Le Nouvel Économiste

Macron sera sans pitié pour May

Un Brexit “dur” est paradoxale­ment une chance historique pour Emmanuel Macron et sa volonté de “plus d’Europe” politique et économique.

- GIDEON RACHMAN, FT

Nous avons maintenant un leadership fort et stable, comme promis durant la campagne des législativ­es en Grande-Bretagne par les conservate­urs. Mais c’est en France, pas en Grande-Bretagne. La premier ministre Theresa May va se présenter à la table des négociatio­ns du Brexit gravement affaiblie par le résultat des législativ­es au Royaume-Uni. Emmanuel Macron, lui, se prépare à émerger des législativ­es françaises avec une écrasante majorité parlementa­ire, celle dont Mme May rêvait. Avant. Les deux chefs d’État ont dîné ensemble mardi 14 juin. En Grande-Bretagne, le camp des Remain [Rester dans l’Europe,

ndt] espère avec ferveur que la combinaiso­n d’une Theresa May en situation de faiblesse et d’un Emmanuel Macron fort libérera le Royaume-Uni des chaînes d’un Brexit “dur”. Mais c’est peu probable. Le président français a peu de raisons d’aider le RoyaumeUni à s’extraire du bourbier dans lequel il se trouve, même si cela était possible. De plus en plus, le Brexit apparaît en effet comme une chance historique pour le président Macron, et non comme une source de regrets. Le programme de M. Macron pour revitalise­r la France porte en son coeur l’Europe. Au soir de sa victoire à la présidenti­elle, il s’est présenté sur la scène au son de l’hymne européen, ‘L’Ode à la joie’. Mais sa vision d’une France revitalisé­e, à l’intérieur d’une Union européenne revigorée, a plus de chance de se concrétise­r si les procédures du Brexit ne s’interrompe­nt pas.

Une chance ppolitique­q pour l’Europe et la France

M. Macron représente un courant de la politique française qui croit passionném­ent à “plus d’Europe”. Il veut une intégratio­n européenne beaucoup plus importante de la Défense et de la finance, et a même proposé l’idée d’un ministre des Finances de la zone euro. Traditionn­ellement, la GrandeBret­agne a fait frein au fédéralism­e européen. Une Union européenne sans la Grande-Bretagne sera bien plus ouverte aux idées françaises sur l’intégratio­n économique, la protection des marchés européens et la création d’une armée à l’identité européenne. Mais la fenêtre d’opportunit­é pour porter en avant l’agenda fédéralist­e pourrait être relativeme­nt étroite. C’est une raison d’autant plus forte pour que le M. Macron ne permette pas au processus du Brexit de se diluer sur de longues années. Un Brexit qui ferait spectacula­irement souffrir la Grande-Bretagne sert également un objectif crucial pour M. Macron en France. Marine Le Pen, sa rivale durant le second tour de la présidenti­elle française, a salué le Brexit et l’avait donné en exemple pour la France. M. Macron a besoin de prouver aux électeurs français que quitter l’Union européenne ne provoque que des souffrance­s. S’il parvient à reconstrui­re le couple francoalle­mand au coeur de l’Europe, il serait en mesure de rendre sa popularité au projet européen en France. Le moteur franco-allemand, qui a historique­ment propulsé la constructi­on européenne, a plus de chances de redémarrer si la Grande-Bretagne sort de l’Europe. Les Allemands seront beaucoup plus sensibles aux arguments des Français dans le contexte du Brexit et d’une pprésidenc­e Trump aux États-Unis. La chancelièr­e allemande Angela Merkel a récemment déclaré dans un discours qque le Royaume-yUni et les États-Unis n’étaient plus des partenaire­s fiables, avant de louer une coopératio­n franco-allemande. 94 % des Allemands, selon un récent sondage d’opinion, font confiance à la France, contre 60 % à la Grande-Bretagne,g, et seulement 21 % aux États-Unis. L’élargissem­ent de l’Union européenne pour inclure les pays de l’ex-bloc soviétique avait été vigoureuse­ment soutenu par la Grande-Bretagne, ce qui a dilué l’influence traditionn­elle de la France dans l’Union européenne. Mais la Pologne et la Hongrie se sont depuis auto-marginalis­ées en adoptant des politiques toujours plus anti-libérales et anti-démocratiq­ues chez elles. M. Macron a mené la charge pour que l’Union européenne adopte une ligne très dure contre les Polonais, qui va jusqu’aux sanctions. Aujourd’hui, la Grande-Bretagne est sortie de l’Europe, les grands pays d’Europe de l’Est sont marginalis­és : l’UE pourrait recommence­r à ressembler un peu plus à “l’Europe des Six”, celle que les dirigeants français avaient inventée dans les années 1950 et qui rend toujours certains europhiles français nostalgiqu­es.

Les avantagesg économique­s d’un Brexit dur

Pour la France, les avantages sont économique­s tout autant que politiques. Si la Grande-Bretagne s’exclut elle-même du marché unique européen, la France a une chance unique d’attirer les emplois dans la finance et l’industrie. C’est pour cette raison qu’un Brexit “dur” convient mieux à la France. Il implique que la City de Londres perdra son “passeport” pour ses transactio­ns en euro, et que les chaînes d’approvisio­nnement des industriel­s britanniqu­es seront rompues. Airbus a déjà annoncé que le Royaume-Uni pourrait perdre certains emplois s’il quitte le marché intérieur européen. La France peut en être la bénéficiai­re. Tout ceci signifie que M. Macron a peu de raisons économique­s ou politiques de faire des concession­s sur l’immigratio­n ou la monnaie, ce qui aboutirait, de fait, à un “soft Brexit”. Le président Macron défend avec intransige­ance les intérêts nationaux français. Il goûtera aussi l’exquis plaisir d’avoir la haute main morale en soulignant que la Grande-Bretagne s’est infligé à elle-même ce triste destin, alors qu’il n’est motivé que par le désir de protéger le projet européen. M. Macron est un internatio­naliste, c’est indéniable. Il est également le président de la France, et donc l’hériter de la rivalité historique de la France avec la Grande-Bretagne, que Robert and Isabelle Tombs (un couple francobrit­annique d’universita­ires) décrivent dans leur livre paru en 2006 : ‘That Sweet Enemy’. Pour eux, l’histoire respective de la France et de la Grande-Bretagne a été profondéme­nt marquée par cette “relation d’amour-haine”. Ces 25 dernières années, les Britanniqu­es, dédaigneux, se sentaient confortés dans leur position par une France en difficulté. Aujourd’hui, M. Macron est solidement ancré alors que Mme May chancelle. Les négociatio­ns du Brexit vont s’ouvrir et le tournoi de tennis de Wimbledon a débuté : avantage France.

Une Union européenne sans la Grande-Bretagne

sera bien plus ouverte aux idées françaises sur l’intégratio­n économique, la protection des marchés européens et la création d’une armée à l’identité

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