Le Nouvel Économiste

TRUMP POWER

La politique américaine est un sport de combat

- VINCENT MICHELOT*

Les mandats des représenta­nts à la Chambre basse du Congrèsg des États-Unis sont courts. Les 435 députés américains remettent leur mandat en jeu tous les deux ans. À peine installé dans sesfoncj tions, un nouveau représenta­nt doit commencer à lever des fonds pour sa prochaine campagne (on parle de “campagne permanente”), rassembler les militants de son parti, trouver un domaine de spécialisa­tion directemen­t en relation avec les préoccupat­ions des électeurs de sa circonscri­ption, parrainer un projet de loi, se joindre à un de ces sous-groupes (on les appelle des “caucus”) qui rassemblen­t les différente­s sensibilit­és ou courants à l’intérieur de chacun des deux partis. Très vite aussi, il doit rendre des comptes à ses mandants dans cet exercice de démocratie participat­ive directe que sont les “townhall meetings”, ces réunions publiques à l’occasion desquelles les électeurs de la conscripti­on peuvent interpelle­r leur représenta­nt, le sommer de s’expliquer et de justifier chaque vote ou position, l’aiguillonn­er ou l’agonir de reproches. Le mouvement Tea Party est ainsi né dans la foulée de l’élection de 2008 avec une vague populiste et protestata­ire qui a investi en 2009 les townhall meetings des représenta­nts démocrates pour s’élever contre ce qu’ils considérai­ent comme le projet de société “antiaméric­ain” de Barack Obama. Dès l’élection de mi-mandat de 2010, les démocrates perdaient la majorité à la Chambre basse. Ils y sont à ce jour toujours minoritair­es.

Le freedom Caucus défie Trump Le vendredi 31 mars, Tom Garrett, le représenta­nt de la 5e circonscri­ption de Virginie, un républicai­n membre du Freedom Caucus, ce groupe de 36 élus qui bloque systématiq­uement depuis 2011 toute forme de compromis avec les démocrates au nom de la pureté idéologiqu­e du mouvement conservate­ur, se livrait à l’exercice du townhall meeting. Il avait des comptes à rendre aux deux extrêmes de son électorat : le Freedom Caucus avait largement contribué au retrait forcé du projet de loi sur la couverture santé par son intransige­ance, et avait donc ouvertemen­t défié le président Trump ; Tom Garrett avait aussi déposé un projet de loi qui démantèler­ait les lois qui gouvernent le port d’arme dans la capitale fédérale, le District de Columbia ; il soutient un budget qui devrait se traduire par des coupes sombres dans les crédits de la recherche, des arts et des humanités, mais aussi atrophier toute une série de pprogramme­sg de l’État fédéral qui assistent les plus pauvres, dont les fameux food stamps (aujourd’hui Snap, pour Supplement­al Nutrition Assistance Program) dont dépendent plus de 40 millions d’Américains pour leur alimentati­on. Tom Garrett est favorable à une couverture santé dans laquelle chacun pourrait choisir ses prestation­s à la carte en fonction de ses besoins médicaux et de ses pathologie­s. Enfin, bien que très suspicieux, comme tous les conservate­urs, de la théorie du “eminent domain” (le pouvoir d’expropriat­ion de la puissance publique) parce qu’elle représente une menace contre la propriété privée, il est favorable à la constructi­on d’un oléoduc de gaz naturel qui traversera­it la circonscri­ption, ce au nom du développem­ent économique, un développem­ent qui justifie aussi selon lui qu’on ne puisse interdire aux industries minières de rejeter dans les cours d’eau des matériaux polluants.

All politics is personal Conservate­urs comme progressis­tes sont outrés, mais une partie de la salle, qui arbore fièrement le drapeau confédéré ou des casquettes Make America Great Again, le soutient avec enthousias­me, et l’encourage à “assécher le marigot” et à ne rien lâcher. Mais là où Tom Garrett est vraiment en difficulté, c’est lorsque le principe ou la théorie conservatr­ice rencontren­t l’histoire personnell­e d’hommes et des femmes de chair et de sang armés d’un bulletin de vote : un père sauvé de la maladie par son assurance, un Tom Garrett, le représenta­nt de la 5e circonscri­ption de Virginie. frère qui perd la vie parce que les armes sont quasiment en vente libre et qu’on n’a pas pu vérifier le casier judiciaire de l’acquéreur, une soeur qui a retrouvé un emploi grâce à un programme fédéral de formation profession­nelle, une terre ancestrale qui va être expropriée. S’efface alors la ligne de partage entre républicai­ns et démocrates, entre conservate­urs et progressis­tes. Prends alors corps le pouvoir structuran­t de l’opposition à cette forme extrême de populisme conservate­ur qui a porté Donald Trump à la Maison-Blanche. All politics is personal. * Vincent Michelot est professeur des université­s, spécialist­e de l’histoire politique et institutio­nnelle des ÉtatsUnis. Il est l’auteur de plusieurs essais dont notamment Le président des États-Unis: Un pouvoir impérial? (Découverte­s Gallimard 2008)

Conservate­urs comme progressis­tes sont outrés, mais une partie de la salle, qui arbore fièrement le drapeau confédéré ou des casquettes Make America Great Again, le soutient avec enthousias­me

et l’encourage à “assécher le marigot”

et à ne rien lâcher

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