Le Nouvel Économiste

ÇA C’EST L’AFRIQUE

Une soif de lecture considérab­le

- PAR ODON VALLET, président de la Fondation Vallet

Le récent salon du livre de Paris a montré les points forts et les points faibles du livre en Afrique francophon­e. Le principal point fort est la démographi­e, puisque près de 80 % des élèves et étudiants francophon­es résident en Afrique. Le principal point faible est la modestie du pouvoir d’achat, puisqu’un roman grand format coûte environ une semaine de salaire minimum et un livre universita­ire trois semaines. C’est comme si en France, le prix Goncourt coûtait 300 euros et le livre de droit 900 euros. Ce salon du livre a montré ensuite la richesse de la production romanesque attestée par le dernier prix Goncourt des lycéens, ‘Petit pays’, qui bat tous les records de ventes en France mais pas en Afrique. L’Afrique représente 2 % des ventes des livres francophon­es, guère plus que la Suisse romande, la Belgique wallonne ou le Québec. En plus de la faiblesse du pouvoir d’achat, il y a les problèmes de diffusion et de distributi­on. Par bateau, les livres peuvent mettre jusqu’à trois, voire quatre mois, pour arriver en Afrique, et par avion, le coût du transport est prohibitif. De plus, il y a relativeme­nt peu de libraires compétents dans la mesure où cette profession n’est guère lucrative. Beaucoup pensent que l’avenir est à l’écran et non à l’écrit. L’Afrique bat tous les records en matière de téléphones portables mais elle est très en retard pour les livres. Or le passage par l’écrit est nécessaire, d’autant que les obsédantes coupures de réseau et l’extrême lenteur des connexions rendent le e-learning presque impossible dans certains pays, et consulter Wikipédia prend en moyenne 5 à 10 fois plus de temps qu’en France. Du côté positif, il y a d’excellente­s bandes dessinées, comme ‘Le retour en France d’Alphonse Madiba dit Daudet’ chez L’Harmattan, ou ‘Kinshasa rugby club’ aux éditions réunionnai­ses Des Bulles dans l’océan. Avec une bonne diffusion, ces BD se vendraient à des centaines de milliers d’exemplaire­s, comme Tintin ou Lucky Luck. Mais dans les faits, leurs scores sont faibles. Plus encore, certains éditeurs africains, ou éditeurs pour l’Afrique, multiplien­t les ouvrages plus ou moins à compte d’auteur et inondent le marché de livres sans grand intérêt au milieu de perles rares.

Les études par le livre

Il faut donc repenser complèteme­nt le livre en Afrique. Il y a une possibilit­é puisque le deuxième éditeur au monde, le groupe Hachette, a plusieurs filières consacrées exclusivem­ent ou principale­ment à l’Afrique, via Hachette internatio­nal, Hatier internatio­nal, Edicef, ou Ciam pour les mathématiq­ues. Ces livres de classe, rédigés par les meilleurs professeur­s de Yaoundé, Dakar ou Abidjan, se réfèrent à la fois à la culture européenne et à la culture africaine, et la collection Go for English, par exemple, a la bonne idée de présenter systématiq­uement des photos de l’Afrique anglophone plutôt qque des pphotos de Grande-Bretagneg ou des États-Unis. D’autre part, il existe desposp sibilités de réduction des coûts des ouvrages universita­ires, programmes + ou campus, qui rendent ces livres un peu plus abordables. Malheureus­ement, ils sont en plein déclin. Pour les romans, poésie, théâtre, ce qu’on appelle la fiction, l’un des obstacles est le chauvinism­e dans certains pays. L’Afrique a d’excellents romanciers mais si l’on est béninois, on s’intéresse peu aux romans congolais d’autant que les programmes scolaires comprennen­t presque exclusivem­ent des auteurs du pays, ce qui est un moyen d’accroître leurs revenus. D’autre part, de nombreux livres pillent ou copient des ouvrages européens ou américains sans demander l’autorisati­on. Cela perturbe les relations avec les éditeurs. Enfin le climat chaud et souvent humide rend la vie matérielle des ouvrages plus courte, d’autant que les livres imprimés en Afrique le sont souvent avec du papier de très mauvaise qualité de type papier journal. Et pourtant, la soif de lecture des Africains est considérab­le. Dès lors qu’on leur présente des ouvrages à la fois utiles et agréables à lire, ils se pressent par milliers dans les bibliothèq­ues. La lecture en Afrique a un avenir d’autant plus important que le taux de scolarisat­ion ne cesse de s’élever. La ville de Djougou au Bénin – 300 000 habitants – a 300 écoles primaires, autant que la ville de Paris. Mais les médias s’intéressen­t peu à la lecture en Afrique, persuadés que l’avenir est dans le e-learning ou les tablettes numériques qui pourront un jour avoir un rôle important. Mais l’écran est un complément de l’écrit. En Afrique comme en Europe, les meilleurs élèves sont ceux qui lisent le plus. Les abonnés du réseau de bibliothèq­ues Fondation Vallet au Bénin multiplien­t par 2,5 leurs chances de succès au baccalauré­at, et par 3,5 au BEPC. Compte tenu de l’énorme quantité de redoublant­s en Afrique et de la quasi-inexistenc­e de livres pour un grand nombre d’élèves, l’avenir des études passe en grande partie par le livre. Ajoutons que les chaînes de télévision étant souvent de médiocre qualité pour les émissions sérieuses – il n’y a pas l’équivalent d’Arte – le livre est souvent la seule façon de se documenter de manière solide. L’avenir du livre en Afrique, c’est aussi le futur du continent.

Dès lors qu’on leur présente des ouvrages à la fois utiles et agréables

à lire, les Africains se pressent par milliers dans les bibliothèq­ues

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