Le Nouvel Économiste

Les transferts de fonds, véritable régime social africain

120 millions d’Africains reçoivent chaque année 60 milliards de dollars envoyés par 30 millions d’Africains de la diaspora pour couvrir les frais de maladie, de retraite et d’études

- PAR ODON VALLET

On connaît bien les célèbres enseignes Western Union et Money Gram par lesquelles transitent plus des deux tiers des transferts de fonds vers l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique du Sud. Pour Western Union, le jaune et le noir sont les deux couleurs symbolisan­t l’Asie et l’Afrique. On dit généraleme­nt que les transferts équivalent à environ 3 % du produit intérieur brut du continent africain. Cela est assez vrai, mais il est difficile d’estimer un PIB dont une partie relève de l’économie informelle. Deuxième problème: combien de personnes font partie de la diaspora africaine ? Certaines statistiqu­es disent qu’il y a 112 millions d’Africains en Amérique latine, c’est-à-dire les descendant­s d’esclaves. Cela n’a évidemment pas beaucoup de sens. Et pourquoi ne pas mettre Barak Obama ou Usain Bolt dans la diaspora africaine et calculer leurs transferts de fonds ? En fait, les statistiqu­es sont forcément imprécises, mais la réalité est indéniable. Lucky Luke parle déjà de Western Union qui, grâce à l’invention du télégraphe électrique par Samuel Morse, transporta­it les ordres de transfert de la côte Atlantique à la côte Pacifique. En plus des virements officiels, il y a toute sorte de tontines ou d’arrangemen­ts avec des cousins pour envoyer de l’argent afin d’éviter les frais importants de ces grandes sociétés. Sous toutes ces réserves, on estime qu’environ 120 millions d’Africains recevraien­t chaque année 60 milliards de dollars envoyés par 30 millions d’Africains de la diaspora. Ces sommes sont supérieure­s au cumul de l’aide publique au développem­ent et à l’investisse­ment direct des entreprise­s. Au total, chaque Africain de la diaspora enverrait chaque année 2 000 dollars soit 1 800 euros, soit encore 150 euros par mois, c’est-à-dire trois mois de salaire minimum de certains pays comme le Bénin. C’est comme si en France, on transférai­t 3 600 euros par mois pour aider la famille.

À quoi sert cet argent ?

Pour comprendre l’importance de ces transferts, il faut faire la queue dans les bureaux de poste et bavarder avec ceux qui envoient l’argent. D’abord, on note que certaines nationalit­és sont plus représenté­es que d’autres, par exemple les Maliens pour l’Afrique ou les Haïtiens pour les Caraïbes. Ensuite, on vérifie que l’envoi moyen est de 150 euros. Ici il faut comprendre la psychologi­e africaine. Il est souvent plus rentable d’envoyer 200 euros un peu moins souvent que 100 euros plus fréquemmen­t, car les frais sont de 6 % pour 200 euros contre 10 % pour 100 euros. Mais les Maliens vous répondront qu’envoyer 200 euros, c’est risquer de voir cet argent dépensé trop vite et finalement, ils trouvent une voie moyenne en expédiant 150 euros – ce qui n’est économique­ment q ppas excellent mais socialemen­t bien trouvé. À quoi sert cet argent ? Engageons la conversati­on. L’un envoie 150 euros, c’est-à-dire 100000 CFA, pour les soins de son père atteint de drépanocyt­ose. En quelque sorte, le transfert, c’est l’assurance maladie de la famille. L’autre envoie la même somme pour les études des petits frères, soi-disant gratuites mais en fait payantes sous forme de souscripti­ons ou de contributi­ons indispensa­bles pour que les enfants ne soient pas renvoyés de l’école. Un troisième envoie cet argent pour la retraite de ses parents qui n’ont pas le moindre centime dans la mesure où l’assurance vieillesse en Afrique ne touche qu’une minorité de salariés. La grande majorité de ces généreux Africains sont des hommes entre 25 et 35 ans. On n’arrête pas de dire du mal des Africains soi-disant paresseux alors qu’on veut toujours faire la promotion des femmes africaines qui ont certes beaucoup de qualités, mais sans l’envoi des grands frères, les petites soeurs resteraien­t non scolarisée­s. On peut multiplier les exemples : cet argent est nécessaire socialemen­t. Est-il fondé économique­ment ? Certes, les fonds envoyés serviront rarement à l’investisse­ment. Mais peut-on investir, c’est-à-dire d’abord épargner, quand on gagne si peu ? En somme, ces transferts sont le versant social des aides publiques qui, elles, s’orientent vers le moyen-long terme. D’autre part, une bonne partie des transferts visent une population africaine rurale constammen­t oubliée des organismes publics d’aide, comme l’indiquait déjà René Dumont en 1962 dans ‘L’Afrique noire est mal partie’. Ces sommes visent à rééquilibr­er la société africaine où les écarts de niveaux de vie ne cessent de croître. Elles sont nécessaire­s mais insuffisan­tes. Est-ce une raison pour les condamner ? Sûrement pas. C’est cependant une raison de s’interroger sur l’afflux de migrants. Dans quelques années, ceux-ci, dans la mesure où ils parviendro­nt à s’intégrer, pourront eux aussi contribuer à ces transferts. Mais est-il vraiment souhaitabl­e qu’un continent ne vive qu’avec l’argent envoyé par les compatriot­es – du moins sans regarder de trop près les papiers : certains sont en règle, d’autres ne le sont pas, d’autres encore sont binationau­x, peu importe. Mais lorsque l’on parle aujourd’hui de certaines tragédies en Centrafriq­ue, au Mali, au Niger ou au Tchad, n’oublions pas que ces pays, surtout le Mali, ne vivraient pas sans ces jeunes hommes destinés par leur famille à remplacer tous les régimes sociaux inexistant­s. Bravo Messieurs.

N’oublions pas que ces pays, surtout le Mali, ne vivraient pas sans ces jeunes hommes destinés par leur famille à remplacer tous les régimes sociaux inexistant­s.

Bravo Messieurs

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