Le Nouvel Économiste

ÇA C’EST L’AFRIQUE

‘Des petits trous, encore des petits trous’

- PAR ODON VALLET, président de la Fondation Vallet

Des petits trous, encore des petits trous : chacun connaît la chanson de Serge Gainsbourg sur le poinçonneu­r des Lilas. En Afrique, nombreuses sont les routes où de multiples trous, pas tous petits, causent de graves accidents : chutes pour les motocyclis­tes, accidents de voitures ou d’autobus dont les pneus éclatent. Les faiblesses de la chirurgie orthopédiq­ue transforme­nt certaines de ces chutes en calvaire avec amputation. Beaucoup meurent à cause des trous. D’autre part, le ralentisse­ment de la circulatio­n cause une importante perte de temps et donc un dommage pour l’économie locale. Certains villages deviennent isolés car on n’ose plus s’y rendre de peur de tomber ou de crever, notamment la nuit ou durant la saison des pluies. Le malheur des uns fait le bonheur des autres : les vendeurs de pneus, de suspension­s ou d’amortisseu­rs gagnent bien leur vie. Ensuite quand les trous s’agrandisse­nt, il faut refaire entièremen­t la route et les appels d’offres et contrats d’études enrichisse­nt beaucoup de gens avec bakchichs à l’appui. Si on avait bouché tout de suite les trous tant qu’ils étaient petits, de simples cantonnier­s auraient suffi et même des prisonnier­s, si on les payait correcteme­nt (entre 3 000 et 5 000 francs CFA par jour – soit 3,30 euros, le double du Smic sur un mois) auraient été enchantés de boucher les trous. Ceux-ci ont pour origine un enrobage des chaussées insuffisan­t et un sous-sol négligé. Sous le bitume, il y a plus de sable que de graviers car c’est moins cher, et une partie du devis va dans des poches profondes. De même l’évacuation des eaux de pluie est-elle insuffisan­te et parfois la route se transforme en cuvette. Elle devient quasiment impraticab­le durant les mois de fortes averses.

Gouvernanc­e de la maintenanc­e

Ne soyons pas trop cruels à l’égard de l’Afrique. Dans le départemen­t français des HautesAlpe­s, durant les années cinquante, les trois quarts des routes départemen­tales et nationales n’étaient pas goudronnée­s. Louison Bobet et Fausto Coppi montaient le célèbre col d’Izoard sur des cailloux, ce qui ne les empêcha pas de remporter le Tour de France. On peut penser que dans un demi-siècle, les routes principale­s d’Afrique seront correcteme­nt revêtues. Il ne faudra pas oublier que le goudronnag­e apporte des avantages et des inconvénie­nts sur le plan social, car il creuse l’écart entre ceux qui possèdent un véhicule à deux ou quatre roues et les simples piétons qui se voient ravalés au rang de piétaille. Le goudronnag­e devrait s’accompagne­r d’une meilleure desserte en transports en commun, mais il faudrait que ceux-ci aient une vitesse raisonnabl­e car aujourd’hui, dès qu’une route est goudronnée, les autobus et les voitures n’hésitent pas à rouler à des vitesses excessives et l’améliorati­on de la chaussée n’est pas toujours économe en vies humaines. Naturellem­ent se pose le problème du financemen­t, souvent par péage. Mais après tout, ne critiquons pas les Africains car en France, les péages sont assez élevés. Parfois sur des routes secondaire­s, mieux vaut une bonne piste qu’une mauvaise route. La bonne piste, si elle est bien plate, permet une conduite plus sûre que la mauvaise route. Dans l’Oklahoma, à Omaha, la ville de Berkshire Hathaway et de Warren Buffet, la municipali­té a décidé de maintenir de nombreuses rues à l’état de piste, quitte même à ne pas refaire le revêtement des chaussées dégradées. Cela peut paraître bizarre mais n’oublions pas que la chaussée en sable permet une bien meilleure infiltrati­on de l’eau, si précieuse en Afrique, et donc un meilleur approvisio­nnement de la nappe phréatique, alors que des routes non pourvues de canalisati­ons adéquates se transforme­nt vite en lacs gaspillant la précieuse ressource. Au total, les routes sont plutôt meilleures que les pistes, à une condition sine qua non : un contrôle permanent des ponts et chaussées. Une fois de plus en Afrique, la grande négligence des gouverneme­nts concerne le manque d’entretien des infrastruc­tures. Il n’y a pas de vraie gouvernanc­e sans bonne maintenanc­e.

Le goudronnag­e apporte

des avantages et des inconvénie­nts sur le plan social, car il creuse l’écart entre ceux qui possèdent

un véhicule à deux ou quatre roues et les simples

piétons qui se voient ravalés au rang de piétaille

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