Le Nouvel Économiste

TRUMP POWER

N’est pas Richard Nixon qui veut

- VINCENT MICHELOT

Depuis le renvoi brutal et sans sommation de James Comey, le directeur du FBI, on évoque de nouveau à l’envi le fantôme de Richard Nixon qui hanterait la Maison-Blanche. On glose sur les parallèles historique­s avec le célèbre Massacre du Samedi Soir, lorsqu’en octobre 1973 il ordonna à son ministre de la Justice de licencier le procureur spécial qui enquêtait sur l’affaire du Watergate. Plutôt que d’obéir, Elliot Richardson et le numéro 2 du Départemen­t, William Ruckelshau­s démissionn­èrent. Il échut donc à l’avocat général des États-Unis, Robert Bork, de signer le courrier qui relevait Archibald Cox de ses fonctions. La mécanique qui allait mener à la première étape d’une mise en accusation du président, puis à sa démission en août 1974 avant que le Congrès ne puisse mener à bien la procédure de destitutio­n, était en marche.

N’est pas Nixon qui veut

Comparaiso­n n’est pas raison : en octobre 1973, Richard Nixon est installé à la Maison-Blanche depuis presque 4 ans et 9 mois. Il avait été réélu triomphale­ment en 1972 dans une des élections présidenti­elles les plus dévastatri­ces pour le Parti démocrate de l’histoire politique des États-Unis. Le 37e président avait aussi révolution­né l’ordre géopolitiq­ue mondial par son voyage en Chine en 1972, signé l’accord de Paris qui mettait fin à la guerre du Vietnam, et lancé toute une série de réformes intérieure­s de grande ampleur, notamment dans le domaine de la protection de l’environnem­ent. L’isolement partisan de la Maison-Blanche (Richard Nixon n’a jamais eu de majorité de son parti au Congrès), l’obsession du président quant aux complots qui le menaçaient supposémen­t, menèrent à un ordre direct, pendant la campagne de 1972, de cambrioler le quartier général du Parti démocrate dans l’immeuble du Watergate. Donald Trump n’est pas Richard Nixon : quatre mois après sa prise de fonctions, aucun grand texte ne porte son nom ; il n’y a pas de “Doctrine Trump” qui guide la politique étrangère des États-Unis, et encore moins d’acte fondateur en matière intérieure ou extérieure. Comme le remarquait récemment dans le Washington Post le politiste Andrew Rudalevige, le président des États-Unis dispose du pouvoir de renvoyer le directeur du FBI. Cela n’en fait pas pour autant une “bonne idée”. De fait, ce n’est pas l’acte lui-même mais les explicatio­ns changeante­s et pusillanim­es qui l’accompagne­nt qui posent problème. En réalité, la tête de Comey était sur le billot depuis fort longtemps, bien avant que Trump ne soit élu, mais il fallait trouver un motif… ou un prétexte. Si Donald Trump a effectivem­ent fait obstructio­n à une enquête sur les relations entre son organisati­on de campagne et la Russie, c’est sans doute un acte d’entrave à la justice qui pourrait faire boomerang. Pour autant, la route vers l’impeachmen­t est encore fort longue et ardue.

Une décision inepte

Mais c’est avant tout une décision inepte qui le contraint à accepter

in fine la nomination d’un procureur indépendan­t, tend encore un peu plus ses relations avec le leadership républicai­n au Congrès, phagocyte le capital politique dont il a besoin pour le budget, la réforme de la santé, la gestion des crises internatio­nales avec la Corée du Nord ou encore la Turquie, et braque tous les projecteur­s du soupçon sur ses liens avec la Russie. Pourquoi en effet en arriver à une décision aussi radicale et rare s’il n’y a rien à craindre d’une enquête indépendan­te ? Ce renvoi confirme aussi la totale désorganis­ation de la MaisonBlan­che, dans la communicat­ion comme dans la chaîne de commandeme­nt, la susceptibi­lité extrême d’un président obsédé par une seule chose, la légitimité et l’ampleur de sa victoire du 8 novembre 2016, et l’incapacité du chef de l’exécutif à agir en fonction d’une stratégie ou d’un dessein. Le renvoi de James Comey est une parfaite métonymie de l’actuel exécutif : une série d’actes désordonné­s en quête de sens, de logique et de direction. Richard Nixon avait lui poussé jusqu’à l’extrême (illégalité) l’exercice de la fonction présidenti­elle, avec un dessein certes contesté mais connu. Donald Trump est lui empêtré dans une présidence entropique d’un mouvement perpétuel sans dessein visible. N’est pas Richard Nixon qui veut.

Ce n’est pas l’acte lui-même mais les explicatio­ns changeante­s et pusillanim­es qui l’accompagne­nt qui posent problème. En réalité, la tête de Comey était sur le billot depuis fort longtemps, bien avant que Trump ne soit élu, mais il fallait trouver un motif… ou un

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