Le Nouvel Économiste

L’Europe protectric­e by Macron

L’Élysée veut réorienter le Titanic européen sur le cap “protection” qui englobe aussi bien les frontières extérieure­s face à l’immigratio­n que les frontières intérieure­s face au dumping social intra-européen

- JEAN-MICHEL LAMY

Tout cela traîne dans les cartons de Bruxelles parfois depuis des décennies.

Pourtant la mise en oeuvre simultanée de ces mesures suffirait

à changer la physionomi­e très libérale de l’Union en un ensemble

commercial sachant défendre ses intérêts. Ajoutez les propositio­ns sur la gouvernanc­e de la zone euro, en particulie­r un budget propre et un ministre des Finances, et le saut fédéral

n’est plus qu’à quelques

encablures

Halte-là. En perdition il y a encore quelques semaines, l’Union européenne semble prête à renaître de ses cendres. Merci qui ? Merci Emmanuel Macron, grâce à son programme axé sur la thématique de la protection. Ce qui englobe aussi bien les frontières géographiq­ues extérieure­s face à l’immigratio­n que les frontières économique­s intérieure­s face au dumping social intra-européen. C’est un agenda antidérive populiste. Mais pourquoi cette Europe si laxiste, historique­ment si molle, accepterai­t-elle de sévères mesures de régulation ? Les intérêts contradict­oires de chaque État dominent la scène. Sans doute faut-il imaginer l’effet Macron – l’envie d’y croire. Cela se voit aussi à Bruxelles. Le délitement était tel, la peur tellement présente, que l’instinct de survie soulèverai­t soudain des montagnes de technocrat­ie. Bon, il y a également – c’est surprenant – un alignement des astres favorable à une réorientat­ion du Titanic européen. Départ des Anglais, débâcles populistes généralisé­es, imprécatio­ns repoussoir de Donald Trump, mer de tranquilli­té pour la zone euro, idylle Merkel-Macron, et puis cette France qui vient d’envoyer à l’Assemblée nationale une majorité absolue de 359 députés, tous élus en brandissan­t le drapeau européen. Qu’en plus ce pays retrouve son rang dans les économies de l’Union et c’est tout le schéma élyséen qui devient possible. D’autant qu’Emmanuel Macron manie la diplomatie européenne avec une maestria que l’on n’avait plus connue depuis l’époque mitterrand­ienne. Cela s’appelle forcer le destin.

Changer la physionomi­e d’une Europe trop libérale

Demandez le programme ! Le grand atout du président de la République est d’avoir annoncé la couleur avant d’aller devant l’électeur. Le message était clair : “une Europe protectric­e et à la hauteur de

nos espérances”. Il se décline en plusieurs leviers. A comme arrangemen­ts fiscaux, à proscrire lorsqu’ils faussent la concurrenc­e. B comme Brexit, dont la négociatio­n doit exclure toute atteinte à l’intégrité du marché unique. C comme convention­s pour redonner un sens au projet européen. E comme Erasmus étendu aux apprentis. E comme marché unique de l’énergie pour fixer un prix plancher au carbone. D comme un Fonds européen de la défense. M comme marchés publics, à réserver dans le cadre d’un Buy European Act aux entreprise­s qui localisent au moins la moitié de leur production en Europe. N comme création d’un marché unique du numérique. S comme industries stratégiqu­es à préserver des prédateurs étrangers à l’UE. Tous ces énoncés étaient inscrits en toutes lettres à la page 21 du tract électoral du candidat Macron. Pas de quoi crier à la révolution. Tout cela traîne dans les cartons de Bruxelles parfois depuis des décennies. Pourtant, la mise en oeuvre simultanée de ces mesures suffirait à changer la physionomi­e très libérale de l’Union en un ensemble commercial sachant défendre ses intérêts. Ajoutez les propositio­ns sur la gouvernanc­e de la zone euro, en particulie­r un budget propre et un ministre des Finances, et le saut fédéral n’est plus qu’à quelques encablures.

Lever le tabou de la Défense

Cette Europe by Macron a pour caractéris­tique de vouloir reconstrui­re l’Union de l’intérieur, au lieu de vouloir tout détruire de l’extérieur. À tel point qu’Angela Merkel a concédé la possibilit­é d’un nouveau traité. De son côté, la Commission a dû récupérer un exemplaire du tract électoral puisqu’elle vient de sortir une initiative en phase avec l’état d’esprit Macron (lettre D pour défense). Elle porte sur “l’autonomie stratégiqu­e” de l’Union. Un vocabulair­e inconcevab­le il y a encore quelques mois ! De toute façon, Londres bloquait toute idée d’intégratio­n militaire au niveau européen. Le départ annoncé du RoyaumeUni fait sauter les tabous. Bruxelles propose aux État membres de consacrer 500 millions d’euros par an du budget européen à l’horizon 2020 à des recherches sur les logiciels cryptés ou la robotique, et d’offrir des cofinancem­ents pour encourager les achats groupés de drones. Rien d’anodin, quand on sait que les VingtHuit recensent 70 programmes de drone et qu’il faut une autorisati­on de décollageg venant des États-Unis pour les drones achetés outre-Atlantique. Selon Bruxelles,, le manqueq de coopératio­n entre État membres dans la défense coûterait chaque année de 25 à 100 milliards d’euros. À ce jour, il est prématuré de parler d’un Fonds de défense européen, même si la Commission espère déclencher des financemen­ts nationaux sur des projets militaires communs à hauteur de

“Il faudra au président français beaucoup de patience et de ténacité pour faire bouger les lignes. Pourtant, il faut en convenir, à Bruxelles

le climat change”

5,5, milliards annuels à ppartir de 2020. À Bruxelles, la politique des petits pas commande. Le processus qui vient d’être décrit n’est qu’un projet de Règlement adopté le 7 juin dernier en Commission. Il devra ensuite être approuvé par le Parlement européen et le Conseil. C’est le tout début d’une prise de conscience – que certains médias ont baptisé “avancée historique” au motif qu’enfin, l’Europe sortait de son cadre purement civil.

Le Brexit au désavantag­e du Royaume-Uni

Comment dans ces conditions de fonctionne­ment arriver rapidement à des résultats visibles pour les opinions publiques ? Emmanuel Macron entend s’appuyer à la fois sur la nouvelle donne européenne et sur son volontaris­me politique. JeanDomini­que Giuliani, président de la fondation Schuman, illustre

le premier point par le déclin de l’hégémonie anglo-saxonne et l’arrivée aux responsabi­lités de leaders pragmatiqu­es de moins de 40 ans en Estonie, en Irlande, au Luxembourg, en Belgique, en Autriche et… en France. “Ils ne sont plus empêtrés dans les vieux

réflexes du XXe siècle”, analysetCe constat s’accompagne d’un incontesta­ble recul des mouvements anti-européen. Comme par exemple celui de Beppe Grillo en Italie. Par ailleurs, l’impact Brexit tourne au désavantag­e des sortants. Le talent hors pair des diplomates britanniqu­es ne suffira pas à rattraper un tel mauvais jeu. Ils essaient de vendre une confrontat­ion factice entre un “hard” Brexit et un “soft” Brexit pour diviser leurs interlocut­eurs. Là-dessus, Michel Barnier, le négociateu­r en chef de l’Union, a été clair : “je ne sais pas ce que cela veut

dire”. De fait, cette affaire jette une lumière crue sur les mécanismes incontourn­ables et méconnus de l’UE qu’on ne découpe pas en tranches plus ou moins comestible­s. Le marché unique est un tout qui intègre quatre libertés de circulatio­n (marchandis­es, services, capitaux, personnes) et une Cour de jjustice. On y reste ou on le quitte. À la lettre B de son tract,, Emmanuel Macron l’avait fait savoir. À l’instar de toutes les capitales européenne­s unanimes sur cette position.

Contraindr­e le Conseil européen à se positionne­r

Ce terreau est favorable à une diplomatie élyséenne offensive. Elle bénéficie en outre d’un moment conjonctur­el porteur. La croissance 2017 de la zone euro grimpe à 1,8 % et celle de la France, qualifiée de “robuste” par l’Insee, atteindra 1,6 %. Du coup, le président de la République n’a pas perdu de temps pour faire montre de son volontaris­me et abattre ses cartes. Les réalistes diront que rien ne se passe comme dans les plateforme­s électorale­s. Exact. Mais il y a déjà une réalité incontesta­ble. En amont du Conseil du 22 jjuin23 juin, qui réunit les chefs d’État et de gouverneme­nt des VingtHuit (pour Theresa May jusqu’au café du jeudi soir), Emmanuel Macron s’est lancé auprès de nos partenaire­s dans une vaste campagne d’explicatio­n. Toutes les solutions souhaitées sont mises sur la table pour contraindr­e chacun à se ppositionn­er. L’ambition stratégiqu­e de l’Élysée est de faire acter dans les conclusion­s du Conseil des Vingt-Sept cette idée – neuve – de protection. Ce serait un vrai tournant sur le fond, mais aussi sur la forme, car les Conseils des dirigeants européens sont devenus des enceintes

purement… formelles. Ainsi devant Mark Rutte, Premier ministre néerlandai­s, le chef de l’État a dénoncé une “Europe qui a perdu le sens profond de son action et qui a oublié de protéger les Européens”. Et de plaider

pour “une politique migratoire beaucoup plus exigeante et beaucoup plus responsabl­e” afin d’avoir une coordinati­on du droit d’asile commun avec les pays tiers et les pays d’origine. Le marché de l’asile, selon le mot du président du Parlement européen, atteint ses limites. Étendre à la Libye l’accord UE-Turquie sur le renvoi des migrants contre un financemen­t peut être une option. Il y en a d’autres. Le défi est immense et les fractures au coeur de l’Union sont multiples.

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