc pas légalement responsabl­es du délit d’entrée illégale), Donald Trump évoquait, martial, la création d’un bureau spécial d’aide aux victimes des crimes commis par les immigrants. Victims Of Immigratio­n Crime Engagement (VOICE) allait donc donner une voix à ces victimes des sans-papiers. Dans l’État trumpien, l’empathie est donc sélective et toutes les victimes ne se valent pas. On en oubliait presque que le long hommage à la veuve du soldat Owens faisait opportuném­ent taire un débat complexe, violent et très partisan sur la préparatio­n et la réalisatio­n, le succès ou l’échec du raid des commandos du SEAL (Sea, Air, and Land) au Yemen.

Vite un contre-feu !

Et puis patatras, le lendemain, alors que les journaux évoquaient à demi-mot les vrais débuts de l’administra­tion Trump après quarante jours chaotiques, une nouvelle poupée russe faisait irruption dans la campagne : cette fois-ci, c’était Jeff Sessions, le ministre de la Justice et premier sénateur républicai­n à avoir officielle­ment pris parti pour le candidat Trump, dont on apprenait qu’il avait rencontré l’ambassadeu­r russe à Washington pendant la campagne électorale. Et pour aggraver son cas, il aurait, lors de ses auditions devant le Sénat, omis de révéler ces contacts, ce en réponse à une question directe du sénateur Franken. On goûte peu au parjure sur la colline du Capitole, surtout devant la Chambre haute. Dès lors, une commission d’enquête devenait inévitable et Jeff Sessions devait se récuser dans toute investigat­ion sur les contacts russes de la campagne Trump. Les démocrates, eux, étaient nombreux à exiger sa démission. Vite un contre-feu ! Samedi 4 mars à l’heure du laitier, trois tweets suffisaien­t à allumer un brasier : sans aucune preuve à l’appui, le président accusait son prédécesse­ur de l’avoir mis sous écoute, des pratiques dignes selon lui du Watergate, hurlait au maccarthys­me et traitait Barack Obama de “malade” et de “pauvre type”. Jamais dans l’histoire de la présidence américaine, un président en exercice n’avait ainsi attaqué l’occupant précédent du Bureau ovale. Donald Trump a bien réussi son “pivot” présidenti­el : 180° le 28 février, puis 180° le 4 mars. Le zèbre ne change pas ses zébrures.

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