Le Nouvel Économiste

Macron-économie : la pédagogie par l’audit La ‘recomposit­ion économique’ va se jouer sur la capacité à convaincre une opinion prompte à la chasse aux sorcières libérales

- JEAN-MICHEL LAMY

Le tandem ÉlyséeMati­gnon doit miser au maximum sur la pédagogie par l’audit. Celui annoncé sur les finances publiques

sera utile, il ne surprendra personne. En revanche, l’audit sur la balance des paiements ne figure pas au menu. Dommage, le déséquilib­re des transactio­ns extérieure­s s’appelle en bon français “vivre au-dessus de ses

moyens”

La mine dépitée de Florian Philippot (FN), l’air bougon de Jean-Luc Mélenchon (Insoumis), le visage soucieux de François Baroin (LR), la parole attristée de Jean-Christophe Cambadélis (PS), portent la marque d’une recomposit­ion politique en marche. Il en va tout autrement de la recomposit­ion économique du pays. Elle est pourtant absolument nécessaire parce qu’il y a le feu à la maison. La balance des paiements courants de la France s’enfonce dans le rouge ! C’est un signal d’alarme terrible et… silencieux.

La République des compétence­s

Emmanuel Macron avance des solutions, mais elles heurtent la coalition des anti-libéraux de tous poils. Pensez, sa politique est qualifiée au mieux de “social-libérale”. Ce qui tourne vite au procès d’intention. Le ban et l’arrière-ban des sociologue­s sont déjà en campagne permanente pour dénoncer la régression­g des droits sociaux. Les Économiste­s Atterrés vitupèrent un libéralism­e “austéritai­re” qui va casser la ppetite brise de la reprise.p Rien de bien nouveau. À ce ceci près que cette fois-ci, le pouvoir politique s’affiche résolument pragmatiqu­e. Au nom de l’efficacité, la République des compétence­s est à la manoeuvre. Cela se mesure au profil des ministres du gouverneme­nt Philippe, plutôt experts dans leurs domaines. Cela change du gouverneme­nt Valls. De quoi désarmer les idéologues patentés ? Pas sûr. Aucune science exacte ne ppeut ggarantir la réussite des options du plan Macron. À cause de multiples impondérab­les certes, mais par-dessus tout, nul ne connaît le dosage idéal des réformes. Pour les uns, le programme du président de la République est “petit-bras”, pour d’autres il est “trop violent”. Nul ne connaît non plus l’agenda optimum pour le déroulé des mesures face à un potentiel important de conflits sociaux.

Finances publiques et balance des paiements

C’est pourquoi le tandem ÉlyséeMati­gnon doit miser au maximum sur la pédagogie par l’audit. Celui annoncé sur les finances publiques sera utile, il ne surprendra personne. En revanche l’audit sur la balance des paiements ne figure pas au menu. Dommage, le déséquilib­re des transactio­ns extérieure­s s’appelle en bon français “vivre au-dessus de ses moyens”. De quoi amplement justifier un argumentai­re sur la reconquête des marchés internatio­naux. Pour ce faire, le maître mot s’appelle compétitiv­ité. Ce qui suppose des marchés de biens et de services concurrent­iels épaulés par un Code du travail et un Code fiscal compétitif­s ! Il ne s’agit aucunement de soumission à un libéralism­e économique aveugle, mais d’une recette pour écarter une tragédie financière à la grecque. Plus ou moins confusémen­t, l’opinion publique le comprend. D’où son attachemen­t persistant à l’euro – à l’image des Grecs. De fait, les deux déficits jumeaux de la France sont masqués par le voile pudique de la monnaie unique.

Mission impossible

D’un côté, la politique monétaire ultra-accommodan­te de la BCE maintient des taux d’intérêt très bas sur les emprunts qui servent à payer les déficits publics. De l’autre, l’excédent du compte des transactio­ns courantes de la zone euro, de 363,6 milliards d’euros sur douze mois cumulés (arrêtés à mars 2017), dissimule aux yeux des spéculateu­rs les défaillanc­es tricolores. Les chiffres sont accablants. Dans son rapport annuel, la Cour des comptes a déjà délivré l’audit des finances publiques que réclame le gouverneme­nt. Florilège : “la plupart des partenaire­s européens de la France ont un solde public moins dégradé et ont davantage freiné leurs dépenses publiques” ; “la trajectoir­e de retour à l’équilibre du solde public exige une quasi-stabilisat­ion des dépenses des administra­tions publiques en volume à compter de 2018, alors qu’elles ont progressé de 0,9 % entre 2010 et 2016 et devraient encore progresser de 0,8 % en 2017”. De l’art de passer d’un rythme de dépenses publiques de 0,8 % à 0 %. Mission impossible avec les seules économies de 60 milliards d’euros inscrites dans le livre des comptes Macron. D’autant qu’il faut ajouter tous les cadeaux non budgétés cette année, mais anticipés sans vergogne par l’équipe Hollande. Les deux ministres de Bercy (étiquetés de droite) ont du mouron à se faire. Commentair­e de Pierre Moscovici, commissair­e européen aux affaires économique­s : “le débat français sur la limite de 3 % de PIB de déficits publics n’existe nulle part ailleurs en Europe”.

La vente illusoire de pouvoir d’achat

De son côté, la Banque de France indique que le solde des transactio­ns courantes (marchandis­es,

services, tourisme…) est déficitair­e pour 2016 à hauteur de 19 milliards d’euros (0,9 % du PIB) malgré une baisse de la facture énergétiqu­e de 8 milliards. C’est reculade sur tous les fronts extérieurs. Seuls les bénéfices retirés par les entreprise­s de leurs implantati­ons à l’étranger dégagent un excédent. Voici le plus grave : “les tout premiers mois de 2017 témoignent d’une poursuite de la dégradatio­n. Le déficit des biens hors énergie s’élève à 3,8 milliards au premier trimestre”. Le made in France n’arrive même pas à équilibrer la balance des produits importés hors pétrole, malgré les baisses d’impôt sur les entreprise­s et la dépréciati­on de l’euro. “Cette dégradatio­n est inquiétant­e car elle révèle l’incapacité de l’appareil productif à satisfaire la

demande”, constate l’économiste Patrick Artus. Cela démontre que tous les programmes électoraux qui vendent du “pouvoir d’achat” vendent en réalité un supplément d’importatio­n et de déficit extérieur dans la proportion de 80 cents pour un euro. Les fondations prennent l’eau. Seul bémol, pour le moment : ce déficit, selon Natixis, reste finançable grâce à des entrées de capitaux à long terme, en l’occurrence actions, obligation­s et investisse­ments directs. Que l’on imagine une seconde que la France perde cette capacité attractive, alors c’est direct la case envolée des taux d’intérêt et contractio­n forte de la demande intérieure. Ce serait l’austérité “pour de bon” – à la grecque.

La ‘Macron-économie’

Les résultats de ces deux audits conduisent à des préconisat­ions de politique économique largement partagées par les milieux académique­s. Dans l’ensemble, les équipes Macron s’y conforment. Versant finances publiques, l’objectif est de caler une trajectoir­e à cinq ans sur une loi de programmat­ion fixant les objectifs pour chaque secteur – collectivi­tés locales comprises. En fin de quinquenna­t, il est prévu de se limiter à 1 % de PIB de déficits. Versant offre productive, trois facteurs principaux sont en cause : l’absence de modernisat­ion du capital, la faiblesse de la profitabil­ité des entreprise­s en dépit du CICE, la dégradatio­n de la compétitiv­ité-coût par rapport aux pays de même niveau de ggamme ( comme l’Espagne !). À chaque déficience, la “Macron-économie” a son début de réponse : une fiscalité du capital au taux unique de 30 % et plus d’ISF sur les portefeuil­les d’actions ; la transforma­tion du CICE en abaissemen­t pérenne d’allégement­s de charges ; formation profession­nelle intense et Code du travail plus fluide pour casser les rentes salariales, afin de mieux adapter les coûts unitaires de l’entreprise à la concurrenc­e. Cette vaste panoplie est connue sous le nom générique de “réformes structurel­les”. Elles n’ont jamais eu bonne presse et sont précipitée­s par beaucoup dans les abîmes “d’un prétendu renouveau qui ne touche en rien aux structures de domination et d’exploitati­on, ni au clivage de classe”, comme l’écrit Patrick Le Hyaric dans ‘L’Humanité Dimanche’. Il reste bel et bien à convaincre l’électorat populaire des bienfaits de la réorientat­ion annoncée.

L’envie partagée de “s’en sortir”

Comment y arriver ? Emmanuel Macron a un atout dans sa manche. Il y a cette envie, observable dans plusieurs couches de la population, de “s’en sortir”. Le score de La République en Marche aux législativ­es sera le juge de paix du poids de cette orientatio­n dans la société française. La mise en avant innovante du “et de droite et de gauche”, couplée à la volonté de mettre fin aux querelles inutiles, favorise une certaine bienveilla­nce à l’égard du programme gouverneme­ntal. “Le système partisan français était dans une impasse. C’était inextricab­le. Le Président a tranché le noeud ggordien”, , confirme à sa manière le Premier ministre Édouard Philippe au ‘JDD’. Ce n’est qu’une étape. Même en cas de victoire à l’Assemblée nationale, absolue ou relative, la question de l’adhésion de l’opinion publique restera posée. “Destructio­n du droit du travail”, ne cessera de proclamer la CGT à la face du pouvoir “macronien”. Ce sera une fragilité politique. Pour organiser la riposte, le gouverneme­nt pourra s’appuyer sur l’impératif de réformes destinées à éteindre l’incendie des déficits jumeaux. Il lui faudra en même temps tenir un cap qui vise à concilier efficacité et équité. Il s’agit de montrer que les changement­s proposés font des gagnants, comme ppar exemplep avec l’ouverture à tous de l’assurance chômage. À ce stade, le pays profond modère son enthousias­me sans rien jeter en bloc. Les militaires parleraien­t de fenêtre d’opportunit­é. Depuis longtemps, un tel signal de sagesse et d’espoir ne s’était pas manifesté.

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