Le Nouvel Économiste

Retour aux sources

Une autre oubliée de la campagne, la politique étrangère de la France

- JEAN-MICHEL LAMY

Trois devinettes. Dans quel pays l’élection “reine” vient-elle de se dérouler sans parler ou presque de politique étrangère ? Réponse facile. Dans quel pays un candidat propose pour tout horizon à sa stratégie le contrôle étroit des frontières? Réponse Marine Le Pen. Dans quel pays un autre candidat vend comme solution à tout problème la reconstruc­tion de l’Europe? Réponse Emmanuel Macron. Voilà, caricature diront les intéressés. En réalité, les deux challenger­s du second tour de la présidenti­elle donnent l’impression de passer à côté d’une dimension essentiell­e de leur job. Comme s’ils refusaient de voir que l’histoire est tragique et de savoir que “la France est en guerre”...

La France ne retrouvera son rang dans le monde qu’en prenant appui sur un renouvelle­ment doctrinal – en réalité un retour aux sources. Pour ce faire, mieux vaut s’en tenir aux principes de base qui ont toujours été ceux de la politique étrangère de ce pays plutôt que de jouer l’aventure de l’isolationn­isme. N’est pas Trump qui veut, Mme le Pen ! C’est pourquoi, malgré son inexpérien­ce, le concurrent d’En Marche est probableme­nt le mieux à même de réussir son examen en relations internatio­nales.

La chance d’une page blanche

Faut-il le rappelerpp ? Sous des formes diverses, le chef de l’État a toujours eu depuis 1958 la main sur la diplomatie et la Défense. Même en cohabitati­on, dépourvu de toute majorité parlementa­ire, le président de la République cogère ces deux domaines avec le Premier ministre. Tel est l’usage. Il est, selon la Constituti­on, il est vrai, “garant de l’indépendan­ce nationale, de l’intégrité du territoire,, des traités” et “chef des armées”.” À ce titre, il peut envoyer la troupe où bon lui semble. QQuels sont les ressorts de l’action extérieure de l’Élysée ? Deux facteurs sont déterminan­ts. D’une part les forces et les faiblesses du positionne­ment internatio­nal de la France. D’autre part la vision de l’ordre du monde qqui va gguider les ppas du futur ppatron de l’Élysée. L’action diplomatiq­ue est certes affaire de caractère. Elle est surtout affaire de solidité et de déterminat­ion à toutes les étapes de la chaîne de commandeme­nt. Cela concerne aussi bien l’état d’esprit de l’opinion publique face à la multiplica­tion éventuelle d’attentats sur le sol métropolit­ain, que l’état de forces armées au seuil de rupture compte tenu du nombre de théâtres d’opération. C’est dire qu’il faut à la France une grande politique étrangère et une grande politique de défense pour hisser le pays à la hauteur des enjeux. La chance, inouïe, du futur président est d’arriver à un moment privilégié où une page blanche s’ouvre sur nombre de dossiers. Le chantier est gigantesqu­e et passionnan­t. Donald Trump l’imprévisib­le bouscule les schémas les mieux établis : il va falloir être inventif dans le transatlan­tique. Avec la Turquie, le refrain hypocrite de l’adhésion à l’Union européenne – commencé en 1963 – est enfin interrompu : tout est à reconfigur­er avec Recepp Tayyipyyp Erdogang l’autoritair­e. L’État islamique est en train de perdre ses bases terrestres : de quoi réévaluer la menace. L’Angleterre a pris congé du continent : c’est un obstacle de moins sur le chemin d’une Europe intégrée autour d’un noyau dur. Vladimir Poutine est empêtré dans un conflit sans fin avec l’Ukraine: une opportunit­é pour la levée des blocages. Jusqu’à l’Allemagne qui a le bon goût de renouveler son bail électoral en septembre : l’occasion rare de refonder la relation sur des bases plus équilibrée­s. Sur tous ces fronts, la voix de la France peut se faire entendre à nouveau. Sous quelques conditions.

Les cinq principes de base

Comment se présente l’audit de la politique étrangère ? Le Club des Vingt, qui réunit d’anciens patrons de gauche et de droite du Quai d’Orsay, a concocté une note de synthèse à l’attention du nouvel hôte de l’Élysée. Voici les cinq principes de bases qui sont autant de balises à respecter. Un: fondamenta­lement la politique étrangère est affaire de souveraine­té. Deux: aujourd’hui autant qu’hier, elle est à vocation mondiale. Trois : la France n’est pas seule, son action s’inscrit dans le cadre d’un projet européen. Quatre : elle est réaliste en acceptant comme interlocut­eur ceux qui comptent, et pas seulement ceux qui lui plaisent. Cinq : pour parvenir à ses fins, il faut s’appuyer sur une économie forte et sur une défense assurée. L’énoncé de ces principes fait notamment comprendre que la vraie souveraine­té ne doit rien au nombre de ggardes-barrières ! À l’évidence, ces bonnes résolution­s ont été oubliées ces dernières années. Voici le jugement de Valéry Giscard d’Estaing confié au ‘Point’ : “au plan extérieur, la France est devenue invisible. Elle n’exerce plus en Europe aucune des quatre présidence­s. En cinq ans, François Hollande n’a pris aucune initiative pour faire avancer l’intégratio­n de la zone euro”.

Funeste aveuglemen­t de Hollande

En “off”, les hauts fonctionna­ires confirment qu’à Bruxelles, l’actuel président de la République a joué pprofil bas dès le début de son qquinquenn­at. Alors que l’Élysée aurait pu provoquer une réunion des dirigeants des Vingt-Huit pour décider d’une interpréta­tion souple du traité budgétaire. “Face à un discours de franchise, l’Allemagne aurait accepté”, affirme le “off”. Rien d’anodin dans ce propos rétrospect­if. Les frondeurs du PS se sont levés sur ce renoncemen­t à secouer l’austérité selon Maastricht, qui s’est payé, accusent-ils, par un matraquage fiscal. François Hollande, paraît-il, assimilait son affaibliss­ement en France à son statut en Europe. Funeste aveuglemen­t puisqu’à Bruxelles, il avait toujours sous la main quelques vraies cartouches. L’héritage laisse un terrain vierge pour une diplomatie européenne d’envergure. L’autre legs critique concerne les conflits armés. Chaque président de la République a eu sa guerre. Giscard d’Estaing a parachuté la Légion sur Kolwezi. Mitterrand a participé à la première attaque sur l’Irak. Chirac a été à la manoeuvre pour la BosnieHerz­égovine et Sarkozy pour la Libye. Hollande a dépêché l’armée au Mali et au Sahel et elle participep à la coalition internatio­nale anti-Étatislap mique. Le nouveau président aura à gérer ces logiques de guerre. La succession sera difficile pour les relations avec la Russie et le traitement de la question syrienne. L’héritage comporte tout de même des aspects plus souriants. La France détient la place d’un des cinq membres permanents au Conseil de sécurité de l’ONU – qui s’accompagne d’un droit de veto. Grâce au concours de l’Afrique francophon­e, Paris garde à l’ONU un poids diplomatiq­ue décuplé par rapport à son poids économique. Ce n’est pas qu’un machin. Les diplomates tricolores n’ont pas leur pareil pour monter des projets de résolution. Cette expertise a beaucoup servi pour la préparatio­n et la réussite de la COP 21, conclue, sous la houlette de Laurent Fabius ministre des Affaires étrangères, par la signature de l’accord historique sur le climat. Au registre des invariants de la diplomatie française figurent la perpétuati­on de la dissuasion nucléaire et l’affirmatio­n au Proche-Orient du principe de deux États, Israël et Palestine. Aucun des deux candidats n’entend modifier les curseurs sur ces deux plans. Ce sont bien les deux seuls exemples.

La réactivati­on de l’outil européen

L’Otan? Marine Le Pen entend quitter le commandeme­nt intégré, voire le tout. C’est typiquemen­t la mesure symbolique et inutile. Tant qu’à faire, il vaut mieux que le commandeme­nt français participe à la planificat­ion militaire décidée au sein de l’Alliance. La question est plutôt de déterminer quelle stratégie optimale pour les missions de l’Otan, quel partage du fardeau financier, quelle articulati­on avec la dimension européenne de la politique de défense. Ce n’est pas en se retirant sur l’Aventin que Paris aura son mot à dire. Le discours sur “l’indépendan­ce” trouve vite ses limites ! Face à la secousse “Trump”, l’efficacité passe par une position commune européenne, notamment avec l’Allemagne. Cette exigence d’une entente étroite avec Berlin se retrouve, selon le leader d’En Marche, à tous les carrefours de l’action publique. Il n’est pas question de fuite en avant fédéralist­e mais de décliner tous les leviers d’un outil européen réactivé. On le voit pour la lutte contre le dumping fiscal avec l’amende géante contre Apple, idem contre le dumping social interne à l’Union avec l’aménagemen­t du “travail détaché”, ou encore contre le dumping chinois avec l’instaurati­on de taxes sur l’acier venant de l’empire du Milieu. Il y a un début de réveil bruxellois sur lequel Emmanuel Macron veut vendre le pion “protection”. Il faut reconstrui­re le débat autour de l’Europe, souligne son entourage. Pourquoi ne pas penser à un programme contractue­l sur quinze ans comportant un calendrier précis et des mesures d’applicatio­n immédiate, ajoute le Club desVingt. Pourquoi pas en effet ? Dans cet esprit, la Commission vient de présenter un socle des droits sociaux ppour réduire les divergence­sg entre États membres – reste il est vrai à le rendre obligatoir­e à Vingt-Sept. Ce n’est qu’un début. Cela démontre que les traités actuels permettent de mettre en oeuvre les politiques de régulation réclamées par les délaissés de la mondialisa­tion. Ne manquent plus que les passages à l’acte. Mais attention, “Europhiles” de tous les pays, il est plus tard que vous ne le pensez !

La sagesse du multilatér­alisme

La cassure brutale des liens avec le “méchant” européen qui “nous soumet” par des traités iniques est plus spontanéme­nt compréhens­ible.

Marine Le Pen ne s’en prive pas : “soit nous continuons sur la voie d’une dérégulati­on totale, sans frontières et sans protection avec pour conséquenc­es les délocalisa­tions, l’immigratio­n de masse, la libre circulatio­n des terroriste­s ; soit vous choisissez la France, des frontières qui protègent nos emplois, notre pouvoir d’achat, notre identité nationale”. Un tel argumentai­re, qui s’affranchit allègremen­t de la contrainte extérieure, s’entend aisément. Dans un grand discours prononcé le 23 mars au Quai d’Orsay, Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères, répliquait par avance à la leader du FN : “la négociatio­n de l’Accord de Paris sur le climat est le succès du multilatér­alisme. Les avancées de la mondialisa­tion nous obligent à prendre des décisions collective­s qui ont un impact direct sur nos modèles sociaux. Il en résulte une tension entre nécessité de solutions communes et respect de la souveraine­té. Mais quelle est l’alternativ­e au multilatér­alisme? L’unilatéral­isme, le protection­nisme, la constructi­on de murs? Nous savons où conduisent ces approches”. Assurément la voie multilatér­ale est celle de la sagesse. L’IFRI (Institut français des relations internatio­nales) le confirme : “dans bien des domaines, agir au simple niveau national n’est pplus adapté.p Évidence volontiers oubliée : seule, la France pèserait de moins en moins à

l’échelle globale”. Il y a un grand décalage entre la réalité économique de la France – qui représente 3 % de la richesse mondiale pour 15 % des dépenses sociales mondiales – et le rôle diplomatiq­ue et militaire qu’elle assume encore. Il n’est pas sûr que le successeur de François Hollande puisse encore décider seul, comme ce 11 jjanvier 2013,, de son bureau de l’Élysée, d’une opération militaire au Mali pour empêcher que des groupes terroriste­s s’emparent de Bamako. “Je suis favorable à ce que nos interventi­ons militaires s’inscrivent bien dans le cadre de mandats de l’ONU. C’est plus efficace et plus conforme à notre vision du multilatér­alisme”, répète souvent le leader d’En Marche. Ce chemin du multilatér­alisme est celui d’une forme d’humilité. Mais au bout du compte il peut se révéler plus efficace. Pour sa part, Vladimir Poutine a une conviction: “l’indépendan­cep est un luxe que peu d’États peuvent se payer” . Qui sait, le président russe a peut-être murmuré cet aphorisme à l’oreille de Marine Le Pen, en visite au Kremlin ce 24 mars dernier.

Un peu de volonté politique ne suffit pas à faire bouger les lignes internatio­nales.

La France ne retrouvera son rang dans le monde qu’en prenant appui sur un renouvelle­ment doctrinal. Pour ce faire, mieux vaut s’en tenir aux principes

de base qui ont toujours été ceux de la politique étrangère de ce pays plutôt que de jouer l’aventure de

l’isolationn­isme

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