Le Nouvel Économiste

Martin Wolf

Les priorités de Macron vues de Londres

- Martin Wolf,

La chance sourit aux audacieux. Emmanuel Macron a tenté un énorme pari et l’a gagné. Maintenant, il lui faut transforme­r sa victoire en succès. Il a donné à son pays et à l’Europe, ainsi qu’à l’idée d’une démocratie tournée vers l’extérieur, une nouvelle chance. La question est de savoir s’il peut la saisir. S’il y parvient, il va avoir besoin non seulement de clairvoyan­ce et de courage, mais également de chance. Les réformes qu’il prévoit peuvent fonctionne­r, économique­ment et politiquem­ent, à condition que la convalesce­nce de la zone euro se poursuive.

Les défis de M. Macron sont d’abord politiques. Il doit transforme­r une victoire personnell­e en une assise réelle sur le pouvoir en France. Les obstacles sont énormes. Il est après tout un président sans parti établi. Ensuite, juste derrière, il y a les problèmes économique­s. La difficulté, c’est que les problèmes économique­s de la France ne sont pas graves au point de persuader des Français désabusés d’accepter des changement­s décisifs. La même chose vaut pour les tentatives de transforma­tion de la zone euro. Aux yeux de l’establishm­ent allemand, il n’y a pas de crise de la zone euro, il y a seulement des Français

qui “n’ont pas fait leurs devoirs à la maison”.

Pourtant, la France n’est pas un cas désespéré. Selon le FMI, le pouvoir d’achat du PIB par tête en France est le même que celui du Royaume-Uni en 2016, mais 12 % inférieur à celui de l’Allemagne. Selon le bureau d’études Conference Board, la productivi­té horaire en France est la même que celle de l’Allemagne et de 28 % supérieure à celle du RoyaumeUni. La redistribu­tion du revenu disponible­p est bien moins inégalitai­reg qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni, et similaire à celle de l’Allemagne. Pour résumer, la France est un pays riche avec d’excellente­s infrastruc­tures et d’excellents services publics.

Alors, quels sont ses problèmes économique­s ? Ils sont au nombre de trois, essentiell­ement : un chômage élevé, une faible croissance et le poids de la dépense publique.

Le taux national de chômage en France était de 10,1 % en mars 2017, contre 3,9 % en Allemagne, et 4,5 % au RoyaumeUni. Pire, le taux de chômage est plus élevé que ce qu’il était en 2009, au lendemain de la crise financière mondiale. En 2015, 72 % seulement des Français et Françaises âgés de 25 à 64 ans avaient un emploi. Très loin derrière les 79 % de l’Allemagne et les 78 % du Royaume-Uni, mais prochesp des 73 % constatés aux États-Unis.

En termes de croissance économique, le repère le plus important est que le PIB réel par tête était plus ou moins le même en 2016 qu’en 2007. Il s’agit donc d’une décennie perdue. Le PIB par tête en Grande-Bretagne, bien plus affecté par la crise que ne l’a été celui de la France, a progressé l’an dernier de 2 % par rapport à son

niveau de 2007. Une piètre performanc­e, mais meilleure que celle de la France. L’Italie a fait encore pire, avec un PIB réel par tête en 2016 de 11 % inférieur à celui de 2007. Pour l’Allemagne, le PIB réel par tête en 2016 a été de 7 % supérieur à celui de 2007.

Pour finir, les finances publiques sont très tendues. Leur caractéris­tiqueq la pplus évidente est l’énormité des dépenses de l’État : elles représente­nt 56 % du PIB en 2016 selon le FMI, le taux le plus élevé parmi les sept économies les plus riches. Celui de l’Allemagne est de 44 % et celui du Royaume-Uni de 39 %. Lever les impôts nécessaire­s pour financer de telles dépenses est un poids énorme pour une économie ouverte. La dette publique nette de la France était de 88 % du PIB en 2016, contre 45 % en Allemagne. Mais le taux d’endettemen­t a été de 81 % au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Alors, que faut-il faire ? La première des priorités est de prier pour le maintien stable de la croissance. Le taux élevé de chômage est certaineme­nt, au moins en partie, cyclique. Le FMI pense que l’écart de production (une mesure des capacités excédentai­res) est un peu en dessous de 2 % du PIB potentiel. Il pourrait être plus élevé que cela. L’inflation de base des prix à la consommati­on d’une année sur l’autre (hors énergie et nourriture) a été de 2 % voire beaucoup moins, mois après mois, depuis le début de l’année 2009. Tout récemment, elle était de 1,2 %. Et nous avons de bonnes raisons de nous attendre à la prolongati­on d’une politique monétaire très “solidaire” de la part de Mario Draghi à la Banque centrale européenne.

Dans le contexte de cette économie en convalesce­nce, M.Macron

doit rapidement légiférer sur le travail et réformer la dépense publique. La toute première priorité en matière d’emploi est de réduire la protection des travailleu­rs en contrat permanent : peu de chefs d’entreprise vont embaucher s’ils ne sont pas autorisés à licencier. Pour la dépense publique, l’impératif est d’instaurer des changement­s permanents dans la trajectoir­e de la dépense. La dépense publique française est tellement plus élevée que celle de pays européens comparable­s que cela doit être faisable. Mais la France n’est pas non plus à deux doigts de la banquerout­e. Dans son cas, réduire le déficit est bien moins important que dévier la trajectoir­e de la dépense. Le gouverneme­nt devrait oser baisser les impôts et, surtout, les charges salariales.

Avec de la chance, ce genre de décisions renforcera la confiance et encourager­a l’investisse­ment. Dans un deuxième temps, M. Macron pourra s’attaquer à la réforme de la zone euro. En réalité, toutes les réformes sérieuses ne feront pas grande différence sur la performanc­e de l’économie française à court et moyen terme. Néanmoins, une fois qu’il aura fait la preuve de sa volonté de réformer l’économie française, le nouveau président devra imposer un débat pour réparer les défauts plus sérieux de la zone euro.

L’Allemagne va résister. Mais elle doit comprendre que snober M. Macron pourrait être très dangereux. Si l’Allemagne dédaigne un défenseur de l’Europe aussi fervent que M. Macron, Marine Le Pen et la mort du projet européen attendent en coulisses. Ce serait un désastre pour l’Allemagne. Après la réunificat­ion, l’Allemagne avait accepté la monnaie unique comme prix à payer pour cimenter sa relation stratégiqu­e

avec la France. Elle doit accepter la réforme de la zone euro, une fois de plus pour cimenter sa relation avec la France.

Une zone euro qui semble fonctionne­r principale­ment au bénéfice de l’Allemagne va échouer, non pas demain, mais un jour futur. Et pourtant, la zone euro ne peut ppas être ggérée comme les États-Unis : une véritablef­édérap tion politique n’est pas à dispositio­n. Alors, que devrait-on faire pour améliorer son fonctionne­ment ? Ce sera le sujet de ma prochaine chronique.

La difficulté, c’est que les problèmes économique­s de la France ne sont pas graves au point de persuader des Français désabusés d’accepter des changement­s décisifs. La même chose vaut pour les tentatives de transforma­tion de la zone euro. Aux yeux de l’establishm­ent allemand, il n’y a pas de crise de la zone euro, il y a seulement des Français qui “n’ont pas fait leurs devoirs à la maison”

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