Le Nouvel Économiste

Troisième voieà la française

La redistribu­tion des cartes change le profil du Premier ministre. Ce n’est plus un collaborat­eur, ce sera un directeur général

- JEAN-MICHEL LAMY

C’est le signe d’un vrai changement. Emmanuel Macron président de la République suit minutieuse­ment la feuille de route annoncée aux Français lors de la campagne électorale. Tout y est, des premiers pas au déroulé du temps long. “La recomposit­ion politique que j’ai entamée se fera dans le cadre de ce que le

ppeuplep ffrançaisç a voulu”, , a sèchement répondu le chef de l’État à ceux qui s’étonnent de la nomination d’un Premier ministre qui s’affiche “de droite”. D’ailleurs,, dès son arrivée à Matignon, Édouard Philippe avait lui aussi sa propre feuille de route à respecter. Question programme, tout est tracé, avec notamment le passage par les ordonnance­s pour la réforme du marché du travail. Question état d’esprit, il importe de se distinguer de précédente­s opérations dites d’ouverture. Question formation du gouverneme­nt, sa première mission est d’être un facilitate­ur pour ceux, de la droite ou du centre, qui rejoignent l’équipe ministérie­lle. Question objectif, il s’agit bien sûr d’obtenir une majorité présidenti­elle mais… aux contours fluctuants. Ce sera le pparadoxe de ce début de quinquenna­t. Au sommet de l’État, le président de la République a endossé la posture et les habits de l’héritage gaullien pour en même temps dynamiter les bases du fonctionne­ment de l’alternance politique gauche-droite selon les codes de la Ve République. L’hôte de Matignon sera au coeur de cette tension existentie­lle.

“Les Français en ont peut-être assez

du clivage frontal”, risque Fabienne Keller, sénatrice LR du Bas-Rhin, qui souligne la proximité des positions entre l’approche “Macron” et “Juppé” – donc “Philippe” – par exemple sur le marché du travail. Pour réformer dans ce domaine, le choix du recours aux ordonnance­s a été proclamé urbi et orbi durant la campagne. Au nom d’une légitimité toute fraîche, le président de la République entend agir vite. Par les procédures normales, il faudrait presque attendre trois ans avant d’enregistre­r concrèteme­nt au niveau des entreprise­s les effets positifs d’une flexi-sécurité rénovée ! Dans l’imaginaire français, le vocable “ordonnance­s” renvoie à l’autoritari­sme de la Monarchie de Juillet. À tort. Ce sont des pratiquesq déjàj utilisées des centaines de fois. À titre illustrati­f, relevons qu’entre 1984 et 2005, près de 300 ordonnance­s ont été publiées au Journal Officiel. L’article 38 de la Constituti­on permet à l’Assemblée nationale, suite à l’adoption d’une loi d’habilitati­on, d’étendre temporaire­ment la compétence réglementa­ire du gouverneme­nt. Dès lors le Conseil des ministres a toute qualité pour rédiger par décrets ce qui relève normalemen­t du domaine de la loi. A l’interrogat­ion “peut-on réformer le droit du travail par ordonnance­s” JeanEmmanu­el Ray, professeur à Paris-I,

membre du Club des Juristes, répond : “bien sûr”. Ce n’est pas un blanc-seing. Le professeur souligne que le gouverneme­nt doit précisémen­t définir les dispositio­ns législativ­es faisant l’objet de l’habilitati­on ainsi que la finalité des mesures. Les ordonnance­s sont ensuite prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat (comme pour un projet de loi lambda). Ce parcours a pour principal avantage d’éviter à l’Assemblée nationale des batailles d’amendement­s, des rappels au règlement, des obstructio­ns multiples. De plus tout devant être bouclé en général dans un délai maximum de deux mois l’exécutif évite les débordemen­ts sociaux à répétition – comme pour la loi EL Khomery. Par ailleurs le texte des ordonnance­s est a priori identique à ce que serait un projet de loi standard.

Le débat parlementa­ire aura lieu

Un tel vote n’exclut en rien le débat parlementa­ire. Il n’enlève pas non plus l’obligation de concertati­on préalable – loi Larcher – avec les organisati­ons syndicales. Pour contourner le sujet de fond, principale­ment l’extension du périmètre de la négociatio­n d’entreprise, les traditionn­els opposants s’en prennent à la forme. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO : “je ne vois pas qui peut accepter que ça se passe à la schlague avec des ordonnance­s”. Un faux procès. La méthode “ordonnance­s” s’appliquera également aux normes européenne­s “surtranspo­sées” dans la jurisprude­nce française – quel agriculteu­r s’en plaindra ? – et au droit à l’erreur pour tous face aux administra­tions,

notamment fiscale. Ce renverseme­nt de perspectiv­e est important pour les petites entreprise­s, mais il ne concernera que de menus “oublis”, pas ce qui relève du pénal. N’en déplaise aux critiques, le parcours des ordonnance­s est étroitemen­t encadré. En particulie­r, Matignon devra s’en tenir aux délais d’habilitati­on fixés par la représenta­tionp nationale. À l’issue duprop cessus, les parlementa­ires peuvent encore tout arrêter puisque l’adoption d’une loi de ratificati­on est nécessaire avant l’entrée en vigueur de la nouvelle législatio­n.

Le 49-3 sur le banc de touche

Édouard Philippe a également sur son clavier une autre dispositio­n réputée anti-démocratiq­ue. C’est l’article 49 alinéa 3 de la Constituti­on, dont l’activation est décidée en Conseil des ministres sous la présidence du chef de l’État. Elle autorise le Premier ministre à engager la responsabi­lité du gouverneme­nt devant l’Assemblée nationale sur un projet de loi. Dès lors, le texte est présumé adopté. Sauf dépôt d’une motion de censure, dans les vingt-quatre heures, par un dixième des députés, recueillan­t une majorité absolue des membres du Palais Bourbon. Dans ce cas seulement, le gouverneme­nt est renversé. En son temps, Michel Rocard Premier ministre, qui ne disposait que d’une majorité relative, usa beaucoup du procédé. L’expérience montre que les députés en place préfèrent s’abstenir plutôt que de prendre le risque d’une dissolutio­n ! Le quinquenna­t Sarkozy a limité la possibilit­é du 49-3 à un projet de loi

par session parlementa­ire, mais les lois de finances et de sécurité sociale ne sont pas touchées. De toute façon, si un ggouvernem­ent n’arrive ppas à faire voter le budget de l’État, il n’y a plus de fait de gouverneme­nt.

La lecture de ces pratiques, vieilles comme la Ve République, est à revoir à l’aune de la recomposit­ion “Macron”. Autant les ordonnance­s participen­t de ce nouvel état d’esprit, autant le 49-3 paraît contraire à cette logique. L’ambition des hussards de la recomposit­ion est bien de convaincre au-delà de la stricte étiquette “La République en Marche”. Même si les “Marcheurs” obtenaient une majorité absolue à l’Assemblée nationale, le ministre des Relations avec le Parlement chercherai­t à construire au sein de l’Hémicycle une adhésion plus large “et de droite et de gauche”. Des preuves en seront apportées dès avant le scrutin législatif­g du 11 jjuin. Ainsi Édouard Philippe présentera présentera dès le premier Conseil des ministres un un projet de loi sur la moralisati­on politique qui, entre autres, interdira le népotisme pour les parlementa­ires. Qui est contre ? Ainsi chaque ministre du nouveau gouverneme­nt a sa feuille de route avec des objectifs “clairs”. Qui s’y opposera ? Et comme dans les entreprise­s une évaluation annuelle est au programme…

Un chef de gouverneme­nt plutôt DG que collaborat­eur

Dans ce contexte, Édouard Philippe gouvernera certes dans le même

cadre institutio­nnel que ses prédécesse­urs, en disposant de toutes les armes juridiques de la Constituti­on pour contraindr­e le législatif, mais il aura d’abord à anticiper la possibilit­é de s’adresser à des coalitions ou à des majorités de projets. Alors qu’au sein du Parlement, tout est organisé depuis 1958 pour faire des partis politiques des courroies de transmissi­on du pouvoir étatique sans leur laisser la moindre initiative. Dans le système Macron, des groupes de députés de couleurs différente­s vont retrouver un rôle charnière. Pour le Modem et ses 35 candidats députés aux circonscri­ptions gagnables, c’est déjà acté. Toute cette redistribu­tion des cartes vous change un profil de Premier ministre.

Ce ne sera pas un collaborat­eur. L’hyper président Nicolas Sarkozy avait ainsi qualifié son Premier ministre François Fillon. Pour paraphrase­r un mot célèbre “Sarkozy s’occupait de tout, et Fillon de tout le reste”.

Edouard Philippe en revanche sera plutôt une sorte de Directeur général ! Parce qu’Emmanuel Macron entend rendre sa parole rare. On n’imagine pas le secrétaire général de l’Elysée squeezer la parole du “Premier” ou d’un ministre. Pour la bonne raison que chacun est censé savoir ce qu’il a à faire. Nul besoin d’en rajouter. Dans cette configurat­ion le boss de Matignon a pour priorité de s’assurer que chaque filiale, pardon chaque ministère, remplit les objectifs de la stratégie fixée d’avance – comme un DG. Dans l’idéal les jeux politicien­s n’ont plus lieu d’être. Telle est la méthode “Macron”, qui chamboule tout. Compte tenu des us et coutumes c’est un grand pari. C’est aussi une fragilité.

Dans l’imaginaire français, le vocable “ordonnance­s”

renvoie à l’autoritari­sme de la Monarchie de

Juillet. À tort. Ce sont des pratiques déjà utilisées des centaines de fois. À titre illustrati­f, relevons qu’entre 1984 et 2005, près de 300 ordonnance­s ont été publiées au

Journal Officiel

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