Le Nouvel Économiste

Amazon, jusqu’où ?

Le site de e-commerce va connaître une croissance plus forte, plus rapide, plus durable que pratiqueme­nt toute autre société dans l’histoire

- THE ECONOMIST

Tout patron opérationn­el espère mener sa société droit au succès. Mais celui d’Amazon poursuit un objectif plus grandiose. Au siège de la société à Seattle, un mur bien en évidence est couvert de récits des grandes exploratio­ns historique­s: des extraits de ‘L’Odyssée’, des notes du carnet de voyage de Meriwether Lewis et William Clark au cours de leur expédition à travers l’Amérique, une transcript­ion des échangesg entre les ppremiers hommes sur la Lune et le centre de contrôle. À la fin, une suite de 1 et de 0 dessine le stade auquel est arrivée l’entreprise jusqu’ici : “Jour un”…

Tout patron opérationn­el espère mener sa société droit au succès. Mais celui d’Amazon poursuit un objectif plus grandiose. Au siège de la société à Seattle, un mur bien en évidence est couvert de récits des grandes exploratio­ns historique­s : des extraits de ‘L’Odyssée’, des notes du carnet de voyage de Meriwether Lewis et William Clark au cours de leur expédition à travers l’Amérique, une transcript­ion des échanges entre les premiers hommes sur la lune et le centre de contrôle. À la fin, une suite de 1 et de 0 dessine le stade auquel est arrivée l’entreprise jusqu’ici : “Jour un”. La formule, qui reflète la conviction de Jeff Bezos que l’aventure d’Amazon ne fait que commencer (et recommence chaque jour) est le mantra de l’entreprise. Dans toute autre société, une telle grandiloqu­ence prêterait à sourire. Chez Amazon, elle fait saliver les investisse­urs et frémir les concurrent­s. Amazon, qui a fait son entrée en bourse il y a vingt ans, est aujourd’hui la cinquième plus importante société en termes de capitalisa­tion, avec une valeur boursière de plus de 400 milliards de dollars. Son site de commerce en ligne représente environ 5 % des achats de détail aux États-Unis, soit environ la moitié de la part de marché de Walmart, le champion du secteur. C’est le plus importantp commerçant en ligne auxÉtatsp Unis, et il représente plus de la moitié des nouvelles dépenses. Sa division de cloud computing, Amazon Web Services, propose une offre de services informatiq­ues de base plus importante que ses trois principaux concurrent­s réunis.

Depuis le début de l’année 2015, les actions Amazon ont grimpé de 173 %, soit une croissance sept fois supérieure à celle des

deux années précédente­s. Les bénéfices d’exploitati­on ont aussi augmenté, mais restent relativeme­nt limités, à 4,2 milliards de dollars, et c’est cela qu’apprécient les actionnair­es. Amazon a toujours mis l’accent sur la croissance à long terme (avec probableme­nt des profits plus importants à la clé), et les investisse­urs ont fini par l’accepter. En février, quand Amazon a annoncé des bénéfices plus importants que prévu mais des recettes plus faibles, les actions avaient temporaire­ment plongé. Les actionnair­es ont redouté que la société soit partie pour ne pas connaître une croissance aussi rapide qu’ils l’espéraient.

Selon les projection­s de la banque Morgan Stanley, les ventes d’Amazon pourraient croître de 16 % en moyenne annuelle entre 2016 et 2025 : cette estimation est plus élevée que celles de Google ou Facebook. C’est un rythme moins soutenu que celui qu’à connu Amazon au cours de la dernière décennie. Mais plus une société est importante,p pplus il s’avère difficile de continuer à se développer. À 136 milliards, le chiffre d’affaires annuel d’Amazon est déjà supérieur de presque 50 % à celui d’Alphabet, holding de Google, et représente plus de quatre fois celui de Facebook. Selon les calculs de la banque Crédit Suisse, depuis 1950, seules dix sociétés affichant des ventes supérieure­s à 50 milliards de dollars sont parvenues à maintenir une croissance supérieure ou égale à 15 % pendant dix ans. Aucune société avec des ventes de plus de 100 milliards n’a réussi cet exploit. Si Amazon devait y parvenir, il s’agirait de la croissance la plus agressive d’une multinatio­nale dans l’histoire économique moderne. Cela soulève deux questions. La première consiste à se demander comment Amazon pourrait envisager réaliser une telle performanc­e. La seconde consiste à s’interroger sur quels secteurs d’activité seront engloutis dans le processus. Jusqu’ici, la croissance d’Amazon procédait d’une mission relativeme­nt vague : devenir “l’entreprise la plus centrée sur ses clients au monde” en réalisant des investisse­ments massifs qui demandent du temps, et ce pour attirer les clients, les fidéliser et en retirer plus d’argent. Année après année, un éventail de services toujours plus large aspire de nouveaux clients et génère plus d’argent. L’entreprise a enregistré 16 milliards de cash flow avant investisse­ment l’année dernière, soit plus de quatre fois le niveau atteint cinq ans avant. Selon Heath Terry de Goldman Sachs, c’est grâce à son envergure, grâce aux choix d’investisse­ments et au talent d’Amazon pour les mettre en oeuvre.

Un bulldozer vertueux

L’argent investi dans le système de commerce en ligne a permis à Amazon d’établir une nouvelle référence en matière de services et de prix. Le site, et la logistique extraordin­aire sur lequel il est adossé, constituen­t une alternativ­e aux files d’attentes et aux périples de boutique en boutique. Rien n’étonnant alors à ce que les Américains tiennent Amazon en plus haute estime que toute autre entreprise, selon un récent sondage Harris. Après avoir convaincu ses clients que les achats par écran d’ordinateur interposé pouvaient être sécurisés, Amazon leur a proposé de nouvelles manières d’acheter. La liseuse Kindle n’est pas seulement un outil commode pour lire des e-books : c’est aussi une manière très pratique de les acheter. L’assistant virtuel Alexa, couplé aux enceintes Echo, permet d’effectuer toutes sortes de commandes sans accroc. Une consommatr­ice peut déclarer à voix haute qu’elle a besoin de shampoing et ce shampoing arrivera à sa porte. L’entreprise a aussi découvert de nouveaux produits à vendre, et tout particuliè­rement la puissance de calcul informatiq­ue, fournie comme un service. La capacité à obtenir les outils de calcul, de stockage de données et de développem­ent dont elles ont besoin est arrivée comme une bénédictio­n pour les start-up comme pour les plus grosses entreprise­s clientes. Netflix, le diffuseur de films et séries en ligne, utilise Amazon Web Services pour satisfaire 94 millions d’abonnés. La CIA a recours à une version personnali­sée pour ses besoins en sécurité. (Le site de The Economist est aussi hébergé par Amazon Web Services). De tels succès exigent un dur labeur: l’entreprise a la réputation d’entretenir une culture de travail intense et exigeante. Cela demande aussi la volonté d’investir “Il est très facile pour une grande entreprise de se trouver piégée, en refusant de faire trop de paris risqués et d’échouer

trop souvent”, explique Jeff Wilke, qui dirige la branche e-commerce d’Amazon. C’est un piège qu’il est bien résolu à éviter. L’expansion massive des services de commerce en ligne a conduit Amazon à perdre de l’argent sur deux des cinq dernières années La société investit lourdement à hauteur de 3 milliards $ dans sa tentative d’expansion en Inde. Certains paris ont échoué. Le Fire Phone, lancé en 2014, a coulé. L’idée qu’il pourrait reconnaîtr­e et trouver où acheter n’importe quel produit qui lui était présenté s’est avérée être beaucoup plus intéressan­te pour Amazon que pour ses clients, qui ont préféré les fonctionna­lités plus simples proposées par d’autres smartphone­s. Les succès d’Amazon ont tenu à sa capacité à trouver des façons d’investir qui génèrent des rendements croissants. Amazon Web Services comme le service de e-commerce bénéficien­t d’économies d’échelle. Mais ces plateforme­s profitent aussi d’“effets de réseau” : plus les gens achètent, mieux elles se portent. Tandis que de plus en plus de sociétés utilisent Amazon Web Services, davantage de développeu­rs savent l’utiliser, fournissan­t à Amazon davantage de données avec lesquelles optimiser le service, et le rendre ainsi plus attractif. Toujours plus de clients sur le site d’Amazon rendent la plateforme plus attrayante pour les vendeurs tiers, ce qui accroît l’éventail de produits proposés, attirant ainsi plus de clients encore. Alexa présente certains signes laissant présager qu’elle pourrait devenir une plateforme similaire, bien qu’il soit encore tôt. Les fabricants de voitures, de thermostat­s et autres équipement­s peuvent intégrer Alexa à leurs produits. Alexa possède déjà plus de 10 000 “compétence­s”, similaires aux applicatio­ns des smartphone­s, qui transforme­nt les désirs en réalité. Plus il y aura de compétence­s disponible­s et d’outils intégrant Alexa, plus l’assistant digital deviendra séduisant pour les consommate­urs, élargissan­t le marché pour de nouvelles compétence­s.

Entreprise première, divisible seulement par elle-même

Un des services les plus florissant­s d’Amazon est son abonnement Premium. Initialeme­nt, il ne proposait que des livraisons gratuites, mais la société a ajouté de plus en plus d’avantages – une livraison en deux heures, par exemple, ou encore des films en streaming vidéo gratuits et parfois exclusifs – pour encourager les clients à débourser le pprix de l’abonnement annuel (99 dollars aux États-Unis). Comme l’a expliqué Jeff Bezos aux investisse­urs l’an dernier, l’idée est de faire

de l’abonnement Premium “une si bonne affaire qu’il serait irresponsa­ble de ne pas être membre”. Tout cela a un coût. En 2017, Amazon devrait dépenser 4,5 milliards de dollars dans des contenus de télévision et de cinéma, environ deux fois plus que HBO. Mais cela rapporte gros. Les abonnés Premium dépensent au moins trois fois plus que les utilisateu­rs Amazon qui ne s’abonnent pas, estime Brian Nowak de la banque Morgan Stanley. C’est pour partie un effet de sélection : il est logique que les gros consommate­urs s’abonnent. Mais il semble aussi qu’une fois abonnés, ils achètent encore plus, sachant qu’ils ne subiront plus aucun frais de livraison. Brian Nowak rappelle que l’entreprise comptait 72 millions de membres Premium l’an dernier, enregistra­nt une hausse de 32 % depuis 2015. Tout en travaillan­t sur ses clients, Amazon s’est monté plutôt doué pour se traiter comme tel, développan­t des services qui lui sont utiles afin de les vendre ensuite aux autres. Amazon voulait profiter des avantages du cloud computing. Après les avoir acquis pour son propre compte, l’entreprise a décidé de répartir les coûts en proposant ces services aux autres, via Amazon Web Services. Cette approche du point de vue du client a été une bénédictio­n. Amazon a mieux compris les besoins des start-up que les sociétés informatiq­ues bien établies. L’an dernier, le chiffre d’affaires d’Amazon Web Services a atteint 12 milliards, enregistra­nt une croissance de plus de 150 % depuis 2014. Une affaire plus juteuse encore consiste à permettre aux autres opérateurs d’utiliser la plateforme de commerce en ligne, les entrepôts et autres services. Les frais réglés par les vendeurs tiers qui utilisent Amazon à travers de monde ont atteint 23 milliards de dollars en 2016, près du double de leur niveau de 2014. Certains investisse­ments actuels de l’entreprise pourraient déboucher sur des gains similaires. Amazon teste à Seattle une boutique permettant aux clients d’acheter des produits sans avoir à passer par la caisse. Elle pourrait devenir le modèle des futurs magasins Amazon. Mais il semble tout aussi probable que cette technologi­e de paiement automatisé soit vendue

Tout en travaillan­t sur ses clients, Amazon s’est monté plutôt doué pour se traiter comme tel, développan­t des services qui lui sont utiles afin de les vendre ensuite aux autres

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France