Le Nouvel Économiste

Et maintenant? Paysage dévasté après la bataille

L’échec cuisant et sans précédent de Trump sur l’Obamacare laisse entrevoir une suite des plus difficiles

- PAR VINCENT MICHELOT

On ne peut rêver d’un contexte plus difficile pour construire un budget et adopter une forte baisse d’impôts sur les entreprise­s et les ménages les plus aisés.

Même pas peur !

Dans les université­s américaine­s, qui ne sont pas exactement des bastions du conservati­sme, on entend souvent depuis janvier cet aphorisme: “Trump est une malédictio­n pour les Américains mais du pain bénit pour les professeur­s de science politique”. Après l’humiliant retrait, le vendredi 24 mars, du projet de loi sur l’abrogation/remplaceme­nt de l’Obamacare, le président, pour autant qu’il soit porté à l’introspect­ion, peut méditer sur cette leçon de choses politique qu’il vient d’apprendre à ses dépens. La débâcle était largement prévisible, inscrite même dans les fondamenta­ux du scrutin du 8 novembre 2016, puis dans les premières semaines d’exercice du pouvoir. Soixante pour cent des élus républicai­ns à la Chambre des représenta­nts (et une majorité des candidats républicai­ns au Sénat) ont fait un meilleur score dans leur circonscri­ptionp (ou leur État) que le candidat à la présidence, ce qui donne aux parlementa­ires une grande indépendan­ce vis-à-vis d’un président auquel ils ne doivent rien. Donald Trump, lui, a fait campagne contre l’establishm­ent et contre le Parti républicai­n, entretenan­t avec le speaker Paul Ryan et le leadership du parti de l’éléphant des rapports conflictue­ls, ce qui l’assurait du soutien des populistes nourris à l’antiparlem­entarisme, mais le coupait par avance de sa base partisane au Congrès. L’électorat de Trump, minoritair­e à la fois dans la population américaine et dans le camp conservate­ur, n’est quasiment pas représenté au Congrès, car ces cols bleus en colère contre la mondialisa­tion et le multicultu­ralisme n’ont pas réellement de porte-parole dans l’une ou l’autre des deux chambres.

“Starve the beast”

Le Parti républicai­n, qui vient de passer 10 ans dans l’opposition et qui n’était soudé que par sa détestatio­n pavlovienn­e des réformes progressis­tes de l’administra­tion Obama, avec l’Obamacare en poupée vaudou du conservati­sme, peine à pivoter d’une culture d’obstructio­n systématiq­ue à une culture de gouverneme­nt. Il lui faudrait pour cela d’abord résoudre ses fractures internes entre idéologues d’une pureté conservatr­ice fantasmée (le Freedom Caucus), centristes pragmatist­es, ayatollahs de la dépense publique et croisés du fondamenta­lisme culturel et religieux. Le Parti démocrate, qui pansera pendant encore longtemps les plaies d’une élection qu’il n’aurait jamais dû perdre, se met lentement mais sûrement en ordre de bataille, et il lui est d’autant plus facile de s’unifier que Donald Trump, adepte du fouet plutôt que de la branche d’olivier, n’a jamais envoyé un quelconque signal dans sa direction pour l’appeler à la constructi­on bipartisan­e de son programme législatif. Et puis revient à la mémoire de tous les historiens des institutio­ns américaine­s cette

anecdote peut-être apocryphe d’un échange entre Washington­g et Jefferson dans lequelq le premier président des États-Unis justifiait l’existence de la Chambre haute en ces termes : “Le Sénat est la soucoupe dans laquelle on verse

le thé pour le faire refroidir”. Quand bien même la Chambre des représenta­nts eût adopté le projet Ryan/Trump d’abrogation/remplaceme­nt de l’Obamacare, il était de toute façon condamné d’avance au Sénat, a fortiori dans sa dernière mouture qui désespérai­t les modérés pour les risques électoraux qu’elle leur faisait courir en 2018, sans pour autant satisfaire la droite la plus libertarie­nne qui ne voyait là qu’une forme d’“Obamacare light” qui continuait à menacer cette liberté fondamenta­le de l’homo americanus qui consiste à ne pas s’assurer sur la santé. Enfin, les comparaiso­ns historique­s sont cruelles: au même stade de son mandat, à michemin de la période fatidique des 100 jours, le président Obama avait déjà fait adopter un plan de relance de l’économie de 887 milliards de dollars et avancé dans la rédaction de sa réforme de la santé. Aucun président depuis les années 1930 n’a jamais échoué à faire adopter son premier grand texte législatif, celui sur lequel se construit toute la suite du mandat. Or le travail du Congrès se fait par séquences. Celle prévue par l’administra­tion Trump était la suivante: 1/ abrogation/remplaceme­nt de l’Obamacare 2/ réforme de la fiscalité menée conjointem­ent avec la constructi­on d’un budgetg quiq visait à “affamer la bête” qu’est l’État fédéral (“starve the beast” dans le même registre animal que celui d’un ancien ministre français qui souhaitait “dégraisser le mammouth”) 3/ lancer un grand programme de travaux publics de reconstruc­tion des infrastruc­tures américaine­s. Un speaker fragilisé, un président qui se désintéres­se totalement du détail des textes législatif­s, un parti majoritair­e fragmenté, une opposition requinquée, l’ombre russe sur la Maison-Blanche et la Tour Trump, un cordon ombilical président-Congrès desséché, le bipartisme préventive­ment anéanti, une dynamique législativ­e stoppée nette par l’éboulement du 24 mars sur la voie unique de la réforme conservatr­ice. On ne peut rêver d’un contexte plus difficile pour construire un budget et adopter une forte baisse d’impôts sur les entreprise­s et les ménages les plus aisés. Même pas peur !

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