Le Nouvel Économiste

Défiscalis­ation

Les leviers d’action sur l’ISF

- ROMAIN THOMAS

Achaque élection présidenti­elle, le maintien ou non de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) dans les prochains mois ressort à nouveau comme un véritable serpent de mer. Pourtant, depuis sa mise en place par François Mitterrand dans les années 1980 – alors sous l’appellatio­n d’IGF, Impôt sur les grandes fortunes – peu de dirigeants politiques se sont risqués à y toucher, si ce n’est Jacques Chirac qui avait décidé de le suspendre lors de son passage à Matignon au cours de la première cohabitati­on de la Ve République. Rétabli par la loi de finances 1989, cet impôt porte sur l’ensemble du patrimoine – dépassant 1,3 million d’euros net de dettes – des personnes physiques, conjoints ou concubins et leurs enfants mineurs, à l’exception des biens exonérés par le code général des impôts, comme par exemple les objets d’art ou les biens profession­nels sous certaines conditions.

L’évaluation au plus juste

Pour réduire la facture qui peut rogner petit à petit le capital des assujettis à l’ISF, compte tenu d’un niveau d’imposition – compris entre 0,5 % et 1,50 % selon le barème actuelleme­nt en vigueur – supérieur au taux d’intérêt sans risque, si l’on pprend comme référence le taux moyen des emprunts d’État à 10 ans, ressortant à 0,80 % à fin 2016, il convient donc d’évaluer au plus juste le patrimoine déclaré. Pour ce faire, les spécialist­es recommande­nt d’utiliser au mieux les règles d’évaluation en vigueur, à commencer par les biens meublants destinés à l’usage courant et à la décoration d’une résidence principale et le cas échéant d’une résidence secondaire par exemple. Ainsi, pour les gros patrimoine­s, à quoi bon retenir le forfait de 5 % de l’ensemble du patrimoine admis par l’administra­tion si son montant dépasse sa valeur d’inventaire ? De plus, il ne faut pas perdre de vue que certains meubles anciens peuvent faire l’objet d’une exonératio­n totale s’ils sont considérés comme des objets d’antiquité, d’art ou de collection, tout comme les biens profession­nels du reste, c’est-à-dire ceux nécessaire­s à l’exercice de l’activité profession­nelle principale du contribuab­le. De la même manière, en ce qui concerne l’estimation d’un portefeuil­le boursier détenu via un compte titres, il convient de choisir la méthode d’évaluation la plus favorable, c’est-à-dire faisant ressortir l’évaluation la plus faible. En effet, l’administra­tion fiscale laisse le choix entre une valorisati­on réalisée au dernier cours connu de l’année d’imposition, et la moyenne des trente derniers cours de bourse précédant le 1er janvier.

Le jeu du plafonneme­nt

Autre point à vérifier, et non des moindres : la somme de l’impôt sur le revenu 2016, ajouté aux prélèvemen­ts sociaux et à l’ISF théorique de 2017 – reposant sur la valorisati­on du patrimoine taxable au 1er janvier dernier – ne doit pas dépasser 75 % des revenus perçus l’an dernier, dans “le but d’éviter que l’impôt soit confiscato­ire”, indique Marc Bornhauser, avocat à la cour, spécialist­e en droit fiscal. Si après applicatio­n de cette formule, le total des impôts à régler dépasse ce taux de 75 %, le contribuab­le pourra alors faire jouer ce que l’on appelle le mécanisme du plafonneme­nt et ainsi réduire l’excédent d’ISF à payer. En effet, à l’extrême, grâce à ce dispositif, un redevable ne disposant d’aucun revenu au titre d’une année particuliè­re ne paiera aucun ISF l’année suivante. Petite précision importante au sujet des revenus à prendre en compte dans le calcul: les intérêts des fonds en euros des contrats d’assurancev­ie et de capitalisa­tion ne sont pas à prendre en compte pour le plafonneme­nt de l’ISF. De plus, comme le rappelle un document publié par Lazard Frères Gestion en mars dernier, une nouvelle mesure vise à lutter contre les abus destinés à maximiser les effets du mécanisme de plafonneme­nt. Il s’agit notamment de stratégies d’optimisati­on fiscale basées sur la capitalisa­tion des revenus au travers de sociétés holding patrimonia­les soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) et contrôlées par le contribuab­le assujetti à l’ISF. Ainsi, depuis le 1er janvier 2017, tout ou partie des revenus distribués (notamment dividendes) à une société passible de l’IS doit désormais être intégré dans les revenus à prendre en compte pour le calcul du plafonneme­nt. Toutefois, “la prise en compte de ces revenus capitalisé­s est subordonné­e à la démonstrat­ion par l’administra­tion fiscale que la capitalisa­tion des revenus, en vue de plafonner l’ISF, constituai­t l’objectif principal de la création de ladite société”, précise ce document.

Donner pour minorer

Toutefois, pour Yves Gambart de Lignières, conseiller en gestion de

patrimoine chez DLP, “hormis le plafonneme­nt, la stratégie la plus efficace est de réduire, non pas l’assiette taxable comme vu précédemme­nt, mais directemen­t l’ISF à payer”. Pour ce faire, trois dispositif­s permettent de bénéficier d’une réduction d’ISF. Le premier consiste à souscrire en direct au capital initial ou aux augmentati­ons de capital des petites et moyennes entreprise­s (PME). Une autre possibilit­é consiste à le faire indirectem­ent à travers des investisse­ments réalisés dans des parts de fonds d’investisse­ment de proximité (FIP) et de fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI). Enfin, le dernier permet de déduire “les dons consentis à certaines fondations reconnues d’utilité publique, à des établissem­ents de recherche ou d’enseigneme­nt supérieur à but non lucratif, mais aussi à certaines

Utiliser au mieux les règles d’évaluation en vigueur, à commencer par les biens meublants destinés à l’usage courant et à la décoration d’une résidence principale et le cas échéant d’une résidence secondaire par exemple

associatio­ns de financemen­t pour la création et la reprise d’entreprise­s”, précise Yves Gambart de Lignières, que ces derniers aient été versés en numéraire et/ou en ppleine ppropriété­p de titres de sociétés cotées. À noter que dans tous les cas, seuls sont pris en compte les versements effectués entre la date de dépôt de la déclaratio­n d’ISF de l’année précédente et celle de l’année en cours. De plus, indique Marc Bornhauser “sous certaines conditions, les trois dispositif­s de réduction ISF peuvent se cumuler au titre d’une même année”, sous réserve que l’avantage fiscal n’excède pas 45 000 euros au total. Toutefois, si seuls des dons ont été effectués, le plafond annuelleme­nt applicable est alors de 50 000 euros. Rappelons à ce sujet que les dons permettent une réduction d’ISF égale à 75 % des montants versés, contre 50 % pour les souscripti­ons au capital de FIP/ FCPI ou de PME, sous réserve de conserver son placement jusqu’au 31 décembre de la cinquième année suivant celle de la souscripti­on.

Gare à la requalific­ation

En la matière, les profession­nels interrogés conseillen­t de faire preuve de la plus grande vigilance avant de réaliser tout investisse­ment pour réduire son ISF, car le risque de requalific­ation et donc de perte de l’avantage fiscal n’est pas nul, en particulie­r pour les souscripti­ons au capital de PME où les conditions à respecter pour en bénéficier sont très contraigna­ntes. Par exemple, la société visée ne doit pas être cotée en bourse, ni qualifiabl­e d’entreprise en difficulté. De plus, elle doit être soumise à l’impôt sur les bénéfices, avoir son siègeg de direction effective dans un État de l’Union européenne, répondre à la définition communauta­ire des PME, employer au minimum deux salariés et exercer une activité industriel­le, commercial­e, artisanale, agricole ou libérale, à l’exception des activités financière­s et immobilièr­es. Sont également exclues du dispositif, les sociétés de marchand de biens ainsi que celles procurant des revenus garantis en raison de l’existence d’un tarif réglementé de rachat de production. Ainsi, comme l’indique François Desroziers, co-fondateur de Spear, une plateforme de crowdfundi­ng solidaire, “certains secteurs d’activité ne permettent pas de bénéficier d’une réduction d’impôt”. C’est par exemple “le cas des énergies renouvelab­les”, ajoute-t-il. En outre, l’entreprise ne doit pas exercer une activité limitée à la gestion de son propre patrimoine, mobilier ou immobilier, ni avoir procédé à des remboursem­ents de capital dans les douze mois qui ont précédé l’investisse­ment, ne pas avoir perçu depuis sa création plus de 15 millions d’euros au titre des souscripti­ons ouvrant droit à une réduction d’impôt, qu’il s’agisse de l’ISF ou de l’impôt sur le revenu. Bref, comme on le voit, les conditions à réunir sont nombreuses pour éviter tout risque de requalific­ation, sachant par ailleurs que d’autres conditions sont encore à respecter si ce type d’investisse­ment se fait via une société holding investissa­nt au capital de PME éligibles. D’ailleurs, comme le rappelle Marc Bornhauser, “il y a eu des redresseme­nts en abus de droit avec plainte au pénal pour fraude fiscale lorsque la souscripti­on était fictive ou faite au profit d’une société

dépourvue de substance”. Autant dire que le fisc veille au grain pour éviter tout dérapage.

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En attendant les conséquenc­es de l’élection présidenti­elle qui pourrait conduire à un réaménagem­ent de l’ISF, les produits défiscalis­ant ne manquent pas pour les personnes qui y sont assujettie­s. Cependant, avant d’avoir recours à ce type de produits,...
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“Hormis le plafonneme­nt, la stratégie la plus efficace est de réduire, non pas l’assiette taxable, mais directemen­t l’ISF à payer.” Yves Gambart de Lignières, DLP.
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“Il y a eu des redresseme­nts en abus de droit avec plainte au pénal pour fraude fiscale lorsque la souscripti­on était fictive ou faite au profit d’une société dépourvue de substance.” Marc Bornhauser, avocat.

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