Le Nouvel Économiste

America first, deuxième

1917, 1947, 2017 : balbutieme­nts transatlan­tiques, les leçons de l’Histoire

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VINCENT MICHELOT, professeur de sciences politiques à Sciences Po Lyon 2017 est une année riche en anniversai­res et commémorat­ions : il y a un siècle exactement, en avril, les Américains finissaien­t par entrer en guerre aux côtés de la Grande-Bretagne et de la France, après trois ans d’atermoieme­nts et de déchiremen­ts sur la place desÉtatsp Unis dans le concert des nations, mais aussi sur la communauté de valeurs autour de la démocratie libérale entre la vieille Europe et le jeune géant économique. Et puis le 29 mai 1917 à Brookline, Massachuse­tts, un certain John Fitzgerald Kennedy venait au monde. Deux ans plus tard, la Grande-Bretagne et la France avaient ggagnég la gguerre mais pperdu la paix. Le Sénat des États-Unis avait refusé de ratifier le traité de Versailles, essentiell­ement pour des raisons de politique intérieure, et le pays se plongeait dans sa première grande peur rouge, inventant le concept étrange de “danger clair et immédiat” pour limiter la liberté d’expression et déportant vers des camps d’internemen­t les anarchiste­s et les syndicalis­tes. Il fallait se protéger du virus de la révolution de 1917. Dans le Sud, les soldats noirs du corps expédition­naire qui étaient démobilisé­s demandaien­t en vain et sous les menaces de lynchage ce dividende évident de la paix, mais aussi de leur courage dans les tranchées : l’égalitég raciale. Et donc les États-Unis se refermaien­t sur eux-mêmes, laissant l’Europe à ses démons nationalis­tes et colonialis­tes, à la revanche et à la rancoeur entre Berlin et Paris.

Le choix stratégiqu­e de 1947

Ambassadeu­r américain à Londres entre mars 1938 et octobre 1940, Joseph Kennedy, le père du futur président, fit tout en son ppouvoir ppour éviter l’entrée en gguerre des États-Unis, fasciné qu’il était par l’énergie politique de l’Allemagne face aux vieilles démocratie­s fatiguées, mais aussi terrifié que ses fils aînés, Joseph (né en 1915) et John, ne fassent partie d’une autre génération sacrifiée de jeunes Américains. Alors que le père développai­t des thèses proches de celles de Chamberlai­n et du premier comité America First porté par l’ancien président Hoover et l’aviateur Charles Lindbergh, le fils John entreprena­it une tournée des capitales européenne­s avant la guerre. Le 10 septembre 1940, le père écrit à son fils pour se défendre contre ceux qui critiquent sa volonté d’apaisement : “Que cette guerre peut-elle bien prouver ? Que fera-t-elle à la civilisati­on ? La réponse à la première question est ‘rien’. Et je frémis à la seule pensée de la seconde.” Quelques semaines pplus tard, il est rappelépp à Washington.g Les États-Unis ne feront pas deux fois la même erreur : à la fin de la guerre, ils s’investisse­nt pleinement dans la constructi­on du nouvel ordre mondial et, il y a exactement 70 ans, en 1947, lancent ce qui reste à ce jour une des plus grandes initiative­s diplomatiq­ues jamais imaginées, le Plan Marshall, qqui va arrimer le destin de l’Europep à celui des États-Unis. John F. Kennedy le dira en une formule célèbre en juin 1963 dans ce qu’il considère comme la capitale du monde libre : “Ich bin ein Berliner”. Il avait perdu son frère aîné en 1944 au-dessus de la mer du Nord et avait lui-même miraculeus­ement survécu en août 1943 lorsque le torpilleur rapide qu’il commandait, le célèbre PT 109, avait été coulé par un navire japonais. Un long voyage dans l’Europe en ruines de 1945 avait fini d’ancrer ses certitudes : l’Europe devait se construire et s’unir, le colonialis­me et les nationalis­mes étaient un poison.

Le refus américain de s’engager en 2017

Au lendemain du sommet de l’Otan à Bruxelles puis du G7 en Sicile, la chancelièr­e allemande Angela Merkel, sombre et amère, déclarait : “Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont en partie révolus. Je l’ai vécu ces derniers jours… Nous, les Européens, nous devons vraiment prendre

en main notre propre destin”. Face à la deuxième itération de America First qui refuse de s’engager sur ce principe fondateur de la relation transatlan­tique qu’est l’Article 5 du traité de l’Otan, l’Europe est une nouvelle fois amenée à faire seule le chemin de la démocratie libérale. Mais l’itinéraire est un peu différent. Hier c’était entre Londres et Washington, aujourd’hui c’est entre Paris et Berlin. Le jour de son assassinat à Dallas le 22 novembre 1963, le président Kennedy prononçait une autre de ses formules célèbres pour exhorter ses concitoyen­s à l’effort : “Nous aimerions pouvoir vivre comme nous avons vécu dans le passé. Mais l’histoire nous l’interdit”.

Face à la deuxième itération de America First qui refuse de s’engager sur ce principe fondateur de la relation transatlan­tique qu’est l’Article 5 du traité de

l’Otan, l’Europe est une nouvelle fois amenée

à faire seule le chemin de la démocratie libérale

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