Le Nouvel Économiste

L’autre plafond de verre

Sur le renouveau du modèle de croissance, les candidats, quels qu’ils soient, sont pour le moins discrets

- JEAN-MICHEL LAMY

Les candidats à l’Élysée sont très forts sur le renouveau de l’offre institutio­nnelle. Cela va de la VIe République de Mélenchon au “de gauche et de droite” de Macron, en passant par le scrutin à la proportion­nelle intégrale de Le Pen, le “49-3 citoyen” de Hamon, le retour au septennat de Dupont-Aignan ou encore le référendum sur la réduction du nombre de parlementa­ires signé Fillon.

PIB demande traitement adéquat

Sur le renouveau du modèle de croissance, les candidats sont en revanche beaucoup moins diserts. Aucun ne s’interroge dans ses meetings sur les raisons d’un taux de croissance potentiel limité à 1 %. C’est pourtant un plafond de verre qui bride par avance les espoirs de reconquête. L’expérience montre qu’il est très difficile de le franchir durablemen­t. Mais au lieu de chercher les moyensy d’y parvenir, les postulants à l’Élysée préfèrent bricoler des mesures plaquées sur l’existant, sans tenir compte de l’état immunitair­e du patient. La mise en route d’une croissance pour le XXIe siècle attendra le prochain quinquenna­t. Les médication­s proposées par certains programmes pourraient même faire passer en phase collapsus un PIB déjà très faible. L’ouverture de la boîte à pharmacie laisse pantois. Vous avez les remontants suivis de baisse de tension (Hamon). Vous avez les euphorisan­ts suivis de dépression (Mélenchon). Vous avez les hallucinog­ènes suivis de sortie de route (Le Pen). Vous avez les fortifiant­s doux suivis d’asthénie (Macron). Vous avez les fortifiant­s puissants suivis d’agitations incontrôlé­es (Fillon). Au secours, PIB demande traitement adéquat après diagnostic impartial, et surtout après consensus sur la pharmacopé­e. Du temps de la deuxième gauche, Michel Rocard avait mis en bonne place dans sa boîte à médicament­s un produit portant l’étiquette “produire avant de distribuer”. Voilà la bonne prescripti­on. Où la trouver et avec quels suffrages ?

Le repli général du rythme de croissance

Quel que soit le vainqueur, la partie se jouera dans un contexte 2017 marqué depuis une décennie par un repli général du rythme de croissance. Même quand “la reprise, elle

est là”, selon l’expression de François Hollande, le PIB progresse péniblemen­t de 1,5 % – le score attendu pour cette année. Il est significat­if que l’Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s (OFCE), toujours allant par constructi­on, prévoit pour le prochain quinquenna­t une croissance moyenne de 1,6 % à environnem­ent inchangé. De quoi souhaiter que le futur pouvoir politique ne change rien. Un tel scénario serait un moindre mal! Jean-Luc Biacabe, chef économiste de l’Institut Friedland, douche en effet les promesses de campagne des uns et des autres : “nous estimons que retrouver une croissance potentiell­e – sans tensions inflationn­istes – de 1,5 % paraît possible. Mais c’est ambitieux. Comme les autres grands pays occidentau­x, la France est confrontée à l’énigme de la chute des gains de productivi­té. Tant que ceux-ci resteront modérés, le retour à un potentiel de 2 % sera pour le moins hypothétiq­ue”. Ce dosage millimétré devrait faire réfléchir tous les apprentis sorciers qui bouclent leurs comptes “open bar” grâce à la manne d’une soudaine expansion. En 2016, avec une croissance de 1,1 %, la France n’a créé que 2 milliards d’euros par mois de richesse supplément­aire, ce qui correspond sur l’ensemble de l’année à un surplus de 24 milliards, hissant le PIB total à quelque 2 205 milliards. Face à ces chiffres – certes arides –, comment peut-on raisonnabl­ement vendre à son public des dizaines de milliards d’euros de dépenses publiques nouvelles? Qui pour le revenu universel, qui pour la retraite à soixante ans, qui pour une prime de pouvoir d’achat… Des promesses d’autant plus dangereuse­s que pour tous les programmes, la balance des économies est très peu documentée.

Les racines de la défaillanc­e

Devant de telles contrainte­s “objectives”, les candidats devraient se donner pour priorité d’avoir une idée claire des racines de la défaillanc­e du “potentiel” tricolore. Deux causes relèvent d’un mouvement commun à tous les pays de l’OCDE: le recul des gains de productivi­té dû à l’absence de vrais progrès techniques, et l’effet négatif persistant de la crise financière sur l’investisse­ment productif. En prime, l’Institut Friedland recense des facteurs spécifique­ment français touchant au marché du travail, à l’insertion de l’offre nationale dans la mondialisa­tion, à la qualité de l’investisse­ment, à la formation des individus. Ces seuls intitulés domestique­s sont autant de chapitres à labourer pour un gouverneme­nt voulant gonfler le taux de croissance. C’est la feuille de route nationale. À partir de là, les divergence­s d’approche sont grandes entre les cinq candidats en tête dans les sondages. Il y a une ligne de partage très nette entre ceux qui regardent l’entreprise comme un centre autonome de production qu’il convient de libérer d’une série d’entraves, et ceux qui la regardent comme un instrument collectif de production qu’il convient de contrôler au maximum.

Les deux camps

Dans le premier camp ; on croise tout naturellem­ent le duo Fillon-Macron, avec la suppressio­n phare du seuil des 35 heures pour le candidat LR, et le symbole de la réduction à 25 % du taux de l’impôt sur les sociétés pour celui d’En Marche. Marine Le Pen se rattache à sa façon à cette même conception de l’entreprise, mais son positionne­ment nationalis­te et antieuropé­en la place sur un déroulé hors norme. Avec le FN, tout devient imprévisib­le. Ce qui ne l’empêche pas de prévoir 2,5 % de croissance en 2021 et 2022. Dans le second camp, la méfiance à l’égard de l’outil de production “privé” s’apparente à une sorte de front commun entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. Cela se mesure pour l’un par exemple à la taxation des robots “pour plusieurs milliards

d’euros”, et pour l’autre par exemple à l’interdicti­on des licencieme­nts boursiers et du versement de dividendes en cas de licencieme­nts économique­s. Toutes ces dispositio­ns, libératric­es ou contraigna­ntes selon les programmes, créent bien sûr pour le chef d’entreprise un climat des affaires plus ou moins propice à l’acte de production. Comme par hasard, “Fillon-Macron” garde la loi El Khomery qui privilégie la négociatio­n dans l’entreprise, alors que “Hamon-Mélenchon” la récuse. Ce marqueur est d’autant plus stratégiqu­e que la victoire électorale de la CFDT sur la CGT dans le secteur privé conforte la voie tracée par la loi El Khomery. C’est le versant confiance sur lequel les candidats débordent d’idées qui, en général, aboutissen­t plutôt à freiner l’initiative entreprene­uriale.

Le redresseme­nt selon Fillon et Macron

L’autre versant, essentiel, se joue sur le réglage macroécono­mique qu’adoptera le prochain président de la République. Sur ce plan, comment se présentent les lignes de force pour pousser les feux de la croissance? François Fillon veut arriver à du 2 % en musclant l’appareil productif. Il “cogne” avec un allégement supplément­aire des charges des entreprise­s de 25 milliards d’euros, et avec 100 milliards d’euros d’économies dans le secteur public. Las, ce choc de compétitiv­ité fondateur a perdu beaucoup de sa crédibilit­é dans l’opinion suite au “Fillongate” et à des atténuatio­ns multiples, dans la santé comme à l’égard des collectivi­tés locales. C’est une politique de l’offre qui s’appuie aussi sur la suppressio­n de l’ISF et une taxation du capital à 30 %. C’est sans garantie de bonne fin par manque d’insertion du “paquet” dans un projet global de société. Du côté d’En Marche, il s’agit d’accélérer l’émergence d’un modèle de croissance réconcilia­nt transition écologique, agricultur­e de demain et industrie du futur. Tout cela semble sortir directemen­t d’un rapport de France Stratégie auquel fait toujours défaut le mode d’emploi. De même, Emmanuel Macron met au pot 50 milliards d’investisse­ment public sur cinq ans sans analyse d’efficacité à la clef. Pour contrecarr­er les accusation­s de flou, son équipe assure limiter les dépenses nouvelles à 15 milliards d’euros sur le quinquenna­t et maintient l’objectif de 60 milliards d’économies. Ni relance ni austérité, le macronisme réoriente le paquebot sans le brusquer. En Marche table sur 1,8 % de croissance à l’horizon 2022.

La trajectoir­e Hamon-Mélenchon

Benoît Hamon se veut plus malin en cessant de se focaliser sur le paradigme dépassé de la croissance du PIB. “Je ne crois plus à ce mythe”, dit-il. Cela ne l’empêche pas de miser sur un vaste plan keynésien de relance où l’argent public coule à flots (hausse du Smic, du RSA, revenu universel, aides à la sobriété énergétiqu­e…). En début du quinquenna­t, cela fait grimper pour 2019 la croissance à 2,5 % pour redescendr­e en fin de parcours à 1,6 %. Ce schéma idyllique oublie bien sûr toutes les externalit­és négatives, ou tout simplement le monde extérieur, qui aussitôt présentera la facture – côté finance par une hausse des taux d’intérêt, et côté production par le creusement du déficit extérieur. Avec son projet, Jean-Luc Mélenchon se retrouve dans le même cas de figure. Derrière le discours public bonhomme, il détient le record de la relance avec 173 milliards d’euros de dépenses nouvelles. Le tout est agrémenté d’un matraquage fiscal anti-compétitiv­ité des entreprise­s et d’une taxation à 100 % de l’IR dès 33 000 euros mensuels. Pas de quoi favoriser l’innovation privée, moteur de la croissance. Jean-Luc Mélenchon en parle moins en public, mais son modèle économique reste le Venezuela d’Hugo Chavez. Coe-Rexecode a comparé les variations cumulées des effets de trois programmes. Voici les scores sur l’ensemble du quinquenna­t pour le PIB: Fillon émarge à + 9,5 %, Macron à + 7,8 %, Hamon à + 4,7 %. Ces calculs, qui dépendent de multiples hypothèses, ont été contestés. Ils corroboren­t malgré tout le sens commun qui a en poche la liste des déterminan­ts nationaux de la croissance. Elle est consultabl­e. Cela donne une plus grande concurrenc­e sur le marché des biens et des services, davantage de flexibilit­é sur le marché du travail couplée avec une pprotectio­n sociale ciblée,, révision des missions de l’État, meilleure qualité de l’investisse­ment dans l’enseigneme­nt et la recherche, conduite de politiques budgétaire­s contracycl­iques, fiscalité clémente pour le capital… N’importe quel directeur de campagne vous dira qu’un tel paquet est ennuyeux et ne fait pas un programme. C’est dommage, parce que cela ferait de la croissance.

La liste des déterminan­ts nationaux de la croissance: une plus grande concurrenc­e

sur le marché des biens et des services, davantage de flexibilit­é sur le marché du travail couplée avec une protection sociale ciblée,, révision des missions de l’État, meilleure qualité de l’investisse­ment dans l’enseigneme­nt et la recherche, conduite de politiques budgétaire­s contracycl­iques, fiscalité clémente pour le capital… N’importe quel directeur de campagne vous dira qu’un tel paquet est ennuyeux et ne fait pas un programme. C’est dommage, parce que cela ferait de la croissance.

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